Les chauves-souris, un réservoir viral colossal

par Bernard Dugué
mercredi 28 avril 2021

Texte extrait d'un essai consacré à la philosophie des virus et au sens et origine de la vie. 

Si éditeur sérieux intéressé, merci de me contacter pour échanger sur ce livre en préparation plutôt décalé par rapport à la littérature proposée sur le marché. La crise actuelle incline à être audacieux

 

 2) Les chauves-souris, un réservoir viral colossal

 

 Les mammifères comptent quelque 6500 espèces distribuées en 29 ordres regroupant des espèces se comptant en dizaines (par exemple félins, carnivores), parfois centaines et pouvant dépasser le millier. C’est le cas des rongeurs, issus du superclade euarchontoglires, dont on connaît quelque 2000 espèces. Les chauves-souris constituent l’ordre des chiroptères issu de l’autre superclade des laurasiathériens, comptant quelque 1400 espèces répertoriées et se divisant en deux sous-ordres, les mégachiroptères communément appelées roussettes, comptant 170 espèces, et les microchiroptères, plus diversifiées dont fait partie le genre rhinolophe plus connu sous le dénominatif chauve-souris fer à cheval, devenu populaire car elles constituent le réservoir des coronavirus apparentés aux deux SARS humains. Le virus MERS ayant causé une petite flambée épidémique en 2012 au Moyen-Orient serait quant à lui hébergé dans un réservoir composé de chauves-souris du genre pipistrelle. Les chauves-souris représentent ainsi le second ordre de mammifère le plus diversifié, soit quelque 22% des espèces. L’étude des virus de chauve-souris remonte à plus d’un demi-siècle mais ce n’est que récemment que la virologie a intensifié ces recherches et l’on comprend pourquoi puisque ces espèces animales constituent un réservoir pour les coronavirus pouvant représenter les souches ancestrales ayant produit les souches infectieuses pour l’homme. Ce que l’on ignore en général, c’est que les chauves-souris hébergent des virus appartenant à 28 familles différentes, parmi lesquelles figurent les coronavirus avec près de 4000 souches et variants séquencés, auxquelles s’ajoutent les milliers de séquences enregistrées dans les autres familles, rhabdovirus, paramyxovirus, adénovirus, reovirus, parvovirus… dont les génomes sont diversifiés, ARN double ou simple, polarité positive ou négative, ADN double ou simple (Letko, 2020).

 

 L’extrême diversité des virus de chauve-souris serait imputable à la non moins extrême diversité des espèces qui la plupart, occupent des régions limitées, ou alors migrent sur de larges distances. Un parallèle peut être tracé entre les langues et les virus. Un consensus chiffre à environ 7000 le nombre de langues parlées, avec 80% de locuteurs pour les 80 langues les plus employées et 20% se partageant les quelques milliers de langues dont certaines n’ont que quelques centaines de locuteurs. La diversité des langues est un héritage historique légué par des sociétés humaines ayant utilisé ces langues pendant des siècles voire des millénaires, le plus souvent sédentarisées. Les sociétés humaines sont le résultat d’une spéciation culturelle et non plus seulement naturelle. Plus il y a de sociétés plus il existe des langues usitées. Plus il y a d’espèces animales, plus nombreux sont les virus hébergés. Les chauves-souris sont porteuses de virus mais en règle générale, elles ne tombent pas malade, comme si un jeu symbiotique s’était installé, entre les animaux et les virions. Mais lorsque les humains se déplacent et vont déranger ces bestioles, alors le jeu tourne mal et quelques fois, les virions animaux infectent les hommes et créent des pathologies parfois mortelles. Et bien souvent, d’autres espèces animales finissent par acquérir un des nombreux virus hébergés par les chauves-souris.

 

 C’est en visitant dans les années 1980 une grotte peuplée de chauves-souris que deux Européens contractèrent une maladie hémorragique. Un Français attrapa lui aussi cette maladie dite de Marburg et décéda non sans avoir contaminé un jeune médecin qui échappa de peu à la mort. En 1998 une épidémie plus sérieuse affecta quelque 150 personnes en république du Congo, puis une série de foyers fut observée en 2005 en Angola. 80% de ces patients infectés décédèrent. Le virus de Marburg est l’un des plus létaux avec Ebola ; il est manipulé en laboratoire P4. Il appartient à la famille des filovirus et contient un génome non segmenté à ARN de polarité négative. Le virus Ebola est lui aussi de cette famille ainsi nommée à cause de l’apparence filamenteuse des particules virales. On trouve dans cette famille le virus Měnglà assez proche des précédents, isolé en 2019 sur roussette dans la province du Yunnan.

 

 Ce sont également des roussettes qui hébergent un autre agent très dangereux, le virus Nipah, appartenant à la famille des henipavirus au génome ARN négatif, ainsi que le virus Hendra. Ces deux virus sont surveillés par l’OMS car ils sont des agents potentiellement zoonotique, non seulement pour l’homme mais quelques animaux domestiques, porcs, chevaux. Le virus Hendra causa la mort de 34 chevaux et de leur entraîneur en 1994, dans la banlieue de Brisbane. Quelques études semblent indiquer que les cas et foyer liés au henipavirus sont localisés dans une large étendue incluant l’habitat des roussettes géantes appartenant au genre Pteropus. Y figure la Malaisie où un foyer affecta également chèvres, moutons, chats et chiens. Ce détail nous rappelle la propagation du SARS-CoV-2 qui, on le sait maintenant, aurait contaminé en Angleterre des chats et des chiens.

 

 Tous ces éléments expliquent pourquoi les chauves-souris sont surveillées de près car elles constituent un réservoir viral unique en son genre mais des zones d’ombre résistent à l’investigation scientifique. Nous ignorons pourquoi ces virus circulent sans causer des infections persistantes pouvant impacter ces espèces. Quelques expériences menées sur des spécimens en captivité ont fourni des résultats sur la durée de prévalence des virus dans une population restreinte. D’autres études ont confirmé que le système immunitaire des chauves-souris explique pourquoi les virus sont contrôlés par les hôtes et que leur diffusion dans le milieu se fait à un seuil très bas. En revanche, les conditions de stress semblent affecter l’immunité et favoriser la diffusion des virions. Au final, ces étranges mammifères volant montrent que la nature a produit des mécanismes très efficaces permettant de limiter les infections virales et de ce fait, préserver ces animaux de maladies pouvant mettre en danger l’espèce (Letko, 2020). Les évolutionnistes « purs et durs » ne manqueront pas d’ajouter que si ces mécanismes immunitaires sont efficaces, c’est qu’ils sont le produit d’une longue sélection naturelle. Quelques études ont placé l’interféron comme signe d’une immunité naturelle efficace pour cette espèce, confirmant ce que l’on sait de l’immunité innée lorsqu’elle fonctionne chez l’homme, ou bien défaille à l’occasion d’une « perturbation de fonction » causée par un agent infectieux. Que les chauves-souris ne soient pas malades ne signifie par pour autant qu’elles aient éliminé la circulation des virions (et nous en avons la preuve, bien avant le Covid). Les virologues penchent en faveur d’une élimination incomplète des virus et donc, à une infection endémique mais asymptomatique. Les chauves-souris constituent donc un réservoir unique de virus pouvant franchir les barrières inter-espèces et contaminer un large spectre de mammifères, la plupart vivant à l’état sauvage. La transmission zoonotique se produit lorsqu’un spécimen se contamine au contact de chauves-souris, ce qui est un événement assez rare car les animaux obéissent à une logique de distance sociale ; ils ne se fréquentent pas, sauf dans les cas assez singuliers de symbiose. En revanche, le contact avec des excréments de souris ou de nutriments souillés de salives explique les transmissions zoonotiques. Et comme les hommes vont rarement à la rencontre des chauves-souris, la piste d’un animal intermédiaire plus fréquenté est privilégiée. Pour le premier SARS la civette palmée a été suspecté. Cet animal sauvage est capturé en Chine car il est prisé des gourmets. Pour le MERS c’est le chameau qui fut suspecté. Pour le second SARS de 2019, la piste du pangolin est devenue une légende. Les scientifiques penchent plutôt vers le vison, la civette palmée mais aussi le chien viverrin utilisé pour sa fourrure. Mais n’oublions pas que la transmission zoonotique sans intermédiaire est possible, comme l’indique l’histoire des six employés infectés en 2012 alors qu’ils travaillaient dans une mine située dans le Yunnan, souillée par des excréments de chauves-souris. D’autres animaux sont aussi connus pour véhiculer des virus avec une efficacité remarquable, ce sont les oiseaux.

 

 

 3) Les oiseaux vecteurs de propagation virale

 

Letko, M., Seifert, S.N., Olival, K.J. et al ; Bat-borne virus diversity, spillover and emergence. ; Nat Rev Microbiol 18, 461–471 (2020). https://doi.org/10.1038/s41579-020-0394-z

 


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