Explications, par un de ses auteurs, de la lettre ouverte adressée à l’administration de Polytechnique

par Charles Carpentier
jeudi 18 avril 2024

La personne interrogée est un étudiant de l’École polytechnique et un des coauteurs de la missive qu’a reçu l’administration de l’X le 6 avril 2024. Selon l’intervenant, des professeurs de l’École ont bien participé aux réflexions, mais peu ont signé pour ne pas mettre en porte à faux leurs différentes instances de gouvernance démocratique internes.

  1. Dans la lettre, vous et les 590 autres polytechniciens demandez l’arrêt des partenariats avec TotalEnergies, BNP Paribas, Crédit Agricole... ne pensez-vous pas que ce sont CES entreprises-là qui peuvent changer les choses et non les nouvelles start-ups « eco-friendly » ?

    L’étudiant : Pour nous ce n’est ni l’un ni l’autre. Ce qu’il faut, c’est une prise de conscience au niveau du pouvoir politique pour réorienter notre manière de consommer vers davantage de sobriété.

    Après TotalEnergies dispose d’un levier d’action énorme, c'est vrai, mais le problème c’est le décalage entre les faits et leur communication. Ils continuent d’investir dans des projets pétroliers ou gaziers nouveaux et cela annule les bien maigres efforts qui sont faits dans le renouvelable.

  2. Ces projets pétroliers ne sont-ils pas indispensables pour financer le développement des projets "propres" ?

    L’étudiant : Non parce que les énergies renouvelables sont déjà rentables. C’est sûr que les projets pétroliers ont une rentabilité encore plus élevée et ça c’est un problème et c’est là ou l’éthique doit intervenir et où on doit refuser de faire ce genre de choses. Les stratégies qu’ils présentent ne sont pas du tout des vraies stratégies de sortie des énergies fossiles.

    On ne veut pas que polytechnique soit associée avec cette entreprise et qu’elle lui apporte une caution scientifique et morale de cette manière-là.

  3. Sachant que Total à les moyens de changer les choses pourquoi vouloir les boycotter, n’est-ce pas contre-productif ? Pourquoi pas les pousser à avoir des démarches plus écologiques ?

    L’étudiant : On ne peut pas. On n’a pas accès aux personnes qui décident dans ces entreprises. L’arrêt d’un partenariat c’est quand même un signal fort et c’est de dire non polytechnique ne s’associera plus avec des entreprises responsables de bombes carbone (projets pouvant émettre plus de 1 milliards de tonnes de CO2 pendant leur cycle de vie). TotalEnergies est une des entreprises qui est le plus impliquée au monde dans les bombes carbones.

  4. Les mesures et pratiques qu’elles mettent en place (réduction des émissions de 24% depuis 2015 ; 5.88 milliards d’euros d’investissement dans les énergies bas carbones en 2023, Integrated Power...) ne sont pas suffisantes à vos yeux ?

    L’étudiant : La trajectoire telle qu’elle est, n’est pas compatible avec les accords internationaux que la France a signé et n’est pas compatible avec le maintien de conditions de vie durables sur terre. Il ne faut pas ouvrir des nouveaux gisements, c’est normalement ce qui est préconisé par l’Agence internationale de l’énergie.

  5. Qui aimeriez-vous voir à la place de Total ?

    L’étudiant : Déjà, on peut se poser la question de la pertinence du fait que les écoles soient dépendantes des entreprises pour fonctionner. L’État doit être le principal, voire le seul, financeur de l’enseignement supérieur. Déjà EDF n’est pas impliqué dans des projets fossiles...

  6. EDF produit de l’électricité, Total extrait du pétrole c’est complètement différent. Que répondez-vous aux gens qui disent qu’il s’agit d’une ressource économique et géopolitique stratégique et qu’il serait suicidaire de s’en détacher ?

    L’étudiant : En l’occurrence, la France ne produit pas ou très peu de pétrole. Nous sommes donc dépendants d’autres puissances, ce qui ne sert pas notre souveraineté. Enfin, il ne s’agit pas de sortir du pétrole du jour au lendemain, mais de planifier une sortie progressive, ce qui est tout à fait possible avec les gisements déjà en exploitation.

  7. Qu’auriez-vous fait à la place de Pouyanné ?

    L’étudiant : Nous c’est aussi le système général qu’on dénonce ce n’est pas que Patrick Pouyanné. Lui il est dans son rôle en voulant maximiser les bénéfices de Total, il accepte de fermer les yeux. Nous on est contre le fait qu’un siège soit accordé, au conseil d’administration de l’X, au PDG de l’entreprise française impliquée dans le plus de bombes carbones dans le monde. Après, il a une responsabilité personnelle dans le sens où il accepte d’être un acteur de ce système-là, il pourrait démissionner. Moi, j’aurais au moins essayé de proposer une stratégie ambitieuse de réelle sortie des énergies fossiles. Aller travailler chez Total telle qu’elle est actuellement c’est servir leur stratégie de greenwashing.

  8. Pourquoi dites-vous que c’est du greenwashing, on ne peut pas dire que Total soit plus polluant qu’il y a dix ans ? Ce n’est pas totalement du greenwashing.

    L’étudiant : Encore heureux. Juste en se rendant sur totalenergies.com on a l’impression que c’est l’entreprise la plus vertueuse du monde alors que c’est quand même une entreprise qui porte des atteintes démesurées à la biodiversité, c’est une entreprise climaticide et c’est une entreprise qui n’a que faire des droits humains. Le projet Eacop en Ouganda en témoigne.


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