L’Europe, c’est fini ?

par JDCh
lundi 19 juin 2006

Les chefs d’Etat réunis à Bruxelles en ce début de semaine avaient l’air bien désemparés. Les non français et néerlandais de 2005 ont bloqué toute progression de l’idée et de l’ambition européenne, et l’Union qui compte depuis quelques années 25 pays se doit de fonctionner sur le principe historique de l’unanimité des décisions : autant dire que rien ne se passe... On parle d’encore une année pour rien, suivie d’une année pour réfléchir...

On notera également que, malgré l’importance du sujet, aucun des candidats à la candidature présidentielle en France ne parle vraiment d’Europe (sauf parfois pour réfuter l’idée de l’entrée dans une dizaine d’années de la Turquie). L’idée de ce "post" est de rappeler le caractère impérieux de la nécessité d’un mouvement concernant notre volonté ou non d’une Europe qui progresse.

En effet, la France est dans la zone euro et ne dispose plus de tous les leviers habituels d’un Etat souverain (j’en suis, d’ailleurs, assez content car si nous étions livrés à nous-mêmes dans une alternance démago-gauchisante telle que celle qui s’annonce, nos futurs gouvernants seraient capables de transformer la France en une nouvelle Argentine !) : impossible pour le ministre français de l’économie d’avoir une influence directe sur les taux d’intérêts ni sur le cours relatif de notre monnaie par rapport au dollar, à la livre sterling ou au yen, puisque nous la partageons avec 11 (bientôt 12 avec la Slovénie) autres pays. Ces leviers historiques (à moins d’être la Suisse avec son fameux secret bancaire !) seraient, d’ailleurs, sans doute vains, tant notre économie est dépendante de l’économie européenne et surtout en train de se marginaliser à l’échelle de la planète.

D’un autre côté, la France ayant dit non à une Europe maintenant sans gouvernance efficace, elle est très très mal placée pour proposer quelque initiative que ce soit à ses partenaires. La seule solution semble être que les Français interrogés à nouveau déclarent dans leur majorité vouloir quelque chose que nos 24 partenaires (ou un sous-ensemble d’entre eux) trouveraient intéressant, ou mieux, mobilisateur. Est-ce possible ? Est-ce un fantasme ?

Revenons, pour le savoir, sur les raisons du non et voyons si elles sont toujours d’actualité.

La politique intérieure menée par le pathétique couple Chirac / Raffarin

Nul doute que cet élément a fait voter non un certain nombre de Français même si la question n’était pas celle-ci. Nous pouvons être rassurés : Raffarin est parti et Chirac ne sera plus là dans 11 mois. Une raison de voter non a disparu.

L’immigration et le contrôle des frontières

Cette raison a été invoquée principalement par l’extrême droite et lesdits "souverainistes" : elle est toujours là. Il est loin d’être évident que l’Europe joue en la matière un rôle aggravant la situation, mais cette raison demeure.

On peut cependant arguer qu’il faudrait une sortie complète de l’Europe pour transformer la France en blockhaus (je ne crois pas que la majorité des Français souhaitent cela) ou qu’une Europe relancée s’occuperait plus efficacement de cet enjeu qu’une Europe en panne comme aujourd’hui.

Une bonne pédagogie devrait permettre de limiter aux traditionnels bastions de l’extrême-droite et des anti-européens "souverainistes" les bassins d’invocation de cette raison (soit 20% ou un peu plus des électeurs).

La fourberie d’un Fabius

Le calcul démagogique et extrêmement dangereux fait par Laurent Fabius ne semble pas avoir payé. Il a su être décisif dans cette campagne référendaire en "surfant" sur un mécontentement général et en croyant retrouver sa virginité gauchiste (à laquelle très peu de gens croient). Il semble que tout ceci soit feu de paille. Lolo n’est nulle part dans les sondages....

Révélons un peu plus que notre ex-"plus jeune premier ministre de la France" n’a pas agi par conviction mais par pure manipulation et il sera définitivement marginalisé pour quelques élections présidentielles (il est encore jeune, donc on le verra peut-être revenir en 2017 !). On ne peut pas viser les plus hautes responsabilités et agir de façon aussi irresponsable ! Carton rouge bien mérité pour Lolo... (carton rouge également par rebond aux affreux Emmanuelli, Mélenchon et consorts qui le méritent aussi).

Le marché "intérieur" européen régi par la "libre-concurrence"

J’ai déjà évoqué dans un "post" (cf Libre concurrence : une bienfaitrice méconnue) combien le principe de la libre-concurrence était profitable au consommateur, au progrès au sens large et au dynamisme économique (qui nous manque tant). Je ne vais pas vous la refaire...

Il est aussi sans doute utile de rappeler que le fameux titre III "Politiques et actions internes" définissant notamment les règles du "marché intérieur" de l’Union est en fait un agrégat des différentes dispositions déjà en oeuvre au travers des traités de Rome, de Maastricht (appelé "Acte d’union" pour ceux qui ont oublié qu’ils ont voté "pour") et de Nice ! Voter non à cause d’un ensemble de règles qui, de toute façon, sont applicables, n’est pas très utile...

Il est évident surtout, je le crois personnellement, qu’une Europe plus forte permet de bien mieux jouer sa carte dans une économie de marché "mondialisée" (et qui est là pour durer, que les Français votent pour ci ou pour ça). Le "soyons plus forts ensemble" n’est pas pipeau du tout !

On peut donc se méfier de la mondialisation (car on en subit ou anticipe les conséquences et on se sent démuni pour réagir) mais il faut être fort crédule pour penser que l’Union européenne accélère cette mondialisation et ses conséquences : ceci est faux.

Si le "marché intérieur" était dynamique du fait d’entreprises européennes compétitives, les salariés français de ces entreprises (qu’elles soient françaises ou non) auraient tout à y gagner. L’immense "unfair advantage" des entreprises (petites, moyennes et grandes) américaines est d’avoir localement un marché domestique homogène de 300 millions d’habitants. Cet avantage serait à la portée de l’Europe des 25 et de ses entreprises (notamment petites et moyennes)...

Bref, à part quelques "anti-capitalistes utopiques" (moins de 10% des électeurs ?) qui pourraient penser que faire basculer la France (voire l’Europe) dans une économie "alternative" ("marxiste" par exemple) pourrait contaminer le monde entier, beaucoup de votants non devraient pouvoir accepter de réviser leur point de vue issu plus d’un mouvement d’humeur, d’une confusion et d’une immense désinformation politico-médiatique, que d’une analyse objective de la situation.

Le manque d’un volet social

Le projet de constitution laissait aux Etats de l’Union la compétence sur les sujets sociaux (maladie, chômage, retraite et pauvreté) : il ne déclarait rien de nouveau en la matière. D’aucuns l’ont déploré fortement. Prenons-les au mot...

Il est à peu près clair que les 25 ont des conceptions et des soucis fort différents en la matière : la Grande-Bretagne passée par la douloureuse mais salvatrice cure thatchérienne n’a aucune envie de se voir imposer la moindre évolution par la "vieille Europe" et les anciens satellites communistes (Pologne, Hongrie, Tchèquie, Slovaquie...), qui reconstruisent des modèles sociaux sur les cendres de leurs systèmes d’avant la chute du mur de Berlin, ont des préoccupations fort différentes des nôtres.

Restreignons alors la réflexion à la zone euro dans laquelle, à part l’Irlande (qui connaît une bonne santé économique insolente) et dans une moindre mesure la Finlande, tous les pays ont un problème de transition démographique, de chômage, d’augmentation incontrôlée des dépenses collectives et souvent, par conséquence, de déficit budgétaire ou de niveau d’endettement incompatible avec le fameux "pacte de stabilité". Lançons un grand mouvement de réflexion et de réformes au sein des 12 "currency mates" : "pour une zone euro sociale et compétitive" (au contraire des Français qui rêvent parfois beaucoup, aucun de nos voisins n’est prêt à discuter sur une "Europe sociale et non compétitive" !).

Demandons à la Finlande (dans la zone euro) et au Danemark (resté en dehors) et ayant réussi une remarquable transition de nous aider à composer entre efficacité économique et protection sociale. Proposons au Danemark et à la Suède de nous rejoindre s’ils se sentent convaincus par nos orientations. Soignons l’Allemagne (qui a décidé de le faire de toute façon après une digestion difficile de l’Allemagne de l’Est), l’Italie (dont le contraste Nord-Sud devient insoutenable) et la France (qui est en phase métastasique avancée) et vérifions que nos partenaires (plus ou moins vaillants) les Espagnols, Portugais, Grecs, Luxembourgeois, Autrichiens, Belges ou Néerlandais adhèrent. Nous avons une histoire commune, des traditions sociales assez cohérentes et des objectifs communs fort nombreux, cela devrait être possible !

Ce grand effort de réflexion sur une harmonisation possible de nos systèmes sociaux, de nos politiques économiques favorables à l’emploi, de nos fiscalités et de nos politiques budgétaires (impossible en effet de séparer les sujets) ne pourra qu’être bénéfique. Cette harmonisation est inéductable, prenons simplement le taureau par les cornes et forçons le destin...

Les tenants du "volet social" seront obligés de passer de l’incantation au projet d’implémentation, mais surtout comprendront comment nos voisins et partenaires font face aux mêmes enjeux que nous, combien nous pourrions être plus forts ensemble et combien impérieuse est la nécessité d’accepter la réforme, le changement, la raison, le pragmatisme et la lucidité.

Une volonté commune des 12 (ou 13) pays de la zone euro d’être offensifs ("la meilleure défense, c’est l’attaque") et, de ce fait, plus résistants à une globalisation (de laquelle il ne sert à rien d’avoir peur, sauf à partir perdants), une zone euro en cours harmonisation de l’intérieur, tournée fièrement vers l’extérieur, et un grand projet qui enfin retrouve le soufle qui lui manque tant.

Les tenants de l’immobilisme resteront bien sûr en retrait, critiqueront tous les projets et hurleront à la mort, flanqués de leurs oeillères égoïstes, dès que l’un de leurs privilèges ou avantages acquis se verra menacé : combien sont-ils et combien de temps resteront-ils crédibles ? Je n’en sais rien... Il suffit, en fait, de convaincre un peu plus de 10% des Français qui ont voté non : c’est faisable !

So what ?

Pas mal de raisons au non qui semblent s’être estompées et d’autres qui paraissent fondées sur une incompréhension, voire une manipulation... Il y aura toujours des opposants à tout (moins de 30% ?) mais il y a quelques raisons d’être optimistes. Soyons-le.

Pour ce qui me concerne, je travaille pour une entreprise britannique, j’ai été quelques années "Chairman" (président non exécutif) d’une petite société suédoise, je rencontre toutes les semaines des entreprises "innovantes" allemandes, suédoises, finlandaises, anglaises ou bien sûr françaises et je vois poindre une génération d’entrepreneurs et de cadres véritablement européenne : je suis, par mon métier, convaincu des bienfaits d’une Europe qui bouge, progresse, s’harmonise et se mobilise...

...je mets donc au défi les candidats à la présidentielle d’inscrire à leur programme une nouvelle consultation des Français sur le traité constitutionnel ainsi que sur le lancement d’un programme ambitieux pour une "Zone euro sociale et compétitive". Je voterai pour le premier qui s’y engage !


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