Marie-Thérèse

par C’est Nabum
mercredi 27 septembre 2023

 

Vénérable demoiselle née en 1855.

 

Je me prénomme Marie-Thérèse et je suis une vieille dame née en 1855. Mon géniteur ou plus exactement mon concepteur est un certain Paul Riquet qui m'a dessinée, imaginée sans jamais avoir le bonheur de me voir. C'est à Toulouse que j'ai vu le jour et l'eau d'un canal qui avait été exprès conçu pour moi. C'est du moins ce que j'aime à imaginer à moins que mon créateur ne me pliât aux dimensions du canal du Midi.

Née sous une bonne étoile, j'étais tout naturellement destinée à transporter du vin et d'autres marchandises pour un poids respectable de 174 tonnes. Mais là n'est pas mon seul titre de gloire car j'étais également le logement somptueux du patron, d'un propriétaire qui entendait ainsi démontrer sa richesse et sa puissance. Je dissimulais en tête de soute un fastueux logement composé avec un luxe de détails.

Quoiqu'on me désigne par le vocable de barque, je n'étais pas freluquette avec mes 30 mètres de long et mes 5 mètres 50 de large. Il n'y avait pas la place d'une feuille de papier à cigarette entre moi et les écluses qui avaient été taillées à ma mesure. J'ai vécu de belles aventures avant que d'être remisée sur le port de Ventenac-en-Minervois près de Narbonne. Là, j'ai servi de vitrine immobile à la cave coopérative tout en me dégradant lentement faute d'exercice.

J'ai malgré tout survécu au poids des ans, aux outrages du temps et aux différents usages qui furent les miens lors de ma longue retraite. Âgée de 168 ans désormais j'entends me refaire une jeunesse et une santé grâce à quelques passionnés qui ont relevé le défi de me redonner une nouvelle existence. Je leur serai éternellement reconnaissante.

Bien sûr j'entends ne rien oublier de mon passé laborieux quand je sillonnais le canal du Midi à l'apogée de sa gloire, juste avant que le chemin de fer ne vienne mettre à la raison le chemin de l'eau. À partir de cet instant, ma survie fut le fruit des circonstances, du hasard et de la fantaisie de quelques aventuriers. Pensez-donc, je fus un temps une boîte de nuit et imaginez avec ma devise ce qui pouvait être dit de moi. J'en tremble encore et maudis cette horrible rime.

Je fus aussi, comble d'ironie un restaurant routier moi qui était condamnée à l'immobilité. Ça me reste encore sur la soute même si sans doute c'est à de telles aventures que je dois ma survie. Puis vint le temps de l'oubli au point que je sombrais dans l'anonymat dans le port de Sète. C'est au fond de l'abîme qu'on se rendit compte de mon intérêt patrimonial, terme qui me fit sourire au début. Nous étions en 1994 et à grand frais, on me renfloua avant de me restaurer au terme d'un chantier d'envergure.

Hélas, les subventions et l'intérêt s'épuisent vite, le patrimoine aime à tomber dans l'oubli pour renaître plus tard de ses ruines. Je retiens la leçon en me dégradant de nouveau quand bien même j'étais devenue en 2013 la propriété du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée.

Je subis ce coup du sort de pleine coque et il fallut plus tard que je sois cédée à la Cave viticole de Ventenac pour me maintenir à flots en retrouvant des barriques sur mon pont. Hélas, j'étais plus qu'une belle devanture pour ce magnifique bâtiment, un porte tonneaux qui se dégradait tandis qu'en bien d'autres circonstances, le vin se bonifie avec l'âge. Le temps passant, ma survie devenait à nouveau fort problématique, les outrages du temps tournant cette fois à la décrépitude.

Une association, Aventure Pluriel, me tendit la main le 19 avril 2020, jour de ma nouvelle renaissance. Avec l’aide à venir de nombreux partenaires locaux, l’association est investie d’un double objectif : me réparer certes, me restituer mon lustre d'antan mais plus encore et me redonner vie ! Ils sont armés d'une telle détermination que je ne doute pas un seul instant que je vais à nouveau exposer ma poupe, ma proue et toutes mes autres faces, tout en dévoilant des dessous dans le luxe et la magnificence d'alors.

Il y a certes beaucoup à faire tant le chantier est qualifié de pharamineux par ceux-là même qui l'ont entrepris. Qu'importe, si la foi peut soulever des montagnes, elle est en mesure de remettre à flot une barque de patron, dut-elle avoir un âge vénérable. Mon bois est fatigué par une immobilité prolongée qui me fut imposée par les circonstances. Mon pont est à remplacer intégralement, mes bordées doivent être reprises, la quincaillerie, la peinture, l’aménagement intérieur sont à refaire entièrement. Presque toute ma structure en somme doit être remise à neuf !

Mais pourquoi diable me ressusciter ainsi si c'est pour croupir à nouveau sur un quai ? Faute de transporter des marchandises tout au long du Canal du Midi, mes bienfaiteurs imaginent de m'inventer un nouveau destin. Ils rêvent à haute voix de me transformer en plateforme de rencontres citoyennes, que je serve de lien et de truchement pour réunir les territoires de ma région natale, que je me fasse lieu d’accueil pour des initiatives culturelles tout en demeurant le vivant témoignage d’un savoir-faire d’une époque révolue.

Les uns me voient en musée virtuel tandis que d'autres plus ambitieux encore, feraient de moi le navire amiral du renouveau d'un canal qui ne doit pas se contenter d'être une autoroute à touriste. Le transport fluvial doit renaître de sa vase car il représente l'avenir dans un contexte qui n'a jamais été aussi contraire au fret routier.

Moi Marie Thérèse je veux devenir le symbole de ce retour à la tradition et à la raison, au sens du beau et à la douceur de vivre. Je n'attends plus que votre visite et éventuellement un petit coup de pouce, en liquide ça va de soi.

Sa vie au fil de l'eau


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