Du nazisme à la démocratie, une histoire faite avec les cons, raContée dans un billet de con

par Bernard Dugué
mercredi 24 octobre 2012

 Je lance une idée. Le nazisme aurait été propulsé en Allemagne non seulement par des élites mais aussi grâce à la complicité de millions de cons. Le nazisme a disparu mais les cons sont encore nombreux. D’où une facétieuse question : qu’est-ce qui a remplacé le nazisme pour nourrir la conscience politique des cons ? Ce qui ne dispense pas de concevoir ce qu’est un con du point de vue philosophique. Le penseur se fait alors connologue, non sans une pensée pour Audiard, brillant déconnologue. Et pour parler d’un sujet lourd, il faut parfois oser un billet léger. Le nazisme a été un phénomène social tout aussi spécifique qu’intense, avec un style grotesque mais aussi des conséquences désastreuses pour le monde pendant quelques années où la guerre totale fut conduite sous le Reich par Hitler et ses acolytes. Des milliers d’articles savants et d’ouvrages érudits ont été consacrés à l’étude de cette période de l’histoire qui par son côté irrationnel dérange mais aussi échappe pour une part à l’entendement. A moins que l’on conçoive que la nature humaine puisse se prêter, lorsque le contexte est favorable, à un tel déchaînement des forces irrationnelles pour ne pas dire bêtes et barbares.

 

L’avènement du nazisme échappe à une compréhension simple, univoque et rationnelle. D’aucuns ont tenté de déceler un contexte idéologique qu’on dirait droitier de nos jours et qui fut désigné sous la notion de révolution conservatrice. Ce qui d’abord ne constitue pas une explication car on peut douter que les masses allemandes aient été au fait de ces subtils débats d’idées. De plus, le nazisme fut plutôt une tentative de liquider le passé allemand, plutôt que de le conserver. Utiliser la technique mais en finir avec l’idéal du bourgeois libéral tout en contrecarrant les mouvances communistes. A cette époque où l’armée et la technique étaient de puissants ressorts, deux catégories d’individus ont été décisives pour le nazisme. D’un côté les élites et de l’autre les masses. Parmi les élites, on trouve un conglomérat complexe, associant les activistes du parti nazi, la très haute bourgeoisie, nombre de médecins, des corporations professionnelles liées au système industriel, association d’ingénieurs, de diplômés, de techniciens. Cet ensemble hétéroclite a favorisé l’arrivée au pouvoir d’Hitler qui se chargera de simplifier cette société d’élites qui dans les années 20, se trouvaient perplexes face au désenchantement du monde et au manque d’idéal et de direction, tant au niveau de la société que sur le plan existentiel. Un mal enraciné depuis des décennies si l’on en croit la trilogie de Broch sur les Somnambules. Terme bien choisi car l’époque nazie se prêtera à la rêverie, aux images d’une vie réenchantée, avec ce sens du magique vitalisé, du merveilleux populiste et les grandes messes théâtrales secondées par d’autres messes matinales diffusées à la radio pour concurrencer les messes religieuses. Le nazisme a été une tentative de rendre simple l’existence. Et c’est ici que les masses ont été décisives. Et que l’on peut introduire l’idée des masses de cons… ou de somnambules. Car quel est le type d’individu qui se prête aux idées simplistes sinon le con. La politique nazie s’est en effet dotée d’instruments, discours et structures habilitées à prendre en charge l’existence des masses dont la vie était réglée par le régime. Grandes messes, vacances organisées, discours formaté, désignation de l’ennemi, livres savants détruits, radiodiffusions occupant l’espace urbain. Quoi de plus simple en somme que ces pratiques imposées à ceux qui ne sont que des hommes, mais pas n’importe lesquels puisqu’ils sont devenus des cons. Finalement, les nazis ont été les premiers dans l’histoire occidentale à prendre conscience qu’on peut asseoir la domination des élites en utilisant les cons et surtout en produisant des cons.

 

La modernité est devenue complexe, avec les sciences, les philosophies et les techniques. Les sociétés ont véhiculé une somme de savoirs sans précédent. Les historiens sont trop révérencieux face au peuple et moralement chastes, sinon, ils auraient écrit des livres sur l’apparition des cons dans les sociétés modernes. Le monde développé nécessite l’usage de nombreux savoirs, notamment parce que les problèmes et les projets ne sont pas simples. C’est pour cela que les cons sont apparus en masse car ils ne peuvent ou ne veulent pas accéder à ces savoirs. A son corps défendant, Marx a produit une pensée politique simplifiant la société en deux classes et de ce fait, susceptible de convenir aux cons. Il n’y avait pas de mauvaises intentions chez Marx. Desproges aurait dit que le communisme c’est les cons au pouvoir et le fascisme c’est le pouvoir sur les cons. S’il y a bien un type d’homme qui ne simplifie pas l’existence, c’est le grand écrivain. Qui parfois s’intéresse aux cons et s’emploie à les peindre, à en inventer des figures archétypes, comme fit Flaubert avec Bouvard et Pécuchet.

 

Le con, c’est un homme qui ne veut pas voir la complexité des choses, qui refuse un monde ne se réduisant pas à une juxtaposition de cases blanches et noires et dont la teinte est faite de nuances de gris. Le con veut voir les choses simplement. Les bons et les méchants. Les criminels et les victimes. Le pur et la saleté. Le bien et le mal. Ceux qui créent la crise et ceux qui la subissent. Les élites et le peuple. Le con est le fond de commerce des populistes. Les élites sont la cible des populistes mais ils ont une part de responsabilité puisqu’ils ont laissé la connerie se développer, parfois en usant de discours simplistes. Cependant, le principal facteur impliqué dans la genèse des cons, c’est la foule, qui selon un bon mot de Bernays, neveu de Freud, ne pense pas. Selon Bernays, inventeur de la propagande publicitaire, dans la foule, seul le ça s’exprime. Goebbels se serait inspiré des travaux de Bernays dont la principale application fut l’industrie de la communication, lancée au début du 20ème siècle par les grandes firmes et notamment le cinéma hollywoodien. Le maître ouvrage de Bernays c’est : Propaganda ou comment manipuler l’opinion en démocratie. Un titre sobre qui en filigrane laisse apparaître un intitulé apocryphe : comment fabriquer des cons en démocratie. Ce qui correspond bien à l’intention de l’auteur selon lequel en démocratie, la société doit être pilotée par une minorité intelligente. Sous-entendu, la majorité n’est pas intelligente et se compose de cons, types d’individus qu’on peut manipuler en présentant les choses avec simplisme, comme ces reportages idylliques sur des stars hollywoodiennes érigées en modèle de vie bonne et dont il faut absolument cacher les frasques et autres déchéances. Dans les décennies suivantes, le masque tombera, allant jusqu’à une inversion du modèle avec des stars du rock’n roll qui doivent être sex addicts et consommateurs de substances illicites, marque de fabrique du génie à l’époque de l’art conceptuel. Adorno a écrit des pages éclairantes sur l’industrie culturelle américaine au début de ce siècle fracassé. Un chapitre intitulé : L’industrie culturelle, l’Auflkärung comme tromperie des masses mais qui aurait pu s’appeler : la culture industrielle comme système de production des cons.

 

Et maintenant, au début du 21ème siècle, on peut penser qu’il y a encore des cons. Tout en émettant quelques réserves sur cette catégorie car le con peut avoir des réflexes intelligents et sensés. Tout est question de situation. Certains contextes se prêtent à une pensée et une opinion intelligente et parfois, les choses peuvent être simples si bien que le pouvoir se plaît parfois à embrouiller la situation pour contrôler la situation. Le propre du con est de vouloir que les choses soient simples. Patrick Chêne a confessé avoir reçu des tonnes de lettres de protestation l’année où France 2 n’a cessé de parler des affaires de dopage. Le fanatique du tour de France veut croire en un spectacle angélique et ne veut pas entendre parler de ces affaires. Il est devenu un con, comme l’ont été ces supporters de football sifflant Jacques Glassmann parce qu’il avait dénoncé le trucage du match VA-OM. Les partis désignés à tort ou à raison comme populistes tendent eux aussi à donner une image simplifiée du réel. Avec des coupables désignés, l’immigré, l’Europe, l’euro, Barroso, les marchés… Les cons affaiblissent la démocratie mais si on interdit aux cons de voter, il n’y a plus de démocratie. Après tout, le con est un homme comme les autres, avec les mêmes droits ; de plus, en chaque homme sommeille un con qui, tel un malin génie logé dans son cerveau d’Aladin, peut apparaître dès lors que cet homme est frictionné par quelque événement.

 

La publicité tient son efficacité au fait que les individus à l’ère consumériste ont une propension à devenir con. Plus précisément en jouant sur son désir d’univers magique. La publicité réenchante le monde. C’est du moins ce que croit l’individu con car la pub ensorcelle. Ici, l’adjectif supplante le substantif. Le con n’appartient pas à une classe sociale définie, même si certains cons sont plus égaux que les autres. Le système engendre et forme des cons. A l’état isolé, on parle de con formé mais lorsque les cons formés sont rassemblés, ils ont tendance à devenir des conformistes. Dress code et autres gadgets sont prisé des conformistes. Il faut plaider pour le droit des cons à vivre comme ils l’entendent. Quant au domaine politique, ce seront toujours les puissants qui domineront, notamment en usant de discours simplifiant la réalité, comme au pays de l’oncle Sam, avec par exemple son axe du mal et dans un contexte social la hantise de la fainéantise. Le con pense que les assistés sont des fainéants. Il n’est pas sûr néanmoins que la connerie soit un fléau social. C’est peut-être même le contraire. Le con participe à une certaine forme de pays sociale. Avec les contents du système et les mécontents. Les uns opinent face aux simplifications des discours gouvernementaux et les autres aboient en écoutant leurs maîtres populistes désigner les coupables. La rue est parfois livrée aux chiens qui peuvent ainsi se défouler. Pourtant, il existe un espoir dans la mesure où les cons peuvent être instruits dès qu’on leur parle. Certes, Brassens chantait que quand on est con, on est con, mais c’est de la poésie. Un refrain ne peut pas abolir la métaphysique des cons dont le premier principe est que la connerie est réversible. C’est bien pour cela que l’entropie, relevant du second principe, n’a pas submergé le monde. A retenir le second principe de la métaphysique des cons. Quand on enferme les cons dans une salle, la connerie ne peut qu’augmenter, et le conformisme avec. Voilà pourquoi il faut parler aux cons.

 

Aux Etats-Unis, pays où les choses doivent être simples, il y a beaucoup de cons et c’est pour cela que cette Amérique inquiète de plus en plus, exprimant dans ses excès de bêtise quelques signes similaires à ceux qu’on trouvait dans l’Allemagne nazie. Néanmoins, si le con est dangereux quand il pète un plomb, en général, il est heureux car la vie lui paraît simple. C’est pour cela qu’il ne faut pas jeter la pierre aux cons puisqu’au fond, ils cherchent une vie paisible et simple. La connerie serait alors une réaction face à la complexité du système. Une réaction faite de paresse et de démission. Voilà pourquoi les médias débattent sur la publication des photos de Madame Trierweiler ; c’est sans enjeu et ça occupe le temps de cerveau des cons qui peuvent se divertir et se croire intelligent sur des sujets déconnectés des décisions importantes. Mais ne jetons pas la pierre aux cons, ils pourraient nous la renvoyer dans la gueule.

 

Je sens monter la sève philosophique et me dis que le con devrait être un thème de choix pour la pensée à l’ère de la pop philosophie où un tas d’ordures fait réfléchir, autant que les jambes de Marilyn, la guitare de Hendrix ou le bustier de Rachida. Si le con aime se simplifier la vie c’est qu’il ne veut pas endosser la rude responsabilité du choix car bien des décisions relèvent de la balance entre des effets qu’on pressent bons ou mauvais selon le choix. Le con est finalement un type intelligent qui ne veut pas endosser la responsabilité. D’ailleurs, dans l’œuvre de Broch, les somnambules côtoient les irresponsables. Dans l’émission le juste prix, on voit les cons à l’œuvre, ils ne peuvent pas assumer leur choix et en appellent aux proches dans le public. Le con cherche le bonheur mais il fait le malheur des démocraties. Voilà pourquoi Eddy Mitchell n’aime pas les gens heureux. Il assume sans doute l’héritage de Brassens et ce sont les cons qu’il n’aime pas.

 

Pardon de vous avoir ennuyé avec ce billet iconoclaste et surtout conoclaste. Si vous préférez que je cause de biologie quantique, faites-le moi savoir.

 


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