La novlangue néolibérale, ou la rhétorique du fétichisme capitaliste

par Francis, agnotologue
jeudi 20 mars 2008

Cet ouvrage d’Alain Bihr paru récemment vise, selon les propres mots de ce professeur de sociologie à l’université de Franche-Comté (1), « à établir dans quelle mesure le discours néolibéral qui règne aujourd’hui en maître dans toutes les sphères de la société, ressortit à la catégorie orwellienne de la novlangue ».

En quatrième de couverture du volume on peut lire ceci :

"Les Soviétiques avaient l’habitude de dire que la Pravda méritait bien son titre. En effet, il suffisait de la lire pour apprendre la vérité (Pravda en russe)... à condition d’en prendre le contre-pied. Le discours néolibéral qui colonise actuellement les scènes médiatiques et politiques est de la même farine. Pour entendre la vérité en l’écoutant, il suffit d’en inverser les termes, c’est ce qu’entreprend de démontrer cet ouvrage pour les concepts-clés de ce discours. Chacun d’entre eux apparaît alors soit comme un mot-valise qui passe son contraire en contrebande, soit comme un mot écran qui fait obstacle à l’usage de son contraire, soit même comme les deux à la fois. Le discours néolibéral se révèle ainsi être un nouvel avatar de cette perversion discursive pour laquelle Orwell a créé le néologisme ’novlangue’.

Dans les toutes premières pages du livre, l’auteur évoque dans ses grandes lignes le contexte général qui a vu émerger ce discours. C’est d’abord sur le plan économique, la crise structurelle dans laquelle le mode capitaliste de production est entré au niveau mondial au cours des années 70. Ce contexte se caractérise ensuite, sur le plan politique par la rupture de ce que, rétrospectivement, on a pu identifier comme le ’compromis fordiste’ (2). Ce contexte se caractérise enfin, sur un plan plus strictement idéologique, par la faillite de tous les modèles socialistes.

Sur ce dernier point, l’auteur insiste sur la faillite du ’socialisme démocratique’ c’est-à-dire de la sociale-démocratie, qui, au mieux, s’accroche encore quelquefois désespérément aux ruines institutionnelles du compromis fordiste et qui, au pire le plus souvent, a vendu son âme au diable néolibéral dont elle n’est plus que l’avatar soft."

Et, dans l’introduction toujours, l’auteur écrit : "N’oublions jamais que les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes (3). En l’occurrence, le discours néolibéral vise non seulement à justifier les politiques néolibérales en en masquant le caractère de politique de classe, cherchant à transformer et refonder l’exploitation capitaliste, mais encore à les renforcer, tant en servant de langage véhiculaire qu’en brouillant l’intelligence de leurs enjeux pour les membres des classes dominées. C’est le langage actuel des maîtres du monde".

Qui mieux que Nicolas Sarkozy illustre pour nous ces propos et use de la novlangue néolibérale, notamment lorsqu’il soutient avec aplomb et sans rire que "la pensée unique c’est celle de l’opposition" ? C’est du Orwell, non pas au second degré, mais puissance deux !

En quatrième de couverture de l’ouvrage, encore, Alain Bihr ajoute : "En renouant avec la critique marxienne du fétichisme économique, dont la fécondité théorique est ici une nouvelle fois illustrée, il est possible de mettre en évidence l’essence religieuse de ce discours. Ce dernier n’hésite pas à proposer d’immenses sacrifices humains pour assurer la survie de la marchandise, de l’argent, du capital, du marché, de la propriété privée, etc., autant de rapports sociaux réifiés et déifiés devant lesquels il se prosterne comme devant autant d’idoles barbares (...) le roundup, l’aspartame, l’agent orange, les OGM, la dioxyne... sont à ce titre, des conspirations financières et politiques contre les peuples du monde."

Ces propos ont été clairement démontrés mardi 11 mars sur Arte dans cet excellent documentaire de Marie-Monique Robin : Le Monde selon Monsanto (4) suivi d’un débat auquel participait José Bové (excellent), diffusés à la suite. Télérama écrivait dans sa présentation de l’émission : "La démonstration de M.-M. Robin permet aussi de saisir les moyens crapuleux ou retors employés par la firme pour désarmer ses opposants et obtenir des gouvernements qu’ils lui permettent d’étendre son empire."

Plutôt que parler de conspirations, personnellement, j’accuse ici les multinationales de "crimes contre l’humanité dans ces guerres qu’elles ont déclarées contre les peuples de la terre".

(1) Alain Bihr a notamment publié L’Actualité d’un archaïsme (1998), Le Crépuscule des Etats-nations (2000), La Reproduction du capital (2001) et La Préhistoire du capital (2006), tous aux éditions "Page deux".

(2) Le compromis fordiste est un accord tacite selon lequel, en échange d’un salaire relativement élevé et indexé sur la productivité du travail, les salariés sont tenus de se plier aux méthodes de production de masse, créatrices d’efficacité et de gains de productivité, qui caractérisent le fordisme.

(3) Chomsky ne dit pas autre chose, pour qui "le langage que nous manions régulièrement pour décrire les réalités de notre monde est adapté aux intérêts de Washington".

(4) Ce reportage peut être visualisé sur www.foxbghsuit.com et www.arte.tv/lemondeselonmonsanto. Voir aussi en librairie : Le Monde selon Monsanto chez Arte éditions - La Découverte, 20 euros.


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