Violence (1), Macron, décivilisation et gouvernance d’État

par LATOUILLE
samedi 9 septembre 2023

Cet article veut montrer ce qu’est le concept de décivilisation et en quoi son usage par le Président de la République est inapproprié autant qu’impertinent, ouvrant la voie à des interprétations hasardeuses sur l’état de la société et offrant aux politicaillons le discours stérile suivant lequel « décivilisation » serait un terme de l’extrême droite.

S’appuyant sur une série d’évènements « violents » : l’agression mortelle d’une infirmière à Reims, la mort de trois policiers à Villeneuve-d’Ascq lors d’un accident causé par un conducteur alcoolisé et drogué, et l’incendie du domicile du maire de Saint-Brevin-les-Pins provoqué par des opposants à un projet de centre d’accueil de demandeurs d’asile, l’agression d’un petit-neveu de Madame Macron, le président de la République, lors du Conseil des ministres du 24 mai 2023, évoquait qu’un « processus de décivilisation » de la France serait en cours. Ce faisant il semble réduire la société française à un mot : « décivilisation », qui caractériserait son fonctionnement, son mode d’organisation et son objectif voire comme avenir, mais le président de la République masque les composantes de ce qu’il décline comme étant un processus. Or, un pays, une société ne se réduisent pas à un processus, quel qu’il soit.

Si décivilisation évoque bien, en sciences humaines, un processus, décrit par Norbert Élias à partir de ses travaux sur la civilisation parus entre autres dans La Civilisation des mœurs (1939) et La Dynamique de l’Occident (1975), il conviendrait d’en poser le cadre épistémologique, notamment les conditions de son émergence et son rapport avec son contraire : la civilisation ; il faut aussi analyser la pertinence de ce mot aujourd’hui. Enfin, il faut s’interroger, une fois encore, sur les raisons qui peuvent avoir amené le président de la République à jeter à la face de la société française ce mot « décivilisation » et quel usage politique pourrait avoir cette diatribe contre la société.

 

Commençons par essayer de savoir ce qu’est la civilisation.

 

En lisant attentivement la littérature scientifique : ethnologique, anthropologique, philosophique, sociologique, historique et psychologique on relève une multitude d’approches du concept de civilisation sans, cependant, qu’il y ait de fortes dissensions. On se souvient du livre de Sigmund Freud[1] « Malaise dans la civilisation » d’abord intitulé « Malaise dans la culture » paru en 1930, de celui de François Guizot (historien et ministre) « Histoire générale de la civilisation en Europe » écrit en 1838, de l’opuscule (24 pages) de Marcel Mauss en 1929 « Les civilisations. Éléments et formes », de « Race et civilisation » de Michel Leiris (1951), de « L’ère des masses et le déclin de la civilisation » de Henri de Man (1951) et (bien sûr) de Norbert Élias « La Civilisation des mœurs » paru en 1939, et bien d’autres qui, pour certains, sans y avoir consacré un livre éponyme en ont fait matière dans divers ouvrages comme Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant. De cette masse de connaissances il ne ressort pas une définition unique du concept de civilisation. Il faut alors se tourner vers les dictionnaires comme celui de sociologie dirigé par Gilles Ferréol, qui à civilisation nous renvoie à culture dont le dictionnaire nous dit que « le mot revêt de multiples usages et significations ». C’est dans l’évolution du mot culture qu’on voit le lien entre culture et civilisation : « C’est que le mot [culture] est en concurrence avec un autre terme, celui de civilisation, bien plus récent (il apparaît dans la seconde moitié du XVIIIe siècle) mais dont l’usage va très vite devenir courant. » Nous pouvons opposer à ce rapprochement de culture et de civilisation l’analyse de Thomas Mann qui écrit dans un article paru en 1914 dans la Revue Die Neue Rundschau : « Civilisation et culture sont des contraires. Ils constituent l'une des diverses manifestations de l'éternelle contrariété cosmique et du jeu opposé de l'Esprit et de la nature. Personne ne contestera que le Mexique, au temps de sa découverte, possédait une culture, mais personne ne prétendra qu'il était alors civilisé. [..] La culture est fermeture, style, forme, attitude, goût, elle est une certaine organisation du monde, et peu importe que tout cela puisse être aventureux, bouffon, sauvage, sanglant et terrifiant. […] La civilisation, de son côté, est raison, lumière, douceur, décence, scepticisme, détente, Esprit (Geist). Oui, l'Esprit est civil, bourgeois : il est l'ennemi juré des pulsions, des passions, il est antidémoniaque, antihéroïque - et ce n'est qu'un semblant de paradoxe de dire qu'il est aussi antigénial. » In fine il rejoint les propos du dictionnaire cité plus haut rapportant les propos de Philippe Bénéton[2] qui écrit que civilisation évoque « l’affinement des attitudes, le développement de la politesse l'adoucissement des mœurs : la civilisation est un acte tendant à rendre l'homme et la société plus policés, plus civilisés » ; ceci n’est-il pas constitutif d’une culture sociétale ? Civilisation est donc un processus que Norbert Élias analyse comme étant un phénomène de transformation historique, qui a conduit à la pacification progressive de l’Occident, le processus de civilisation serait normatif en instaurant des règles de fonctionnement et d’organisation de la société. Ainsi, Élias observe que des mécanismes d’autocontrôle se sont peu à peu installés dans l’ensemble de la société entraînant une élévation du seuil de la pudeur, une maîtrise des affects et une réduction du recours à la violence. Alors, lorsque Norbert Élias parle de décivilisation il est dans une démarche scientifique où il montre l’existence de conditions historiques qui ont enrayé, voire renversé, le processus de civilisation. Ce faisant Élias répond-il, complète-t-il, s’oppose-t-il à la conception de la civilisation tracée par Lucien Febvre en 1930, pour qui la civilisation signifie l’ensemble des caractères observables d’un groupe humain ; peut-être suggère-t-il qu’on pourrait remplacer civilisation par vie sociale, je suggère qu’on puisse utiliser le terme de culture sociétale comme ensemble des normes qui régissent le fonctionnement de la société et les relations interindividuelles. Si chez Febvre civilisation concerne le groupe avec son organisation, ses normes et son fonctionnement, chez Élias civilisation s’applique aussi aux individus où le concept inclut également « un processus de raffinement des comportements humains, la production historique d'un type de conduite, faite d’autocontrainte, d'autodiscipline, de contrôle des pulsions, de refoulement de la violence, etc. » comme nous l’avons évoqué plus haut. À travers cette évocation rapide de la pensée de Élias et de celle de Fièvre nous pouvons voir une communauté épistémologique qui mêlant culture et civilisation ouvre la voie à l’émergence du concept de décivilisation.

Donc « décivilisation » serait un processus de destruction des communautés et d'autre part une involution du processus de civilisation, marquée par le reflux des comportements civilisés, « le relâchement du contrôle des pulsions, le retour de la violence », dans ce cas la décivilisation est marquée par les incivilités, l'accroissement de la délinquance, par de nouvelles formes de violences et par de multiples formes d'agressivité tournée contre soi telle que la toxicomanie, etc. La décivilisation serait-elle une phase primaire d’un changement de la culture sociétale ? Au-delà de l’individu pris dans sa singularité et dans une pensée holistique du « relâchement du contrôle des pulsions, du retour de la violence » le regard de Norbert Élias se pose sur le fonctionnement du rapport à l’État, donc sur un processus sociétal, en relevant que le processus de décivilisation marque la mise en cause de la légitimité du monopole de l’État sur la violence ; il s’appuie, entre autres, sur le phénomène de la montée du nazisme non pas dans une analyse du régime national-socialiste en tant que tel, mais de « l’entreprise de destruction » perpétrée sous son égide. « Qu’est-ce qui rend possible une telle entreprise ? Pour Sabine Delzescaux[3] l’hypothèse proposée par Élias est qu’on ne peut pas comprendre « l’entreprise de destruction » nationale-socialiste si on ne procède pas à une analyse approfondie du processus spécifique de formation de l’« habitus national allemand ». Conséquemment on peut s’interroger sur la pertinence du dualisme conceptuel « civilisation/barbarie » ou « civilisation/décivilisation » ? Ce cadre réflexif posé par Élias nous engage à penser l’« entreprise de destruction » nationale-socialiste, non pas en termes de « folie », et en particulier de « folie des masses », mais en termes de « régression », d’« effondrement des contrôles civilisateurs », un effondrement dont il est d’autant plus nécessaire de comprendre les ressorts qu’une « telle éruption de brutalité et de barbarie » peut, nous dit-il, « directement provenir de tendances qui sont inhérentes à la structure des sociétés industrielles modernes ».

Aujourd’hui, dans une société éclatée où un individualisme outrancier entraîne au repli sur soi ou au sein d’une communauté, chacun qui observe la société peut constater cette évolution (ou involution ?) du processus de décivilisation caractérisée par une augmentation du recours à la violence avec l’apparition de mouvements « politiques », sociétaux ou religieux ayant recours à la violence pour exprimer leur idéologie ou plus simplement leur désir d’une vie autre (sans que nous préjugions de ce qu’est une vie autre), mettant ainsi en place une dynamique de dénonciation de la domination de l’État et de délitement du monopole de l’État sur la violence en réponse de quoi l’État a renforcé ses moyens coercitifs en faisant, de plus en plus, usage de la violence à travers, principalement, l’usage d’une police répressive et en multipliant les lois et les décisions coercitives.

Il faut voir dans ce jeu d’attaque et de défense où chaque parti est tour à tour attaquant et défenseur, une façon dichotomique dont chacun a intégré les normes de retenue évoquées plus haut, et donc le moment où il considère que l’autre transgresse ces normes et conséquemment la manière dont il entend s’opposer à cette transgression. Dans un tel processus individuel ou individualisé d’intégration de normes, chacun, estimant qu’on y porte atteinte, s’autorisera à employer la violence, d’autant mieux que le processus d’individualisation de type communautaire (ou clanique) et de renforcement de l’individu prend le pas sur le collectif ; de façon schématique nous pouvons ainsi opposer le groupe de la police[4] au groupe des manifestants, le groupe des agriculteurs « classiques » au groupe des écologistes militants, évoluant chacun dans un corpus de normes sinon différentes du moins distanciées au niveau de leur construction et surtout de leur sens.

Le processus de civilisation permet de distinguer nettement ceux qui, parce qu’ils sont le bras armé de l’État (la police, l’armée) ou soutenus par lui, peuvent faire un usage autorisé de la violence, de ceux parce qu’ils sont des subalternes n’ont pas le droit de recourir à la violence, cette distinction rendant compte des rapports de pouvoir et de domination dans une société « étatisée ». C’est ce qu’illustre la présentation du livre de Elsa Dorlin « Se défendre : Une philosophie de la violence » : « En 1685, le Code noir défendait « aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons » sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l’État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s’armer. Aujourd’hui, certaines vies comptent si peu que l’on peut tirer dans le dos d’un adolescent noir au prétexte qu’il était « menaçant ». Une ligne de partage oppose historiquement les corps « dignes d’être défendus » à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce « désarmement » organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense. »

On peut illustrer cette analyse par un certain nombre de faits de violences physiques, de menaces et d’intimidations qui émaillèrent le quotidien des représentants politiques dès la fin du XIXe siècle au moment notamment où la France connut une vague d’attentats anarchistes comme la bombe lancée par Auguste Vaillant le 9 décembre 1893 dans la Chambre des députés, qui ne fit aucun mort, et l’assassinat du président de la République Sadi Carnot à Lyon le 24 juin 1894. La radicalité de cette violence paraît, de nos jours, reléguée aux études historiques et l’anarchisme disparu de la mouvance politique, pourtant les représentants politiques sont encore la cible de violences, les maires en particulier bien qu’ils soient, dans le microcosme politique, les seuls à bénéficier d’un niveau de confiance supérieur à 50 % d’après les données du baromètre de la confiance politique Sciences Po – Cevipof.

 

Cela suffit-il à inscrire la société française dans un processus de décivilisation ?

 

Pour Aurélien Aramini et Florian Gulli[5] : « Décivilisation » désigne d'une part le processus de destruction des communautés et d'autre part, le retournement du processus de civilisation, le reflux des comportements civilisés, le relâchement du contrôle des pulsions, le retour de la violence notamment, le retour de l'immédiateté et l'indifférence pour le présent et l'avenir, etc. « Décivilisation » réfère donc aux incivilités, à l'accroissement de la délinquance, aux nouvelles formes de violences particulièrement barbares, aux multiples formes d'agressivité tournée contre soi telle que la toxicomanie, etc. » Dans cette large définition il faut distinguer deux parties : d’une part la destruction des communautés, et d’autre part le reflux des comportements civilisés. Sans forcément rejoindre le discours présidentiel sur le communautarisme qui tendrait à prouver qu’au contraire de la définition de Aramini et Gulli loin de se déliter les communautés se renforcent, à l’exception sans doute de la « communauté familiale » à laquelle on pourrait adjoindre « les communautés éducatives » comme l’École. En revanche chacun peut constater l’accroissement de la violence sous toutes les formes possibles. Sans doute serait-il plus pertinent de parler des violences telles, par exemple, celles que Christophe Granger[6], en parlant des conduites estivales dans la France de l’entre-deux-guerres à la lumière du procès de civilisation, a pu les décrire : « L’incertitude des statuts sociaux, que signent l’affaissement du monde des oisifs, la montée du salariat et notamment l’ascension des emplois féminins dans la bourgeoisie, mais aussi l’impression de morcellement identitaire, dont Maurice Halbwachs[7] remarquait déjà dans les années 1920 combien il éreintait les individus, incline les fractions modernistes des « classes moyennes » et de la bourgeoisie ascendante à adopter d’autres principes de conduite propres à marquer autrement la distance à l’égard de la bourgeoisie ancienne et des classes populaires. C’est dans ce cadre social, celui d’un ordre moins nettement hiérarchisé, que s’avance l’exaltation estivale d’un relâchement des manières, dont il faudrait aussi pouvoir suivre l’inscription dans la structure des rapports professionnels et des échanges matrimoniaux. » ; « Car, sur un mode synchronique du moins, le relâchement estival, s’il n’assure pas à lui seul la formation de nouvelles hiérarchies, entre bel et bien dans le tracé de nouveaux principes de différenciation sociale. », et il ajoute « Ce que Norbert Élias ne disait pas, pour faire court, c’est bien que le relâchement estival, loin d’un simple ajustement des habitus, soit justement le lieu de luttes et de violences, qui ont pour enjeu la définition des conduites légitimes et leur régulation. […] les usages politiques du thème, à l’image du pamphlet nationaliste qu’y consacre Georges Anquetil[8] en 1927, mais aussi l’intervention des autorités et les empoignades publiques, comme à Malo-les-Bains ou à Sanary-sur-Mer à l’été 1933, se révèlent instructifs. Pris dans le regain des violences, qui ajournent alors la pacification d’une société civile travaillée, comme on sait, par les crises sociales et idéologiques, ils éclairent les logiques à l’œuvre. »

Cette mise en rapport, en relation de notre propos avec le thème étudié par Christophe Granger, plus qu’une comparaison, permet de mettre en évidence (c’est un truisme) qu’une société est un organe vivant qui évolue dans une historicité, qu’on ne peut pas couper l’analyse de la société à un moment de son histoire de l’ensemble des caractères qui la composent. Si on peut à propos du thème travaillé par Christophe Granger parler de décivilisation, comme Élias le fit pour la montée du nazisme et des tueries de masses que ce parti mis en œuvre, c’est parce qu’ils décrivent et analysent un phénomène social au sens qu’en donnait Emile Durkheim : « Toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel », on voit bien dans les exemples donnés par Élias et Granger qu’il y a quelque chose (une façon de faire, une façon d’être) qui s’impose aux individus, du moins à une très grande partie des individus d’une société, et qui au fil du temps se fixe sans doute comme modèle de comportement, comme norme sociale. Peut-on appliquer cette analyse aux « émeutes » de juin 2023 en France, ou à ce qu’il est convenu d’appeler la « montée de la violence » ? Les émeutes n’ont concerné qu’un nombre restreint d’individus par rapport à l’ensemble de la population, elles n’ont pas montré qu’elles pouvaient être (même pour la population concernée) une manière de faire fixée ; en rien elles n’ont constitué une norme, même pas pour les « émeutiers » dont, par ailleurs l’hétérogénéité des caractéristiques tout comme l’absence de substrat ou de référence « idéologiques » rendaient quasiment impossible qu’apparaisse un élément, un mouvement normatif. Concernant la « montée de la violence » qu’il faudrait définir notamment en sériant les actions incriminées, il est évident qu’il ne s’agit pas d’un phénomène social d’ampleur de nature à remettre en cause le fonctionnement, moins encore les fondements, de la société française. Pour inacceptables que soient les faits de violence ils ne concernent qu’une part extrêmement restreinte de la population et ne semble pas devoir imprégner une majorité des individus de la société ni constituer une façon d’être en société. Peut-être, vu leur ampleur en termes d’individus concernés et leur permanence, pourrions-nous regarder autrement les incivilités, mais là encore l’hétérogénéité des actions comme celle des individus concernés ne permet pas, pour l’instant, de parler d’un fait qui s’imposerait aux individus malgré eux.

Concernant les « émeutes » il ne s’agit que d’un évènement social c’est-à-dire ce qui « advient » à une certaine date et dans un lieu déterminé[9], à quoi j’ajouterai que les actions qui le composent ne concernent qu’un nombre limité d’individus. Or, « Un événement social, écrit Karl Popper (1956), est compris lorsqu’il est analysé dans les termes des forces qui l’ont produit. » Parlons, pour caractériser l’explication en sociologie, et suivant en cela l’assertion de Popper, de réalisme causal. Comprendre un phénomène social, c’est en exhumer les forces « productrices » véritables. »[10] C’est sûrement à ce travail de compréhension que devraient s’atteler les politiciens y compris ministres et président de la République pour trouver des solutions à des situations déplaisantes voire dangereuses pour la société et la majeure partie de ses membres.

 

Ainsi, l’usage du terme « décivilisation », au-delà du fait qu’il ait pu être brandi commune une oriflamme par quelques intellectuels de l’extrême droite, ne doit pas être utilisé par le président de la République pour expliquer les désordres de la société qu’il est infoutu de maîtriser, sauf à vouloir, comme c’est son habitude, pour masque son inculture historique et sociale derrière un « mot paravent » qui frappe les esprits autant qu’il les anesthésie mais qui ne résout rien. Faisant ainsi il voudrait se montrer en « père sauveur du monde » qui éloigne le mal comme un oiseau gonfle son plumage pour effrayer un adversaire. Outre les aspects linguistiques liés à la personnalité propre du président, narcissique et pétri d’orgueil, l’utilisation inappropriée de « décivilisation » dans un discours politique entretient du flou sur la situation que le président a pour mission de gérer en ouvrant la porte à de multiples interprétations. Comme, dans une tribune parue le 19 juin 2023 dans le journal Le Monde, le rappelle Florence Delmotte[11] en montrant à quel point l’usage de « décivilisation », concept de sociologie, dans le langage politique mû par un jeu sur l’émotion ressenti par les citoyens peut être dangereux notamment en masquant les violences d’État, symboliques avec un incroyable arsenal de lois coercitives depuis 2017, ou physiques avec une action brutale sans retenue de la part de la police du « maintien de l’ordre ». Ce serait peut-être plus l’action violente de l’État sous l’ère macroniste qu’il faudrait étudier avec le concept de décivilisation : l’État, plus particulièrement, depuis 2017, ne suit-il pas un processus de décivilisation ?

 

Quoi qu’il en soit, tout politicien devrait se souvenir de la phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde ».

 

 

[1] Un an après la parution du livre de Freud, le part nazi atteignait 39% aux élections.

[2] Philippe Bénéton, Histoire de mots : culture et civilisation, 1975

[3] Sabine Delzescaux, « Autocontrainte et processus de décivilisation : la conception d’Elias », Individu & nation [En ligne], vol. 3 | 2009, publié le 04 décembre 2017 et consulté le 06 septembre 2023. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=196

[4] Représentant le « bras armé » de l’Etat mais qui, au vu de ses façons d’agir et des dernières manifestations organisées par les syndicats de policiers, montre qu’elle s’autonomise fortement et se distancie de l’Etat pour devenir un organisme quasi autonome proche d’une communauté.

[5] Aurélien Aramini et Florian Gulli, « Du concept de décivilisation » (Philosophique, 17, 2016)

[6] Christophe Granger, du relâchement des mœurs en régime tempéré : Corps et civilisation dans l'entre-deux-guerres, http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2010-2-page-115.htm

[7] Maurice Halbwachs, Les Causes du suicide, Paris, F. Alcan

[8] Georges Anquetil, Le Bal sur le volcan : mœurs de vacances.

[9] Roger BASTIDE, ÉVÉNEMENT, sociologie - Encyclopædia Universalis, consulté le 8/09/2023

[10] Bulle, Nathalie. « Introduction générale. L'explication de l'action sociale », L'Année sociologique, vol. 55, no. 1, 2005, pp. 9-18.

[11] Florence Delmotte, Parler de décivilisation relève du contresens.


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