Les trois bonnes dames de Tavers

par C’est Nabum
lundi 12 juin 2023

 

Eaux bleues et sables d'Or.

 

Il advint cette fois là, qu'au bord d’une petite rivière : « le Lien » affluent de la Loire, vivaient trois sœurs : Anouk – Charlotte - Émilie, trois orphelines qui avaient décidé d’unir leurs efforts pour vivre ensemble dans la maison de leurs parents, trop tôt disparus. Les temps étaient durs pour tous et plus encore pour ces pauvrettes, sans autre ressource que leur courage et la force de leurs bras.

Pour survivre elles se proposaient aux mille et un ouvrages qui peuvent se trouver dans un voisinage qui a certes souvent besoin d’aide mais dispose rarement de quoi la récompenser. Les jeunes demoiselles se contentaient d’une miche de pain, d’un morceau de lard, de quelques légumes, simplement de quoi subsister jusqu’à ce qu’un Prince charmant ne passe auprès de leur masure, illusoire espérance pour qui est sans ressource.

Elles étaient bien naïves sans doute parce que chacune disposait d'une fée pour marraine. Les fées Houlippe, Abonde et Acionna - les préposées à l'intervention bénéfique dans ce petit coin de territoire - les avaient habituées à croire aux miracles. Les bonnes dames venaient parfois leur rendre visite, sortant alors de leurs paniers magiques de quoi faire bouillir la marmite quand le labeur des jeunes filles n’y suffisait plus. Aucune de ces bonnes dames, par déontologie professionnelle, n’avait jamais souhaité les habituer à la facilité, c’est pourquoi en aucune façon, elles ne leur promettaient la Lune ou ne leur donnaient une bourse pleine d’or.

Les fées de Loire avaient des vues sur l’éducation qui ne permettaient pas de sombrer dans la facilité ni même dans les croyances incertaine. L'époque n'était pas aux fariboles ni même aux délires monothéistes Elles usaient avec parcimonie de leurs pouvoirs magiques pour ne pas gâter chacune à leur façon la filleule qui avait été placée sous son aile. Nous ne pouvons les en blâmer, bien des parents aujourd’hui devraient agir de la sorte avec leurs rejetons au lieu de céder à tous leurs caprices.

Pourtant, l’hiver cette année avait été si rude que les maigres ressources dont disposaient les gens ne se partageaient plus. Les trois sœurs étaient au plus mal, seules leurs chères marraines pouvaient leur permettre d’échapper à la famine. C’est Anouk l’aînée des donzelles qui un soir, se mit à souffler dans une corne de chèvre au bord de la rivière, pour appeler au secours la fée Abonde. La détresse des trois sœurs était telle qu'à tour de rôles, les cadettes, Charlotte et Émilie appelèrent elles aussi Houlippe et Acionna, leurs marraines respectives.

Comme à leurs habitudes, Abonde arriva flanquée de la chèvre qui avait maintes fois nourri de son lait les trois orphelines, Houlippe sortit des flots, juchée sur un char tiré par deux magnifiques et puissants cygnes noirs, tandis qu'Acionna jaillit des eaux bouillonnantes des sables d'Or. Chacune à sa manière surgissait toujours ainsi pour rendre visite à sa protégée. Quoique incroyable, la chose n’étonnait jamais les jeunes filles, elles les avaient toujours vues venir à elles ainsi et ne s’en formalisaient plus jamais. Les humains ont grande faculté à accepter le merveilleux, c’est sans doute pourquoi ils sont capables de détruire la planète, ce trésor fabuleux que la destinée leur a confié.

Les trois bonnes dames cette fois sentaient bien que la situation de leurs protégées exigeait plus qu’à l’accoutumée. Elles se regroupèrent pour s’enquérir de leurs désirs. « Que pouvons-nous faire pour vous, chères enfants ? Vous ne nous avez pas appelées au secours sans véritable raison ? Nous savons la misère qui est vôtre. Que voulez-vous pour adoucir votre sort ? » Anouk, celle qui avait sans doute le plus fort caractère, s'adressa la première à Abonde : « Marraine, nous n’en pouvons plus de cette vie misérable. J'attends de toi que tu m'apportes enfin la Richesse qui me permettra de subvenir à mes besoins et à ceux de mes sœurs. Je t'en prie humblement, use de tes pouvoirs ! ». Puis ce fut au tour de Charlotte de réclamer auprès de Houlippe une étrange requête : « Ma chère marraine, quant à moi c'est la Puissance qui me tente afin d'être en mesure de remédier à nos maux tout comme à ceux de ce qui nous entourent dans ce délicieux Val. » Puis plus timidement Émilie se tourna vers Acionna puis lui dire qu'elle espérait simplement trouver enfin le Bonheur.

Les fées devant pareilles exigences qui n’étaient pas en rapport avec ce qu’elles avaient enseigné jusqu'alors à leurs filleules se concertèrent longuement, prenant la peine de s'isoler auprès des Eaux Bleues pour y puiser l'inspiration nécessaire. Elles devinaient que la détresse les poussait à se faire aussi pressantes et anormalement exigeantes. Il leur fallait les mettre à l’épreuve.

C'est Abonde, après une longue concertation, qui s'adressa aux jeunes filles « Chères enfants, ce que vous nous réclamez n'est pas aussi simple que vous le pensez. Ne croyez pas qu’il soit aisé de répondre à de telles demandes. C’est à vous de savoir saisir ce à quoi vous aspirez tant. Nous ne pouvons que vous en donner l’occasion sans vous servir ces attentes sur un plateau… Le destin a des facéties que même les fées ne peuvent gouverner. Nous vous demanderons de partir chacune de votre côté à la quête de ces fols espoirs qui sont les vôtres. Nous nous retrouverons ici, demain soir, après votre épopée, pour tirer les enseignements de votre aventure. »

Au petit matin, avant de partir, chacune des trois sœurs retrouva sa marraine aux sables d'Or, ce lieu magique porteur de tant de vertus et de mystères. Anouk répéta son vœu de richesse à Abonde qui lui souffla des recommandations avant que les pas de la jeune fille la conduisent le long de la Loire pour en suivre son courant. Charlotte réitéra son désir de Puissance à Houlippe qui lui recommanda de suivre le chemin inverse de sa sœur aînée. Quant à la plus jeune, Émilie, elle s'entretint longtemps avec Acionna avant que de partir rejoindre la Loire toute proche.

Les filleules s'étaient mises en chemin sans véritablement avoir compris en quoi un aller et retour d'une seule journée pourrait répondre à leurs attentes. Mais comment demander des explications à des fées qui avaient toujours ménagé le plus grand secret sur leurs pouvoirs respectifs ? Anouk, Charlotte et Émilie se devaient d'obéir et de se laisser mener par la destinée.

L’aînée qui descendait la rivière trouva à quelques lieues de là, un grand château dominant la contrée. Elle songea en le voyant au loin qu'à n'en point douter la Richesse se trouvait de ce côté-là. Elle marcha d'un pas léger jusqu’à cette magnifique demeure royale. Elle en était toute proche quand elle entendit un énorme fracas, des cris et qu’elle vit des mouvements d'hommes en armes autour et dans le château. Il ne faisait pas de doute que ces soldats voulaient investir la place. La bataille faisait rage. Le pont levis céda et la horde entra dans la place. La fille observait à distance une scène qui lui glaça les sangs. Les hôtes de la magnifique demeure furent sauvagement dépouillés sous ses yeux, frappés rudement et laissés là tandis que la troupe, chargeant son butin sur des bateaux, s’en alla pour de nouveaux forfaits. Horrifiée, la jeune femme rebroussa chemin sans même songer à venir en aide à ces malheureux, roués de coups.

La deuxième sœur prit quant à elle le chemin qui se rendait vers la grande ville, cité industrieuse et commerçante enserrée derrière ses murailles, tout au bord de la Loire. Elle n’avait pas tant à marcher que son aînée. La belle cité opulente était proche. Elle s’attendait à y découvrir une effervescence joyeuse et qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit au loin, une ville aux portes closes. Elle s’approcha davantage, fut tétanisée par le silence qui émanait de derrière les remparts. Soudain, une porte s’ouvrit, une charrette en sortit, des cadavres y étaient entassés. Un homme portant cagoule les déposa dans un profond charnier avant que de s’en retourner sur ses pas. La fille se signa et s’empressa de revenir vers sa petite rivière. Ainsi la riche cité commerçante était aux prises avec la redoutable peste. Il lui fallait fuir au plus vite l’endroit et retrouver la quiétude de sa modeste chaumière. Elle hâta le pas, comme si le diable était à ses trousses.

La cadette quant à elle qui avait goûté fort peu la quémande de ses aînées, se dit qu’en filant vers la Loire toute proche, elle trouverait bien un peu de quiétude avant que de revenir au rendez-vous de sa tendre marraine. Elle n’avait d’autre but que de passer la journée en rêveries tout en profitant pleinement de la magnificence d’un décor unique. Elle avait bien peu à marcher. Elle déboucha bien vite sur une varenne, une herbe morte où tout un chacun peut venir profiter de ses terres inondables que nul ne peut enclore. Là, pâturait un troupeau de moutons sans qu'elle ne vît de berger dans les alentours. Une mère venait de mettre au monde un agneau. La mise à bas ne s’était pas bien passée, le nouveau-né avait le cou enserré dans le cordon ombilical. Sans hésiter la jeune femme se précipita à son aide, le sauva d’un trépas certain quand elle entendit derrière elle un « Merci charmante dame ! » qui la fit se retourner.

Devant elle, un berger à la mine souriante, des yeux qui lançaient des éclairs bienfaisants et une voix d’une douceur extrême. La belle sentit son cœur s’emballer. Elle se sauva prise d’une émotion qui la submergeait et qu’elle ne pouvait identifier. Elle s'ensauva, comme prise d'une terreur soudaine et s'en retourna bien vite chez elle. C’est ainsi qu’elle retrouva ses deux sœurs bien plus tôt qu'elle ne l'aurait songé devant leur maison.

L'attente du crépuscule fut pour elles agitée, chacune gardant dans son esprit le déroulé de l'aventure. Lorsque le soleil se coucha majestueusement dans la Loire. Houllipe surgit à nouveau avec son étrange attelage, signal qui sonna le rappel de ses deux consœurs. Ainsi, les trois fées à nouveau réunies, interrogèrent à tour de rôle leur filleule. Abonde interpela Anouk, l’aînée pour s'enquérir de sa quête de la richesse. Elle écouta le récit que vous avez découvert avant elle, feignant la surprise, l'étonnement, l'incrédulité tout en faisant mauvaise mine à la quémandeuse : « Ma fille, tu es allée à la poursuite de la richesse. Tu as constaté les désordres que peut provoquer l'appât du gain, les jalousies qu'entraînent cette illusion. Cette leçon aurait pu te servir et t’enrichir mais tu n’es même pas allée au secours de ces malheureux, j’en suis fâchée ! »

Puis Charlotte décrivit ce qu’elle avait vu à distance. La fée Houlippe lui fit alors réponse : « Ma chère, c’est aussi le désir de richesse qui t’a poussé au nom de ton rêve de puissance vers la grande ville. Tu as découvert que ces deux valeurs humaines ne peuvent rien contre la maladie et la mort. Tu as bien fait de ne pas t’approcher mais tu aurais dû prévenir les moines de l’abbaye voisine afin qu’ils viennent au secours de ces malheureux. Je t’en fais reproche ! »

Ce fut alors au tour de Émilie de narrer son aventure. La fée Acionna se mit à rire : « Ma tendre fille, tu as fort bien fait et la frayeur qui t’a prise n’a d’autre nom que l’amour. Tu es tombée sous le charme de cet humble berger qui, je pense le savoir, a éprouvé les mêmes sentiments que toi. Il n’a pas dû comprendre ta fuite. Tu ne savais vers quoi menaient tes pas, je peux te le dire, c’est le bonheur qui était au bout de ce si bref chemin ! »

La fée des sources et des rivières marmonna d’étranges formules, elle prit sa baguette magique et la posa sur la tête de la plus jeune. Dans l’instant, elle se retrouva dans la pâture avec les moutons. Il faisait à nouveau grand jour. Elle venait de délivrer l’agneau, le beau berger s’était approché d’elle et l’avait remerciée. Cette fois, elle ne sauva pas, elle lui sourit et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

Un peu plus loin, sur les flancs d’un léger coteau, la fée venait de faire surgir une bergerie et une maison. Elle appela les deux tourtereaux et leur dit : « Je veux que votre bonheur soit complet et je vous offre ceci pour qu’il puisse pleinement s’exprimer ! » La dame fit surgir une fontaine qui leur sera fort utile et disparut dans les entrailles de la terre. Jamais on ne la revit à moins que les bouillonnements des eaux de Tavers soient encore l'expression de sa présence tutélaire dans le pays.

Anouk et Charlotte vinrent retrouver leur cadette. Elle les reçut fort bien, les hébergea jusqu’à ce qu’elles trouvent à leur tour l’amour. Elles vécurent toutes trois à l’abri des désirs de richesse et de puissance qui apportent bien souvent les plus grands désordres. Le bonheur est plus souvent dans le pré que sur les chemins escarpés et périlleux des pièges de la vénalité et de la domination Toutes deux suivirent la voie de la cadette pour mener une existence agréable et sereine. Elles trouvèrent à leur tour chaussures à leur pied, l'une auprès d'un meunier ayant moulin à eau sur le Lien, l'autre auprès d'un pêcheur de Loire. Elles se marièrent en même temps, vécurent heureuses et eurent de beaux et charmants enfants. Elles n'eurent besoin de déranger leurs marraines qui malgré tout, gardèrent toujours un œil sur leurs existences.

Si vous venez dans ce pays d'abondance et de bombance, prenez simplement garde de ne pas mettre les pieds dans les tourbillons des sables d'Or. Les fées ont d'autres chats à fouetter en ce moment que de venir au secours des imprudents. Par contre, si vous avez le cœur pur et des intentions honnêtes, il est tout à fait possible d'espérer que l'une des trois viennent à votre rencontre pour réaliser un vœu pourvu qu'il soit raisonnable.


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