Sénat : mission remplie pour la réforme des retraites 2023

par Sylvain Rakotoarison
mardi 14 mars 2023

« Comme vous le savez, le gouvernement n'intervient pas dans l'organisation des débats au Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de la concertation a eu lieu. Le débat au Parlement doit se tenir, dans le respect des uns et des autres, sans blocage et avec une volonté de discussion sincère. C'est le fondement de notre démocratie. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas opposer la légitimité de la rue à celle de nos institutions. Depuis quelques jours et jusqu'à la fin de la semaine, la discussion va se poursuivre au Sénat. Plus de cent heures de débats sont prévues au total. Vous avez les cartes en main pour agir, pour enrichir le texte, pour donner à tous les Français le débat démocratique qu'ils réclament. » (Élisabeth Borne, le 7 mars 2023 au Sénat).

Répondant à une question du président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner (ancien ministre) le 7 mars 2023 sur la réforme des retraites, la Première Ministre Élisabeth Borne s'est tenue à la continuité institutionnelle des débats.

Elle avait peu auparavant condamné les actions de blocages de certains syndicalistes jusqu'au-boutistes : « Je condamne les coupures d'électricité dans certains tribunaux, dans certaines universités, dans certains quartiers et dans certaines permanences parlementaires. Le droit de grève, ce n'est pas le droit au blocage ou la volonté de mettre notre économie à genoux. ».

Et de rappeler la volonté de dialogue du gouvernement : « Hier soir, l'intersyndicale a demandé à être reçue. Le gouvernement est toujours prêt et ouvert au dialogue, comme il l'a montré ces derniers mois. Si les organisations syndicales souhaitent évoquer certains points particuliers, la porte du Ministre du Travail, Olivier Dussopt, reste toujours ouverte. Car, je le rappelle, c'est bien dans la concertation et le dialogue que ce texte a été construit. C'est après trois mois de concertation avec les organisations syndicales et patronales, ainsi qu'avec les groupes parlementaires, que nous avons décidé de décaler progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, et non pas à 65 ans, comme prévu initialement. Je rappelle aussi que c'est grâce au dialogue que nous avons décidé de revaloriser les plus petites pensions des retraités actuels. Je vous rappelle encore que c'est grâce au dialogue que nous avons amélioré le texte sur la pénibilité. (…) Je le répète, nous sommes prêts à faire évoluer, à améliorer et à enrichir ce texte dans le respect des équilibres que nous avons définis. Mais, pour y parvenir, nous devons pouvoir débattre loyalement, ouvertement et franchement. ».

Malgré l'évolution inquiétantes des débats au Sénat, où les trois groupes de gauche (PS, PCF et EELV) ont voulu paralyser les votes par une obstruction, le gouvernement a atteint son objectif ce samedi 11 mars 2023 vers minuit : l'ensemble du texte du projet de réforme des retraites a été adopté en première lecture par le Sénat, ce qu'il n'avait pas réussi à obtenir de l'Assemblée Nationale complètement hystérisée par les excès des députés mélenchonistes.

En effet, sur 344 votants, 195 sénateurs ont voté pour la réforme, 112 contre (scrutin n°249). Si on analyse plus précisément le scrutin, on retrouve globalement les groupes qui avaient voté pour l'article 7 (le passage à 64 ans).

Parmi les sénateurs qui ont approuvé la réforme : 120 LR (Les Républicains) sur 145 (6 LR ont voté contre, dont Alain Houpert ; 18 LR se sont abstenus, dont Alain Cadec et Jean-Raymond Hugonet ; Gérard Larcher, Président du Sénat, n'a pas pris part au vote) ; 37 UC (Union centriste) sur 57 (6 UC ont voté contre, dont Arnaud de Belenet et Nathalie Goulet ; 14 se sont abstenus dont François Bonneau, Philippe Folliot, Loïc Hervé, Valérie Létard, Hervé Maurey, Catherine Morin-Desailly et Jean-Marie Vanlerenberghe) ; 23 LREM (groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) sur 24 ; 12 du groupe Les Indépendants – République et Territoires sur 14.

Le groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen, ancienne Gauche démocratique) qui, habituellement, se situait au milieu de la frontière entre gauche et droite (et qui rassemblait à une époque tant les radicaux valoisiens que les radicaux de gauche) est extrêmement divisé sur la réforme des retraites puisque 8 RDSE ont voté contre, 3 RDSE ont voté pour (dont Véronique Guillotin) et 3 RDSE se sont abstenus (dont Nathalie Delattre et l'ancien président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini).

Comme prévu, aucune voix de l'opposition de gauche n'a manqué au vote s'opposant à la réforme (64 PS sur 64, 15 PCF sur 15 et 12 EELV sur 12). Quant aux trois sénateurs non-inscrits, 1 a voté contre et l'ancien UMP Jean-Louis Masson ainsi que l'ancien RN Stéphane Ravier se sont abstenus.

Le principal apport des sénateurs, au-delà d'avoir adopté ce projet de loi dans les délais requis, cela a été d'imposer au gouvernement l'ajout d'un "article 2 bis A" sur un "CDI senior", autrement dit un "contrat de fin de carrière" réservé aux salariés d'au moins 60 ans et qui entrerait en vigueur le 1er septembre 2023.


Les conditions sont précisées ainsi : « Le contrat est conclu pour une durée indéterminée. Par dérogation à l’article L. 1237-5, l’employeur peut mettre à la retraite le salarié qui remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale. Le contrat est établi par écrit. Les activités concernées, les mesures d’information du salarié sur la nature de son contrat et les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de mise à la retraite accordées au salarié sont fixées par une convention de branche ou un accord de branche étendu. À défaut d’accord, ces modalités sont fixées par décret. ».

Ce contrat donnerait ainsi la possibilité à l'employeur de mettre à la retraite dès que le salarié signataire remplit les condition d'une retraite à taux plein, alors que jusqu'à maintenant, le date de la mise en retraite est décidée par le seul salarié (sauf en cas de licenciement).

Pour ce type de contrat, les rémunérations bénéficieraient d'allègement de cotisations : « Les rémunérations versées au salarié employé dans le cadre du contrat prévu à l’article L. 1223-10 du code du travail sont exonérées des cotisations dues au titre du 1° de l’article L. 241-6 du présent code. ».

Par ailleurs, l'article 20 du projet de loi précise : « Pour l’année 2023, les objectifs de dépenses de la branche Vieillesse sont fixés à 273,7 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. ».

La première lecture étant achevée et comme l'Assemblée Nationale n'a pas adopté de texte (et que le texte considéré comme adopté est différent de celui qui a été adopté par le Sénat), la formation d'une commission mixte paritaire est nécessaire pour négocier un texte commun aux deux assemblées qui soit susceptible d'être adopté par l'Assemblée Nationale.

L'idée du gouvernement est, d'une part, de maintenir la pression sur tous les députés de la majorité (Renaissance, MoDem et Horizons) pour ne perdre aucune voix favorable, et d'autre part, d'amener le groupe LR à voter favorablement dans sa grande majorité (le groupe LR de l'Assemblée Nationale est particulièrement divisé sur la question des retraites, entre la position d'Aurélien Pradié opposée au texte et celle d'Éric Ciotti favorable).

Pour l'heure, le gouvernement répète qu'il ne souhaite pas utiliser l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour le vote en seconde lecture à l'Assemblée Nationale, même s'il ne se l'interdit pas. Tout dépendra du choix des députés LR, hésitant entre la démagogie à deux balles et la cohérence politique de leur projet présidentiel depuis une dizaine d'années qui prônait la retraite à 65 ans. En d'autres termes, leur choix sera entre facilité et responsabilité. Leur avenir politique, à mon sens, dépendra de ce vote.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Sénat : mission remplie pour la réforme des retraites 2023.
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La retraire de Philippe Martinez.
Réforme des retraites 2023 : le Sénat évitera-t-il l'obstruction ?
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Réforme des retraites 2023 : chemin de Croix à l'Assemblée.
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Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
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Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
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