Des séquences rétro-transcrites de l’ARN SARS-CoV-2 dans l’ADN humain

par Bernard Dugué
mercredi 19 mai 2021

 

 Virus et canasta génomique

 L’échange et la conservation de « cartes génomiques » est un phénomène courant participant à la logique du vivant. Les virus géants sont connus pour avoir emprunté des centaines de gènes aux amibes qu’ils infectent, à moins qu’ils n’aient été les ancêtres des noyaux et représentent alors des génomes très incomplets ayant perdu le codage des fonctions essentielles, notamment le métabolisme. Les mécanismes des virus géants sont sans doute des processus d’échange génomique conservés comme des fossiles encore fonctionnels. Les organismes supérieurs ont eux aussi joué à ce jeu de canasta génomique.

 L’intégration de séquences virales dans les génomes a été observée, autant chez les humains que les animaux. Cette insertion est le résultat de l’évolution dont on mesure la trace en étudiant les rétrovirus devenus endogènes, les H-ERV qui représentent 8% du génome humain. Le VIH s’intègre à l’ADN mais cette fois, c’est un processus pathologique causé un rétrovirus exogène. Si l’on devait trouver une logique à cette intégration virale, elle serait de deux ordres. (i) D’abord une sorte de stratégie évolutive car les virus codent pour des protéines structurales ou fonctionnelles sélectionnées par les cellules, dotés d’une efficacité certaine pour véhiculer des génomes. Les virions utilisent des protéines de surface (enveloppe) ou nucléaire (capside) dotées de compétences en interférant avec les membranes et la machinerie moléculaire de l’hôte. Un énigmatique jeu de canasta génomique se dessine, avec des cartes en circulation. Les cellules des organismes infectés ont parfois un intérêt à « piquer » la notice de fabrication de ces protéines virales pour les insérer dans leur jeu de carte ; sans doute pour les tester, sous réserve que le virion se reproduise et transforme un tissu ou un organe. (ii) Le second intérêt est d’ordre « identitaire », autrement dit, la mémoire de l’organisme. Insérer une séquence virale permet d’obtenir une mémoire immunitaire pouvant s’activer si les procédés de signalisation sont opérationnels. Ce mécanisme est utilisé par les bactéries sous une forme spécifique, utilisant le système CRISPR-Cas connu du grand public depuis qu’il fut détourné par deux biologistes très douées pour en faire un outil de génie génétique. Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna reçurent le prix Nobel pour ces travaux innovants. Les bactéries incorporent ainsi des petites séquences virales pour servir de banque de données et se défendre en cas de nouvelles infections. Pour les organismes supérieurs, notamment issus du clade jawed vertebrates, on peut imaginer une veille génomique, une sorte de mémoire complémentaire dont le mécanisme est distinct de la mémoire immunitaire acquise, humorale ou cellulaire, avec des récepteurs sur les cellules T ou des anticorps générés par le complexe HLA. La veille immunitaire classique est externe, elle surveille le virus lorsqu’il arrive sur les membranes en traquant les épitopes. Si une veille immunitaire génomique existe, elle est alors non classique, plutôt inédite.

 8% du génome humain est composé de séquences rétrovirales (H-ERV) réparties en 80 groupes et insérées depuis des millions d’années, voire bien plus. Il arrive que des protéines aux origines virales soient utilisées par les organismes qui ont intégrés leur gène, souvent par rétrotranscription. C’est le cas de la syncytine-1, qui était une protéine Env de l’enveloppe virale couramment utilisée par les virus à ARN, puis habilement détournée et conservée pour façonner la barrière placentaire chez les primates. Cette protéine est codée par les rétrovirus H-ERV du groupe W. Ce processus d’insertion virale s’inscrit dans un procédé plus élargie défini et conçu comme exaptation par les biologistes Gould et Vbra. Le principe est celui d’un gain de fonction produit par un organisme en détournant une fonction dans une nouvelle direction. Cette fonction est en quelque sorte un outil détourné. Le génome possède des mécanismes pour retenir le plus de cartes génomiques afin d’augmenter les « chances » de sélection naturelle, c’est du moins ce que je pense même si cette thèse semble avoir quelque relent finaliste. On doit noter que ces séquences sont à double tranchant. La séquence HERV-W est utilisée pour produire la syncytine-1 placentaire mais elle est aussi impliquée dans l’étiologie de pathologies auto-immunes comme la sclérose en plaque et sans doute le Covid chronique. L’insertion des séquences virales couvre des échelles de temps diverses. La mémoire est importante, pour subsister comme espèce pendant des millions d’années ou exister comme spécimen le temps d’une vie. L’intégration d’une séquence virale confère un avantage ou à l’inverse, cause une pathologie. Le virus herpès de la roséole, HHV-6, dont le génome est un ADN double brin, est connu pour s’insérer dans le génome, au niveau des télomères, avec la complicité d’une protéine nucléaire, la TRF2, dont le rôle est pourtant de protéger le génome des altérations. Les virus ne font pas qu’infecter les cellules pour se reproduire en déjouant les réponses immunitaires, ils représentent aussi des cartes génomiques pouvant s’insérer dans le jeu complet de l’hôte et parfois produire une instabilité dans le génome et son organisation chromosomique.

 

 Rétrotranscription de séquences génomiques du SARS-CoV-2

 Le SARS-CoV-2 étant un coronavirus à ARN disposant d’une réplicase, il n’est pas censé s’intégrer au génome. Les cliniciens ont constaté depuis le développement de la pandémie de Covid que le coronavirus est parfois présent des semaines après l’infection, détecté par RT-PCR sur des prélèvements, alors qu’il ne se réplique plus. Cette énigme aurait été résolue si l’on en croit cette étonnante découverte publiée par des chercheurs américains dans le PNAS. Le génome à ARN du SARS-CoV-2 est capable de s’intégrer au génome humain en utilisant la transcriptase inverse de l’hôte (Zhang, 2021). Plus précisément, ce n’est pas le génome ARN viral intact qui s’incorpore mais un transcrit dérivé, constitué à partir d’ARN subgénomiques produits par la transcriptase du coronavirus. Ce détail est précieux car il indique que le texte génomique intégré ne peut pas produire un virus infectieux. Le prestigieux virologue David Baltimore, auteur du système de classification virale qui porte son nom, et lauréat du Nobel pour la découverte de la RT, a qualifié ces travaux d’impressionnants et inattendus, tout en notant que seule une partie des cartes génomiques du SARS-CoV-2 est intégrée, ce qui exclut la production de virions fonctionnels. En revanche, il n’est pas exclu que cette insertion conduise à activer d’autres processus pouvant générer des pathologies auto-immunes. L’insertion des séquences virales est effectuée par une transcriptase inverse (RT) associée aux longues séquences intercalées LINE-1. Elle est réalisée en mélangeant des séquences hôtes si bien que l’insert est caractérisé comme chimérique. C’est comme si les cartes génomiques du coronavirus étaient récupérées, altérées, puis mélangées au cartes du génome humain.

 Cette intégration du SARS-CoV-2 a déclenché une intense controverse dans la communauté scientifique. Surtout parce que cette découverte pouvait jeter un doute sur la campagne de vaccination en étant détournée par les activistes antivax. Ces travaux furent prépubliés hâtivement en décembre 2020 puis retirés avant d’être publiés par la prestigieuse revue PNAS après force révisions. Il fallait notamment exclure un possible artefact, ce qui est possible dans ce genre d’expérience, avec les technologies pouvant produire les séquences chimériques et qui sont utilisés dans cette étude. Cette critique fut développée dans un papier publié en mars 2021 dans les BioRxiv par deux chercheurs britanniques, assurant ainsi une sorte de déminage. Ensuite parce que les résultats sont obtenus sur des cultures cellulaires, alors que la détection sur des tissus de patients décédés ou vivants est plausible mais en cours d’investigation selon les deux responsables de cette étude, Richard Young et Rudolf Jaenisch, qui disposent d’un faisceau de preuves mais n’ont pas encore la certitude expérimentale de cette insertion du Cov chez l’homme. Enfin parce que la connaissance du fonctionnement des séquences LINE-1 et des transcriptases associées ne laisse pas penser qu’une telle intégration soit possible. S’il y a bien une insertion, alors cette observation indique que le virus est entré dans le noyau alors qu’il n’a pas besoin de le faire pour se répliquer. Il lui suffit de détourner l’appareil ribosomique situé dans le réticulum endoplasmique pour produire ses pièces, y compris les protéines fonctionnelles parmi lesquelles la nsp12 permet au génome viral de se répliquer avant d’être assemblé pour générer les virions complets. La présence de coronavirus sous une forme ADN rétrotransposé indique deux choses. D’abord l’entrée de l’ARN viral dans le noyau, ensuite la reconnaissance de cet ARN par la rétrotranscriptase de l’hôte qui s’active.

 Ce résultat annonce peut-être une découverte majeure et n’aurait pas dû être discuté sur la place publique, sauf que depuis la pandémie de Covid, une agitation sociale et politique s’est greffée à la science. Si bien que les spécialistes se sont inquiétés de la possible récupération de cette découverte par les activistes antivax. La prépublication des travaux de Young et Jaenisch en décembre 2020 fut même retirée des BioRxiv. Young et Jaenisch ont même confié à la presse avoir reçu plus de critiques que pour la totalité des études proposées à la publication durant leur carrière de chercheur (Cohen, 2021). Vous imaginez, de l’ARN coronaviral pouvant être intégré dans l’ADN humain, alors, pourquoi pas l’ARN utilisé dans les vaccins ? Oui, mais encore faudrait-il que cet ARN vaccinal, qui ne contient que la séquence Spike, puisse parvenir d’abord au noyau, puis être reconnu pour être rétro-transcrit. Cette éventualité est pratiquement exclue car cet ARN vaccinal ne peut pas parvenir au noyau, étant simplement utilisé par les ribosomes insérés dans le réticulum endoplasmique. Bien que portée par une technologie innovante, la vaccination par ARN reste classique dans son principe, jouant sur la stimulation de l’immunité acquise. En revanche, une possible insertion du génome viral dans l’ADN humain suppose que le coronavirus puisse parvenir au noyau. Comment est-ce possible ?

 Un génome aussi grand que celui d’un coronavirus ne devrait pas parvenir au noyau, sauf s’il est aidé et cette aide pourrait bien passer par une protéine jusqu’alors négligée, la protéine N qui se lie au génome pour former la nucléocapside. Cette protéine a été localisé dans le nucléole et semble donc jouer un rôle mais les observations ne fournissent qu’un spectre d’indice ne permettant pas de tirer des conclusions certaines. La présence d’arginine sur cette protéine N explique une possible affinité pour les ARN de la cellule hôte et notamment les ARN ribosomiques dont la synthèse se fait dans le nucléole (McBride, 2014). De plus, la localisation de N dans le nucléole est un caractère des coronavirus infectant les mammifères et serait impliquée des mécanismes viraux sophistiqués, comme la transcription d’ARN subgénomique et même une perturbation du cycle cellulaire (McBride, 2014). Enfin, je suggère que l’hypothèse d’une utilisation de la protéine N par le génome pour entrer dans le noyau est envisageable, cette protéine servant alors de cheval de Troie.

 La découverte de l’intégration du SARS-CoV-2 n’offre que trois développements possibles. Cette observation pourrait-être un artefact produit pas la technologie employée, auquel cas il n’y aura pas de suite. Dans le cas contraire, cette intégration pourrait être marginale, une sorte d’accident génomique constaté en de rares occasions. Enfin, troisième option, fascinante par ce qu’elle promet, l’insertion du génome de coronavirus est un procédé courant utilisé par les organismes. Il convient alors de procéder à des recherches élargies. Pour l’instant, le seul article publié émane de Young et Jaenisch et l’on ne peut qu’être surpris par l’absence de publications confirmant ou infirmant ce résultat. Il s’est tout de même passé 5 mois depuis la prépublication de ces travaux. Le sujet est-il trop sensible pour que les virologues s’abstiennent d’y travailler ? Les scientifiques craignent-il une récupération des résultats par les opposants au vaccin ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt que ces observations nécessitent des méthodologies très élaborées et qu’il faut du temps pour confirmer les résultats. Qui du reste ne sont pas interprétables dans un cadre classique.

 L’avenir dira si cette découverte se confirme et si elle incline à redistribuer les cartes de la virologie, voire la biologie. Cette insertion de cartes génomiques exogènes révèle en fait l’instabilité génomique dont les conséquences sont à l’image de Janus. Conserver une mémoire génomique possède un avantage mais aussi peut générer des désordres. Il y aurait intérêt à articuler cette étonnante découverte avec d’autres études et notamment les travaux récents concernant l’activation par le SARS-CoV-2 de la protéine Env codée par les rétrovirus endogènes du groupe HERV-W. Rappelons aussi ces études déjà anciennes ayant détecté la présence de coronavirus dans les tissus nerveux. Des virus apparemment anodins comme le NL-63 ou le 229 E causent les rhumes mais ont été observés par RT-PCR sur des prélèvements post-mortem de patients atteints par des pathologies neurologiques et notamment la sclérose en plaque (Arbour, 2000). Enfin, il est nécessaire d’examiner ce que deviennent des séquences rétro-intégrées par le génome. Sont-elles réduites au silence ou alors utilisées en étant transcrites à nouveau en ARN ?

 

 

 

 Nathalie Arbour, Robert Day, Jia Newcombe, Pierre J. Talbot ; Neuroinvasion by Human Respiratory Coronaviruses ; Journal of Virology Oct 2000, 74 (19) 8913-8921

https://doi.org/10.1128/JVI.74.19.8913-8921.2000

 

 John Cohen ; Further evidence supports controversial claim that SARS-CoV-2 genes can integrate with human DNA ; Science, may, 5 2021

https://www.sciencemag.org/news/2021/05/further-evidence-offered-claim-genes-pandemic-coronavirus-can-integrate-human-dna

 

 McBride R., van Zyl M., Fielding B.B. ; The Coronavirus Nucleocapsid Is a Multifunctional Protein ; Viruses. 2014 Aug ; 6(8) : 2991–3018.

 https://dx.doi.org/10.3390%2Fv6082991

 

 Liguo Zhang, Alexsia Richards, M. Inmaculada Barrasa, Stephen H. Hughes, Richard A. Young, Rudolf Jaenisch ; Reverse-transcribed SARS-CoV-2 RNA can integrate into the genome of cultured human cells and can be expressed in patient-derived tissues ; Proceedings of the National Academy of Sciences May 2021, 118 (21)

https://doi.org/10.1073/pnas.2105968118

 

 B. Dugué ; Après le SARS-CoV-2, la révolution biosémantique en virologie ; 

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/apres-le-sars-cov-2-la-revolution-231185

 


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