Rue du Roi Doré, boulevard Vincent Auriol...et après on fait quoi ?

par Jean-Paul Chapon
mardi 6 septembre 2005


Depuis ces derniers incendies dont le bilan humain devrait inciter à l’humilité et au sérieux, on assiste à un bien désespérant concert de « c’est pas moi, c’est lui », et en revanche à un choeur assez uni dénonçant l’incapacité d’agir en raison des rigidités des lois, des lourdeurs administratives, des procédures, sans solution alternative proposée, et pour finir à un bal de faux-culs assez écoeurant.

On entend par exemple le Maire de Paris en appeler une nouvelle fois à la solidarité de la région et des autres collectivités de la métropole parisienne. Amusant et agaçant, la solidarité pour se répartir la misère, oui, mais dans d’autres domaines, non, quand on va jusqu’à envisager un péage pour les banlieusards qui voudraient conduire dans la capitale. Mais pourquoi toute la misère se trouverait concentrée à Paris, et surtout pourquoi Paris supporterait l’effort financier pour venir au secours de cette misère humaine ? Vrai ou faux. Paris certes fait beaucoup, et semble en faire beaucoup plus depuis l’arrivée de Bertrand Delanoë, mais de là à dire que les autres collectivités ne font rien, c’est un peu gros. Vu de ma banlieue, où le taux d’HLM frise les 50%, ça fait bizarre. Autant dénoncer directement ceux qui ne font rien, et en particulier les partisans de la méthode forte, bien à l’abri dans un confort égoïste, comme à Neuilly-sur-Seine, qui avec 3% d’HLM est bien loin du 20% imposé par la loi SRU, mais dont le maire demande martialement une liste noire des logements parisiens insalubres, sûr qu’à Neuilly ce serait vite fait, et d’ordonner l’évacuation des squats. La liste noire existait déjà, quant aux évacués, ce n’est pas à Neuilly qu’ils trouveront un abri ?

L’APUR, Atelier Parisien d’Urbanisme, a sorti en janvier dernier une étude intitulée Construire du logement social à Paris et dans les vingt-neuf communes riveraines .
« Le rapport met en lumière la forte concentration de l’offre et de la demande de logements sociaux à Paris et dans les 29 communes limitrophes, qui constituent le périmètre d’étude. Ce territoire regroupe sur 2% du territoire de l’Ile-de-France, 36% de la population régionale et 30% du parc SRU. Le parc SRU des 29 communes riveraines (155 000 logements) est à peu près équivalent à celui de Paris (161 000 logements). Le rapport souligne sa répartition très inégale. Le seuil de 20% est dépassé dans trois arrondissements parisiens (13è, 19è, 20è) et dans 22 communes sur 29. En revanche, on compte moins de 2 000 logements SRU dans dix arrondissements du centre et de l’Ouest ainsi que dans sept communes riveraines (Neuilly, Nogent, Saint-Cloud, Saint-Mandé, Saint-Maurice, Vincennes). Malgré un territoire densément bâti, le périmètre d’étude accueille 27% de la construction régionale de logements SRU. De même, la demande de logements sociaux est concentrée sur ce périmètre avec 100 000 demandeurs inscrits à Paris et 34 000 dans les communes riveraines. Cela représente respectivement 8% et 6% des ménages résidents. Il convient de noter que ce n’est pas à Paris que la demande relative est la plus forte. En pourcentage des ménages résidents, Saint-Ouen, Ivry, Aubervilliers, Gentilly, etc. ont une plus forte proportion de demandeurs. »

La lenteur des réactions est aussi extrêmement frappante. On lit ainsi que l’immeuble de la rue de Roi Doré est une histoire connue de la mairie depuis plusieurs années, qu’il a fallu une longue procédure pour l’acquérir, seule solution pour faire évoluer la situation, puis le blocage interdisant la rénovation du bâtiment faute de pouvoir reloger les familles en attendant. Le même scénario est évoqué pour le boulevard Vincent Auriol. En revanche, passant d’un extrême à un autre, le Premier Ministre propose de vendre à la ville de Paris les terrains SNCF des Batignolles, précédemment promis au village olympique de 2012 « avec la condition que la ville s’engage à y réaliser dans les dix-huit mois 2000 logements intermédiaires et 1000 logements étudiants » rapporte Bertrand Delanoë dans une lettre qu’il adresse à ce dernier. Le Maire de Paris confirme sa volonté d’accélérer la construction de logements sociaux à Paris et renvoie finement le Premier Ministre à la réalité et à ses responsabilités : « Sur la seconde condition que vous avez posée, celle d’un délai de dix-huit mois seulement, soyez certain que notre motivation est telle que nous serions même disposés à agir plus rapidement encore, si cela était possible. Mais comme vous le savez, des procédures réglementaires et légales existent.
Je me réjouirais donc bien entendu que l’Etat, après cet achat, prête son concours à leur raccourcissement, afin d’accélérer la réalisation de ces logements. »


D’autres déclarations comme celles de Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, donnent un éclairage au-dessus de ces batailles politiques ou politiciennes. Dans le Monde du 1er septembre, il déclare : « Il faut qu’il y ait une instance de décision pour toute l’agglomération parisienne, de manière à réguler les besoins sur l’ensemble du territoire francilien et éviter les phénomènes de ségrégation urbaine ». Juste au-dessus, dans la même édition du Monde, la journaliste Christine Garcin signe un papier titré Les querelles politiques bloquent le projet d’agence régionale. Sur la création de cette agence foncière, on peut y lire une mise en cause de certains départements par Jean-Luc Laurent, vice-président du Conseil Régional d’Ile-de-France : « Les trois départements de droite, les Yvelines, les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise, ont fait pression pour que le projet n’aboutisse pas. Ils ont même, début 2005, réclamé la création de leurs propres agences foncières départementales. » Et Jean-Paul Huchon d’ironiser sur les déclarations de l’UMP appelant à « l’union sacrée » autour du logement social ? Et l’on s’aperçoit que petit à petit l’absurdité de l’administration de l’agglomération parisienne s’aggrave. L’intercommunalité, présentée comme une solution miracle, car plus souple à mettre en place que la création d’un « Grand Paris », a des effets pervers. Elle finit par créer des sous-unités régionales riches et puissantes, capables de rivaliser avec Paris, de bloquer la mise en place de projets généraux pour l’aménagement harmonieux de la métropole et de développer des projets antagonistes rivaux, représentant des intérêts locaux opposés. Boulogne, Sèvres ou Issy ne pèsent pas lourd face à Paris. Mais les 3 intercommunalités, Val-de-Seine, Arc-de-Seine et Coeur-de-Seine, si elles s’unissaient pèseraient plus de 300.000 habitants des communes les plus riches de l’agglomération, sans parler du poids du département des Hauts-de-Seine à lui seul. A l’Est, l’ACTEP, Association des Collectivités Locales de l’Est Parisien est certes moins homogène, mais pourrait devenir un acteur de poids. Qu’on le veuille ou non, Paris est certes devenu une métropole polycentrique, mais dont le centre est toujours Paris. Il faut plus que jamais donner à cette métropole les moyens de se gérer et de se gouverner rationnellement et efficacement.

Habitat social, traitement de l’urgence, solidarité, mais aussi circulation, transport, équipement, Paris et son agglomération sont un non-sens, une sorte de Saint-Empire Romain Germanique, avec un Empereur honorifique à la tête du Conseil Régional, des Rois de petits Etats puissants, une Prusse ou une Bavière des Hauts-de-Seine, une Autriche parisienne, des Evêchés libres mais rouges ici, bleus là. Un jeu de querelles politiciennes, où la défense de ces petits droits régaliens prend le pas sur l’intérêt général de la communauté.


Tout cela serait risible si le coût humain n’était pas si monstrueux. Mourir rue de Provence, boulevard Vincent Auriol ou rue de Roi Doré, après avoir passé des années dans un taudis, fin d’un mirage pour fuir une Afrique qui n’en finit pas d’être « mal partie », qui ne fait que transporter sa misère au coeur de la ville lumière et pour y trouver une mort atroce dans les flammes.


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