La gravité quantique sera la prochaine révolution scientifique. Dieu à l’horizon

par Bernard Dugué
vendredi 27 janvier 2023

 

Ce texte contient une partie destinée à s’insérer dans un gros livre ayant pour thème Dieu, la Trinité et la science. Les éditeurs sont cordialement invités à me contacter pour examiner une possible édition (nomprénom - gmail)

 

 1) Dans son dernier livre, le physicien nobélisé Sir Roger Penrose notait que le Web donne un accès à une colossale masse d’informations tout en remarquant qu’il était de plus en plus difficile de faire le tri entre des découvertes innovantes et des résultats dont la notoriété n’est due qu’à un effet de mode transitoire amplifié par les réseaux sociaux diffusant des leurres attirant le spectateur croyant être au fait d’une passionnante aventure, ce qui détourne son attention si bien qu’il ne va pas voir dans les alcôves de la science les graines semées porteuses de découvertes inédites. Le temps fera son œuvre et la situation n’a rien de désespéré puisque les résultats prometteurs sont accessibles grâce aux scientifiques ainsi qu’aux publications à destination d’un public élargi. Il faut juste savoir les trouver. Un récent papier paru dans Nature a noté que la science produit de moins en moins des avancées disruptives conduisant les spécialistes à réorienter leurs recherches pour construire sur du neuf plutôt que consolider de l’ancien. Si la scène paraît figée, en biologie, évolutionnisme, neurosciences, physique ordinaire, l’innovation vient plutôt des investigations théoriques, souvent transversales. La spécialité la plus secouée par les spéculations théoriques est sans conteste la gravité quantique.

 

 2) Les théoriciens tordent dans tous les sens les modélisations des particules de matière en les mettant à l’épreuve de la cosmologie relativiste d’Einstein tout en sachant que ces deux « blocs mathématiques » ne sont pas conciliables, notamment parce que la cosmologie décrit comment l’espace se forme et déforme en présence des masses alors que l’espace n’est qu’une scène disponible pour placer les particules faute de lieu. Un espace ne peut pas émerger à partir des particules, c’est du moins ce que l’on croyait avant que qu’astucieux physiciens ne « bricolent » le principal résultat issu de la confrontation entre les cordes quantiques et la cosmologie. Ce résultat s’expose simplement. Deux modèles se correspondent, l’un contenant les particules sans la gravité, organisée comme un champ conforme et l’autre d’une dimension supplémentaire contenant la gravité. Ces deux modèles, CFT et AdS, ne décrivent pas notre univers mais les physiciens ne désespèrent pas de trouver une version de cette dualité appliquée à notre cosmos. C’est partant de ce résultat que des théoriciens ont réussi à expliquer l’émergence d’un espace en jouant sur l’intrication des particules dans le champ CFT. Ces recherches et ces avancées fondées uniquement sur des formules et calculs mathématiques ont été exposées dans une revue accessible au lecteur instruit des choses scientifiques (Anil Ananthaswamy, Scientific American, nov-2022)

 

 En calculant l’entropie d’intrication dans la moitié CFT et la géométrie de l'espace-temps dans l’autre moitié AdS, des équipes rassemblées autour de Netta Engelhardt et Mark Van Raamsdonk ont établi des propriétés sur notre cosmos. Ils ont trouvé que l’espace-temps du côté AdS émerge de l’intrication quantique du côté CFT ; pas seulement dans les trous noirs mais dans tout l'univers. Ce résultat se comprend avec une par analogie. Vous considérez un gaz très dilué de molécules d’eau. Les physiciens ne peuvent pas décrire la dynamique de ce système à l’aide des équations de l’hydrodynamique car le gaz dilué ne se comporte pas comme un liquide. Mais si ces molécules d’eau se condensent pour former une masse liquide, alors le comportement collectif de ces mêmes molécules respecte les règles de l’hydrodynamique. Faite alors le chemin à l’envers et demandez-vous où sont les règles de l’hydrodynamique lorsque l’eau est gazeuse ; eh bien elles n’y sont pas, elles ne peuvent être trouvées. Ce raisonnement vaut dans tous les domaines. Cherchez les règles spécifiant l’écriture sumérienne dans les vestiges néolithiques, vous ne trouverez rien. L’émergence traduit une disruption entre ce qui était avant et ce qui est maintenant. Le cosmos étendu spatiotemporel apparaît maintenant sous l’angle d’une émergence.

 

 L’origine de l’émergence se situe du côté CFT. Vous construisez des sous-systèmes quantiques, autrement dit des sous-ensembles plus petits du système global que vous décrivez ; chacun avec des champs et des particules, sans aucun entrelacs. Dans la description duale AdS, vous obtenez un système sans espace-temps. Et sans cet espace-temps, la relativité générale d’Einstein n’a pas sa place, elle n’a rien à faire et ne peut être déduite, pas plus que vous ne pouvez extraire à partir d’un gaz de molécules d’eau les lois de l’hydrodynamique. En revanche, lorsque l’intrication du côté CFT commence à augmenter, l’entropie d’intrication des sous-systèmes quantiques décrit dans l’autre moitié AdS des bulles d’espace-temps émergentes. Ces bulles sont physiquement déconnectés les unes des autres : passer d’une bulle A à une bulle B n’est possible qu’en quittant à la fois A et B. En revanche, chaque bulle individuelle, A, B ou X, peut être décrite en utilisant le langage de la relativité générale. Maintenant, augmentez l’intrication des sous-systèmes quantiques dans la moitié CFT et quelque chose d’étonnant se produit dans la moitié AdS. Les bulles d’espace-temps commencent à se connecter, fusionner si l’on veut, et vous avez un bloc contigu d’espace-temps. Le « bon schéma » d’intrication quantique engendre un espace-temps de l’autre côté. C’est presque comme si l’espace-temps était une manifestation géométrique de l'intrication explique Van Raamsdonk : « Supprimez l’intrication et vous éliminez tout simplement l’espace-temps. Engelhardt ne dit pas autre chose : « L’intrication entre les systèmes quantiques est déterminante pour l’existence et l’émergence de l’espace-temps ». En conclusion, la dualité suggère que l’espace-temps de notre univers physique pourrait être une propriété émergente d’une partie sous-jacente et intriquée de la nature matérielle.

 

 Rappelons le devoir de prudence face à des relations mathématiques découplées de l’univers réel mais construites à partir de notions, concepts et règles modélisant le réel. Cette mise au point effectuée, on ne peut qu’être interpellé par résultats dont les implications philosophiques sont « colossales ». Ces résultats mène vers des réponses à trois questions fondamentales ; qu’est-ce le cosmos-matière et quel est le rôle ainsi que l’origine de la « gravité quantique » ?

 

 Van Raamsdonk note que si l’espace-temps émerge du degré et de la nature de l’intrication dans un système quantique de dimension inférieure, cela signifie alors que le système quantique est plus « réel » que l'espace-temps dans lequel nous vivons ; autrement dit, la carte postale 2D est plus réelle que l’hologramme 3D qu’elle produit. Que l’espace et sa géométrie devraient découler de la mécanique quantique est une idée profondément choquante pense-t-il. Mais n’est-ce pas une reformulation de l’allégorie de la caverne de Platon ? Le monde sensible, étendu, géométrique, est une projection à partir du monde « caché » de l’Intelligible ? Le second résultat est tout aussi étonnant car il conduit à considérer la gravité comme une propriété émergente se manifestant lorsqu’un seuil d’intrication est atteint. Un peu à la manière des transitions de phase ou alors des émergences dans les systèmes hors-équilibre. Le seul souci et il est de taille, c’est que les émergences dans la matière et le monde chimique s’expliquent par la transaction électromagnétique qui communique et génère des forces attractives et répulsive. La gravité émergente est d’une toute autre essence. En tant que force, elle est attractive, en tant que principe ordonnant l’existence manifeste (matière, temps et espace), elle est rétentrice, s’opposant à la dispersion, voire dilution de l’univers. De plus, le cosmos émergé possède une durée kosmologique, incommensurable avec les émergences matérielles se dissolvant sitôt une température élevée appliquée ou alors s’éteignant au bout de quelques mois ou années lorsqu’il s’agit des espèces vivantes. Il n’est pas certain que la théorie des transitions de phase et des systèmes hors-équilibre puisse être transposée à la compréhension du cosmos bien que des analogies puissantes puissent éclairer ce champ. Sakharov s’était déjà essayé à ce jeu dans les années 1960, constatant que les phénomènes émergents dans la matière condensée présentent de fortes analogies avec les phénomènes modélisés par la relativité générale. Mais au final, ces idées n’ont pas été suivies et les spécialistes de la gravité quantique ont compris que l’émergence de l’espace-temps est d’une toute autre nature. Les lois de la matière organisée ne sont pas transposables au cosmos. La gravité donc est à part, elle ne fonctionne pas comme les trois autres interactions fondamentales. De rares voix osent envisager abandonner la relativité générale d’Einstein au profit d’une nouvelle modélisation de la gravité et pourtant c’est bien ce qui risque de se produire plus tôt qu’on ne le pense. Il n’est pas certain que cet événement passionne une opinion ayant perdu le goût des choses difficiles.

 

 D’après Van Raamsdonk, une rupture s’opère dès lors que l’on admet que notre propre univers a une image quantique sous-jacente, une description holographique sous-jacente. Si cette thèse se confirme, alors ce sera un saut aussi important dans notre compréhension de l'univers que tout ce qui s'est passé dans l’histoire de la physique.

 

 Le lien entre intrication et gravité quantique laisse transparaître une nouvelle manière d’expliquer le cosmos en laissant planer une équivoque sur ce cosmos. Est-ce celui qui est étudié par la science ou bien un cosmos plus ontologique, apparenté au Dasein heideggérien ? Quelques idées peuvent être suggérées (elles ne seront pas exposées ici, réservées au livre en finition)

 

 Dieu à l’horizon. Les avancées en gravité quantique laissent une place pour expliquer le mystère qui par essence, a vocation à être vécu plutôt qu’expliqué. Un point de rencontre est envisageable entre le logos redécouvert par les physiciens à travers la gravité quantique et dévoilé par Héraclite il y a 2500 ans. Le regard est orienté vers l’avenir et non pas le passé, les origines, la création et le mythe du big bang. Quelle est la place du Logos de Jean et de la Trinité dans cet espace de pensée ? C’est la grande question du siècle qui cheminera avec la révolution de la gravité quantique. Je n’en dis pas plus.


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