La Flandre bascule à l’extrême droite

par Alain Hertoghe
lundi 26 juin 2006

Un Etat membre de l’Union européenne gouverné par un parti d’extrême droite xénophobe n’ayant jamais renié son passé de collaboration avec le nazisme ? La perspective n’est certainement pas pour demain, mais ne peut être exclue pour après-demain...

Selon le dernier baromètre trimestriel du quotidien La Libre Belgique, le Vlaams Belang (Intérêt flamand), ex-Vlaams Blok, est devenu le premier parti d’une Flandre qui aspire de plus en plus ouvertement à l’indépendance. Avec 26,6% des intentions de vote, il devance le parti chrétien-démocrate (CD&V) qui ne doit qu’à son alliance avec une petite formation nationaliste, son théorique avantage de 0,1% dans ce sondage. Le vote en faveur de l’extrême droite étant traditionnellement sous-estimé, car ses électeurs potentiels se méfient des sondeurs, le Vlaams Belang n’est sans doute pas loin des 30%. Les partis, libéral et socialiste,eux, n’atteignent pas la barre des 20% d’intentions de vote.

Comment expliquer ce choix d’une majorité des électeurs de la région Nord de la Belgique fédérale pour un parti frère du Front national (FN) français, condamné par la justice pour racisme sous son ancienne appellation et dénoncé par la classe politique et médiatique comme inspirateur d’un double crime raciste en mai dernier ?

La Flandre, prospère et proche du plein-emploi, ne présente pourtant pas les caractéristiques auxquelles on attribue généralement l’émergence de l’extrême droite. Sa plus grande ville, Anvers, bastion du Vlaams Belang, fait figure de capitale virtuelle de la Belgique, avec son dynamisme artistique, économique et financier. Ce port cosmopolite est, comme Barcelone, Istanbul ou Milan, une étape du circuit des touristes aisés et branchés.

L’attraction du Vlaams Belang sur le peuple flamand s’explique donc par ses messages séparatiste et anti-establishment, l’un renforçant l’autre. Dotés de leur propre gouvernement et parlement dans l’Etat fédéral belge, les Flamands estiment à juste titre que leur avenir serait meilleur sans les régions francophones de Bruxelles et de Wallonie. La séparation tranquille du Monténégro d’avec la Serbie a été observée avec intérêt en Flandre.

D’après les calculs récents d’un groupe de réflexion favorable à l’indépendance, chaque Flamand transfère annuellement 1734 euros aux Bruxellois et aux Wallons au titre des dépenses sociales et des intérêts de la dette publique fédérale. La réticence des francophones belges à réaliser les réformes drastiques nécessaires pour assainir leur économie et les récents scandales financiers touchant des dirigeants socialistes wallons encouragent logiquement les Flamands à rêver à leur autodétermination.

La préférence grandissante de l’électorat flamand pour le Vlaams Belang va certainement accélérer la mutation nationaliste et séparatiste des partis politiques classiques du Nord de la Belgique, observables depuis plusieurs années. Car le parti d’extrême droite accuse l’establishment flamand de trahir les intérêts de son peuple.

La bourgeoisie flamande, récente mais puissante, est sensible à ce discours : elle n’a pas oublié que la Flandre a été dominée, jusqu’à la dernière guerre mondiale, par une bourgeoisie francophone qui méprisait - et méprise encore - sa culture et sa langue. Du temps où les soldats flamands de l’armée d’une Belgique unitaire devaient s’adresser en français à leurs officiers francophones et ne pouvaient même pas parler leur propre langue entre eux car il fallait que leur hiérarchie puisse comprendre ce qu’ils se disaient... La revanche flamande ne sera définitivement assouvie que dans l’indépendance.

En fait, le seul obstacle réel à la proclamation de l’indépendance par la Flandre est l’obsession de cette dernière de reconquérir Bruxelles, ancienne ville flamande francisée, pour en faire la capitale de son nouvel Etat. Combien de temps faudra-t-il pour que cet obstacle soit levé... ou contourné en choisissant Anvers, par exemple, comme capitale ?


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