Le miracle de Spinoza

par Réflexions du Miroir
mercredi 21 juin 2023

Baruch Spinoza, né le 24 novembre 1632 à Amsterdam et mort le 21 février 1677 à La Haye, est un philosophe néerlandais d'origine séfarade portugaise. Appartenant au courant des modernes rationalistes, il a eu une influence considérable sur ses contemporains et nombre de penseurs ultérieurs.
L
e livre de Frédéric Lenoir décrit son œuvre philosophique avec ce préambule : "Banni de la communauté juive à 23 ans pour hérésie, Baruch Spinoza décide de consacrer sa vie à la philosophie. Son objectif ? Découvrir un bien véritable qui lui « procurerait pour l’éternité la jouissance d’une joie suprême et incessante. » Au cours des vingt années qui lui restent à vivre, Spinoza édifie une œuvre révolutionnaire. En plein XVIIe siècle, il a été le précurseur des Lumières et de nos démocraties modernes. Le pionnier d’une lecture historique et critique de la Bible. Le fondateur de la psychologie des profondeurs. L’initiateur de la philologie, de la sociologie, et de l’éthologie. L’inventeur d’une philosophie fondée sur le désir et la joie, qui bouleverse notre conception de Dieu, de la morale et du bonheur.
Spinoza est non seulement très en avance sur son temps, mais aussi sur le nôtre. C’est pour cela que j’appelle le « miracle Spinoza » conclut Lenoir.

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Frédéric Lenoir a écrit plusieurs livres avec les principes de la religion "Comment Jésus est devenu Dieu", "Les Métamorphoses de Dieu", "Le Christ philosophe", "Petit Traité d’histoire des religions", "Les chemins du Sacré"... Il s'est inspiré des spécialistes de Spinoza comme Robert Misrahi ("Spinoza, une philosophie de la joie") et Steven Nadler ("Spinoza").

"La liberté de penser" est le titre du HS de Le Monde le préambule suivant : "Rejeté de son vivant, acclamé après sa mort, Spinoza est sans doute l'un des penseurs les plus novateurs et influents de la philosophie moderne. Qu'on l'associe à la joie – dont il considérait qu'elle libérait la capacité créatrice de la pensée – ou qu'on le réduise à une idée de l'athéisme identifiant Dieu à la nature, il est surtout l'homme d'une vision audacieuse de l’éthique : pour lui, plutôt que de réprimer ses propres passions, c'est en les comprenant et en les dirigeant rationnellement que s'ouvre la voie vers la liberté d'une personnalité cosmopolite, éclairée et tolérante, avec l'esprit critique, faisant de son œuvre un véritable hymne à la vie".

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"Le miracle Spinoza"

Pour Spinoza, tout commence par sa rencontre avec le professeur de latin et de grec, Franciscus Van den Enden qui lui enseigne une doctrine libérale qui lui apportera les premières semences d'un athéisme naissant en prônant la liberté de penser et de s'exprimer. La recherche du bien intégral indifférente par rapport aux événements extérieurs pour apporter le bonheur concrétisé par la joie. Meurtri pas des deuils familiaux et un héritage de lourdes dettes, il préfère la pauvreté au mensonge et à l'hypocrisie de sa communauté juive. Sans avoir décrit sa philosophie, il est banni, exclus, chassé, maudit, exécré et séparé de toute sa communauté sous la forme du herem ou cherem de sa communauté juive, mis au ban de la société.

L'amour déçu avec la fille de Fanciscus Van den Enden ruine sa vie sentimentale. Il garde des contacts sociaux avec quelques étudiants, érudits et disciples dans la sobriété de son existence. Désormais, il reste tolérant, pacifiste, républicain, décentralisé, sans préjugés, loin des calvinistes et orangistes préférant un Etat fort, conquérant et centralisé. 
Pour lui, la superstition gouverne dans son entourage en prenant le visage de la religion par le biais de l'imagination. Celle-ci s'exprime par le don de prophétie accompli via des signes et des miracles. D'après lui, ce n'est pas inexplicable dans l'environnement de l'époque en relation avec des représentations anthropomorphiques poussées par la peur et l'ignorance. Cela n'arriverait jamais en agissant suivant son propre décret. Les décrets d'autrui se creusent en symboles déguisés en zèle divin et en ferveur ardente au nom de Dieu. Il remplace le symbole de Dieu par la lumière supérieure de la nature. Dans son enquête sur les Ecritures, il regroupe les thèmes en relevant les contradictions, en tenant compte du contexte culturel et politique et en fondateur de l'exégèse moderne à la recherche de la vérité et de la béatitude dans une foi qui vise la tolérance. S'il ne s'est jamais converti au christianisme, il parle du Christ comme une émanation de sagesse divine sans comprendre le dogme sacré de la Sainte Trinité. Les chrétiens ne l'apprécient pas plus. En homme libre de toutes croyances religieuses, il est incapable d'accepter la moindre concession. Aux injures qu'il reçoit, il répond par l'ironie sans polémiquer. Sa dimension identitaire et collective plus affective que rationnelle appartient à sa liberté intérieure sans passion, sans envie, sans jalousie, sans domination, sans pacte social fondé sur la morale d'une vie communautaire. 
Par l'écriture de son livre "L'Ethique", poursuivie de 1670 à 1675 à la suite de la mort de son disciple et ami Adriaan Koebargh, il fascine, répulse tout en gardant un côté obscur, aride et une manière géométrique pour rester à l'abri des persécutions. Son déterminisme rend absurde les notions de péché et de miracle dans une vision moniste du monde sans être pourtant réellement athée. Il ne croit pas en Dieu d'accord, mais il pense Dieu. Un Dieu qui naturalise l'esprit et matérialise la matière dans une dualité de joie active ou de tristesse passive. "La joie est le passage d'une moindre à une plus grande perfection" en prenant les actions humaines telles qu'elles sont, universelles et singulières. Gérer le désir, c'est l'orienter vers ce qui est bon mais, "Nous ne désirons aucune chose parce que nous jugeons qu'elle est bonne, mais, au contraire, nous appelons bon ce que nous désirons. Dans la mesure où une chose convient à notre nature, elle est nécessairement bonne. C'est aux esclaves, non aux hommes libres, que l'on fait un cadeau pour les récompenser de s'être bien conduits.". La liberté immanente est intuitive en rompant les liens avec la vertu et l'obéissance prédéterminée par Dieu. Son essence singulière ne tient pas compte des causes extérieures mais permet de se donner l'illusion intérieur d'être totalement libre. L'ignorance rend esclave et malheureux tandis que la sagesse sous l'emprise de la raison peut rendre heureux. 
La vie vient par nécessité sans haine ni pitier avec son bien être à partager avec les autres par l'amour et la générosité dans la béatitude de la vertu sans espoir de récompense pour cela dans un paradis. 
Son concept d'intemporalité mystique de l'esprit actif qui subsiste au corps après la mort tandis que l'imagination qui reste dans le domaine passif et périssable, a généré une controverse à sa philosophie générale de Spinoza. Ce n'est qu'après la mort de Spinoza que ses oeuvres seront publiées et étudiées. Elles sont toujours d'actualité. 
"Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels".

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Réflexions du Miroir

Frédéric Lenoir est chrétien et croyant, ce qui est déjà en opposition avec ma mécréance et de formation scientifique apportent une certaine incompatibilité. 


Les démonstrations mathématiques des propositions et autres scolies font de Spinoza, un philosophe du bonheur, un spécialiste de la joie, m'apporte un lien avec lui. La rugueuse "Ethique" finit par compter Spinoza au rang d'amis d'un abord certes difficile mais qui ne vous veulent que du bien dans la complexité de ses raisonnements et de son approche mathématique m'intéresse. Le petit essai de Frédéric Lenoir se lit agréablement au cœur du système spinozien et de ses problématiques essentielles. Il l'a étudié en profondeur et il restitue avec talent, le portrait d'un homme replacé dans son contexte". 
Le philosophe Blaize Pascal dont je parlais dans "Cœur et Raison selon Pascal" était son contemporain au 17ème siècle. La personnalité de Descartes est le seul lien qui unit Pascal et Spinoza. Ils ne se sont pas rencontrés. 
Frédéric Lenoir cite d'ailleurs plutôt Spinoza en écho avec le peintre Johannes Vermeer dans un jeu de lumières avec l'harmonie intérieure du peintre et la philosophie du philosophe Spinoza apportant un effet miroir sur lui. 
Spinoza était célibataire tout au long de sa vie et consacrait la majeure partie de son temps à ses études et à l'écriture avec son ouvrage majeur appelé "L'Éthique". 
Goethe admirait son calme à la géométrie aride dans un ordre cosmique alors que lui avait un désordre passionnel. "Ne pas se moquer, ni se lamenter, ni détester mais comprendre. Comprendre est le commencement d'approuver.", écrit Spinoza.

Quand j'avais écrit le billet "Pratiquer sans croire" qui contenait des indices de mon athéisme, on m'avait répondu "athée comme Spinoza". Je ne connaissais pas grand-chose de Spinoza mais je constate que sa réalité pour ne pas dire "vérité" est plus complexe. 

L'histoire de Spinoza est mise en relief dans le livre de Frédéric Lenoir.

En tant que dissident, vu les risques encourus, Spinoza est à honorer.

Si Spinoza avait vécu dans notre époque de liberté d'expression, il aurait très certainement été interviewé dans une émission comme "Et dieu dans tout cela ?". Le sectarisme idéologique des opinions existe toujours et revient en cycle quand il fait preuve de laxisme.

Un esprit fort utilise encore des références religieuses à la politique comme appui pour leurs thèses vis-à-vis des esprits plus faibles sans y adhérer eux-mêmes foncièrement puisque le dieu utilisé deviendrait une sorte de concurrent à lui-même.

Dans le paragraphe "Conclusion", Frédéric Lenoir montre son admiration pour Spinoza. Son caractère de penseur de l'affirmation, son courage, sa préférence pour son amour de la vérité contre le conformisme intellectuel ont ému Frédéric Lenoir. Avec les mêmes arguments, je ne peux que l'applaudir. Etre seul contre tous oblige de ne pas adhérer à une fausse solidarité communautaire mais c'est aussi très gênant de constater que ses arguments ne sont pas pris en considération pour justifier une thèse.

En postface, il a pris contact dans une échange par courrier avec le spécialiste "Spinoza", Robert Misrahi qui a eu peu de réserves sur les options du livre de Frédéric Lenoir.  

"L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort ; et sa sagesse est une méditation de la vie sans la mort" écrit Spinoza alors qu'il sait que son existence sera courte, atteinte de tuberculose dès l'âge de 25 ans. Jusqu'à son dernier souffle, il est resté serein et joyeux. Après sa mort, sa sœur Rébecca, a réclamé son héritage alors qu'elle ne lui parlait plus depuis 20 ans lors de son bannissement. Elle y a renoncé quand elle a découvert que son frère était criblé de dettes. Ses oeuvres ont été publiées à titre posthume en latin-néerlandais sous un faux nom d'éditeur. Son manuscrit qualifié de "mal pestilentiel" est conservé au Vatican. Il a été haï presque par tout le monde sans jamais haïr lui-même. 

Frédéric Lenoir est en désaccord par la vision misogyne de la femme qui doit suivre son mari comme principe de base et par sa visions des animaux qui ne sont là que pour le bon plaisir des hommes.

Spinoza passe à côté de la loi de la causalité et des phénomènes de synchronicité de Jung. Tout n'est pas rationnel sinon nous ne serions vraiment des robots. 

 

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Question à ChatGPT 

Quelle est la différence en Blaise Pascal et Baruch Spinoza qui ont eu au départ une référence philosophique commune avec Descartes, qui sont contemporains et qui ont vécu tous deux une quarantaine d'années ?

"Baruch Spinoza et Blaise Pascal ont des perspectives philosophiques très différentes :

  1. Spinoza était un philosophe rationaliste qui considérait Dieu comme étant identique à la nature ou à l'univers lui-même. Pour lui, Dieu est la substance unique et infinie qui englobe tout. En revanche, Pascal était un penseur religieux et théologien qui croyait en un Dieu personnel, transcendant et révélé avec sa philosophie profondément influencée par sa foi catholique.
  2. Spinoza accordait une grande importance à la raison et à la logique dans sa philosophie pour expliquer le monde. Pascal mettait davantage l'accent sur la foi et soutenait que la raison seule ne pouvait pas suffire à comprendre les mystères de l'existence formulés oar l'idée du "pari pascalien", selon laquelle il est rationnel de parier sur l'existence de Dieu, car si Dieu existe, la récompense éternelle est infinie, tandis que si Dieu n'existe pas, la perte est finie.
  3. Spinoza a développé une éthique basée sur la recherche du bonheur individuel et de la libération des passions qui entravent notre raison par la connaissance essentielle de soi et de la nature pour atteindre la béatitude. Pascal était davantage préoccupé par la condition humaine et la nature pécheresse de l'homme en soulignant la nécessité de la grâce divine et de la repentance pour se rapprocher de Dieu et atteindre la vertu.
  4. Spinoza était profondément influencé par la pensée scientifique de son époque en connection avec la philosophie par une compréhension rationnelle et objective du monde. Pascal était un mathématicien et physicien renommé, restant conscient des limites de la raison humaine et de l'importance de l'expérience religieuse.

Spinoza, rationaliste, cherchait à comprendre le monde par la raison, tandis que Pascal, croyant fervent soulignait l'importance de la foi et de la grâce divine".

Un peu léger, cette analyse de ChatGPT.

S'il existe un domaine dans lequel l'I.A. reste encore moins forte, c'est la philosophie.

La semaine dernière il était question d'un match entre ChatGPT et le philosophe avec la dissertation sur le thème de circonstance "Le bonheur est-il affaire de raison ? 

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Dans mon billet qui parlait de Pascal, j'écrivais "Si Pascal était un contemporain plutôt qu'un penseur du 17ème siècle, on appellerait peut-être le "blogueur philosophe Pascal". Je ne pourrais pas dire cela de Spinoza vu les risques qu'il prenait. Il serait harcelé en permanence sur les réseaux sociaux et, une fois repéré, il se ferait descendre en sortant de chez lui.

Comment terminer ce billet ? 

Avec la question : Spinoza était-il mécréant ou croyant ? 

Au niveau philosophique, comme en tout, tout est affaire de nuances. Il y a le passé qui subsiste, le présent qui constate les résultats et le futur dans lequel tout reste à créer ou à recréeren mieux pour bâtir de nouvelles idées laïques sans croyances bien loin du sectarisme.

 

Allusion 


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