Dieu est mort, pas les sous-fifres

par Jacques-Robert SIMON
mardi 16 avril 2024

L’Amour a laissé place presque partout à la lubricité légale, les valeurs immatérielles associées ont disparu avec lui, c’est dit-on un signe de modernité. Par contre, la soif de pouvoir de certains n’a diminué en rien mais elle s’exprime autrement que sous le regard dominateur d’un père invisible.

Il y a lieu de s’interroger sur la nature du modèle collectif proposé de nos jours aux populations puisque tout ce qui peut ressembler à une idéologie ou une foi est banni. La maxime « Enrichissez-vous ! » est dans toutes les têtes mais la grande majorité des gens concernés est consciente des difficultés à suivre ce conseil sans avoir hérité d’un cadre social qui s’y prête.

D’après d’aucuns, les foules sont inaptes à raisonner et sont encore plus incapables de se frotter à la réalité vraie, il faut leur construire un monde virtuel où elles pourront s’ébattre voire s’étriper sans endommager les fondements des sociétés où elles vivent. Diverses moutures furent proposées mais l’une des plus significatives proposa un au-delà comme récompense à une vie faite d’abnégation et de soumission. Le succès fut considérable et il dura plus d’un millénaire. Toutefois, la société ainsi construite laissait émerger des savants, des artistes qui n’avaient pas la candeur de leur entourage, mais ils étaient capables d’engendrer de telles merveilles qu’ils arrivaient à survivre. L’œuvre de création était assimilé à un enfantement et l’on respectait l’être nouveau qui venait au monde. Dans ce cadre la chaîne de décision, que l’on peut qualifier de patriarcal, était définie sans ambiguïté : les enfants suivaient les ordres du père, les ignorants ne dictaient pas leur loi aux savants, la cour obéissait au monarque. Mais il arriva un jour où les enfants s’émancipèrent en se connectant au monde entier sans l’avis des parents, les ignorants firent de même en pianotant sur leur clavier où ils trouvaient plus de renseignements sur tous les sujets que le plus expérimenté des érudits, les gouvernants eux-mêmes tremblaient devant médiasphère et réseaux sociaux.

L’énorme avantage des réseaux sociaux c’est qu’ils construisent leur propre réel en ignorant tout de ce qu’on pourrait appeler la réalité, c’est-à-dire quelque chose discernable par tous avec tous les moyens d’observation à disposition. Le vrai s’effaçant, la place est faite pour l’affectif, l’émoi, le touchant, le dramatique, toutes choses qui émeuvent mais qui empêchent de percevoir et de penser. L’au-delà antique est substitué par un autre virtuel tout aussi obsédant et omniprésent.

Le Monde ancien laissait émerger des singularités, des Hommes à l’esprit clair à force d’études et d’efforts. Ils n’avaient probablement pas des qualités physiologiques exceptionnelles mais ils avaient consacré l’entièreté de leur vie à une seule tâche, ils pouvaient servir d’exemples. Le Monde nouveau ne permet plus cette liberté à la marge, ceux qui dominent les moyens de communication, c’est-à-dire le grand nombre, n’ont fait l’objet d’aucun tri qui pourrait permettre de relativiser une certaine médiocrité. Ceux qui expriment une idée, une pensée qui ne correspond pas à ce que dit la meute sont ensevelis sous des monceaux de messages souvent triviaux quelquefois menaçants toujours efficaces pour supprimer la seule vie qui compte encore : l’existence sur un réseau.

Le pouvoir n’est plus dans l’individu isolé mais se trouve aux mains d’une foultitude d’individus où aucune différence n’est faite entre Hanouna et Chevènement. Mais la pensée, l’idée, la créativité émergent quasi-exclusivement de la solitude, l’exception fait la loi tout comme le hasard, les opportunités de l’instant. Une meute faite d’imbéciles ou de mercenaires fait sa loi sur une médiasphère que tout le monde craint même les puissants. Ils coupent les têtes qui risqueraient de faire éclore autre chose qui ne serait pas conforme à la non-pensée dominante.

L’intelligence artificielle n’est pas seulement un ensemble de transistors plus ou moins intelligemment connectés, c’est aussi une multitude de petites mains qui s’agrègent grâce à des ordinateurs pour affirmer leur désir de puissance fondé sur rien d’autre que leur égotisme.


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