Doolin : une nature prodigieuse et de la musique à gogo !

par Fergus
jeudi 7 septembre 2017

Tous les amoureux de l’Irlande, et parmi eux tous ceux qui sont d’inconditionnels amateurs de contrées sauvages mais aussi de musique irlandaise, le savent : Doolin est une incontournable étape de tout road trip dans les comtés de l’ouest. Une occasion également de découvrir l’une de régions les plus étonnantes de la verte Erin...

Se rendre à Doolin (Dúlein, le marais noir, en gaélique), c’est aller vers un bout du monde austère, pris en tenailles entre les humeurs de l’Atlantique et les âpres immensités minérales du Burren (An Bhoireann, le pays de la pierre, en gaélique). Un lieu hors du temps, où l’on vient écouter les mugissements du vent sur les rivages déchiquetés et, le soir venu, la musique des pubs, faite notamment de jigs et de reels qui accompagnent la consommation, parfois peu modérée, des pintes de Guinness, de Murphy’s ou de Beamish pour les brunes, de Smithwick’s, de Killian’s ou de Kilkenny pour les rousses.

Une Irlande de clichés ? Sans doute un peu, et ce n’est pas un hasard si l’on rencontre là des voyageurs venus de différents pays d’Europe, mais aussi des États-Unis – les Américains adorent Doolin –, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, souvent en quête de lointaines racines familiales et culturelles. Paradoxalement, Doolin ne peut pourtant pas prétendre être représentative du village irlandais traditionnel, bâti autour de son église et ancré au cœur de vertes prairies où paissent des brebis. Le charmant petit village portuaire de Kinvara, au nord du Burren, répond mieux à cette carte postale avec ses pâturages ceints de murets, ses maisons colorées, ses pubs, ses croix celtiques et, pour parfaire le chromo, son romantique château médiéval.

Doolin, c’est avant tout une porte ouverte sur l’étrange Burren et son prolongement dans la baie de Galway : l’archipel d’Aran et ses trois îles mythiques, alignées de la plus petite vers la plus grande : Inishheer (l’île de l’est), Inishmaan (l’île du milieu) et Inishmore (la grande île) en figure de proue face au large. Incontestablement, c’est cette dernière qui est la plus fascinante avec ses trois forts datant de l’âge de fer – dont le prodigieux Dun Aengus (Dún Aonghasa) –, et avec ses... 1 600 km de murets de pierre sèche érigés là pour tenter de sauvegarder des espaces de culture ou d’élevage parfois réduits à quelques dizaine de m² ! (Cf. Extraordinaires îles d’Aran) On est là dans un univers karstique typique, composé en surface de lapiez souvent spectaculaires, autrement dit de dalles de calcaire entrecoupées, parfois de manière quasi géométrique, de multitudes de failles et crevasses de tailles variées où tente de survivre une végétation rase d’une surprenante diversité eu égard à l’hostilité du milieu. 

Cet étonnant paysage karstique, on le découvre sur la côte dès le port de Doolin où, comme sur les îles d’Aran, il revêt la forme de dalles calcaires superposées. Et si le Burren prend de la hauteur en arrière des grèves en allant vers le nord jusqu’à la pointe de Black Head ou en s’enfonçant vers l’est – avec un point culminant à 344 m au Slieve Elva et une profondeur de calcaire compact atteignant 800 m d’après les spécialistes –, il garde le même caractère de sévérité minérale en dépit de pelouses rases ou d’étiques bosquets d’arbustes torturés par le vent qui tentent, ici et là, de lui donner un aspect moins aride. Une parenté géologique facilement explicable : les îles d’Aran faisaient partie du Burren avant que l’élévation du niveau de la mer ne les en sépare.

Une flore et une faune remarquables

Les amateurs de botanique savent qu’en dépit des apparences, le Burren est, plus encore que les îles d’Aran, riche de plantes rares. Il sait même faire preuve d’originalité en abritant des espèces montagnardes que l’on ne rencontre que sur les reliefs de type alpin, à l’image de certains saxifrages, des dryades à huit pétales (dryas octopetala), et surtout des ravissantes gentianes acaules (gentiana acaulis) et printanières (gentiana verna). On peut également observer dans le Burren de nombreuses espèces d’orchidées, ce qui n’est pas étonnant dans ce biotope original où, malgré une faible superficie (0,5 % de l’Irlande), l’on ne dénombre pas moins de... 70 % des espèces végétales répertoriées dans le pays !

Côté faune, pas de surprise : on retrouve dans le Burren des lièvres, des renards, et la plupart des espèces de petits carnassiers – parmi lesquelles des hermines et des martres, très familières du lieu –, sans oublier les rongeurs qui offrent des proies aux faucons et éperviers, de même que les invertébrés nourrissent les passereaux et les très nombreux coucous. Vivent également dans ce terroir si particulier un millier de chèvres sauvages, l’une des plus importantes colonies d’Europe. Enfin, la frange côtière est tout naturellement habitée par de nombreuses espèces d’oiseaux de mer dont la concentration n’est toutefois pas aussi spectaculaire que dans les proches Falaises de Moher.

Précisément, c’est un changement radical de paysage que l’on constate dès la sortie sud de Doolin. D’un milieu calcaire, on passe sans transition à un terroir géologique plus complexe fait de schistes et de grès. Il résulte de ce changement une apparence de campagne plus conforme à l’image irlandaise de carte postale, majoritairement constituée de vertes prairies. Mais ce n’est pas cette campagne, aussi reposante soit-elle, qui attire comme un aimant près d’un million de touristes chaque année, ce sont les Falaises de Moher (Cliffs of Moher) dont les vertigineux à-pics constituent le site naturel le plus visité d’Irlande. Alignées du nord au sud à proximité de Doolin, elles offrent aux visiteurs et aux randonneurs une prodigieuse enfilade de parois spectaculaires qui plongent à la verticale dans les eaux moirées de l’Atlantique depuis des hauteurs s’étageant entre 100 et 200 mètres.

Naguère librement accessible, l’aire de stationnement du site est devenu payante il y a quelques années – 6 euros par voiture – mais donne accès à un très intéressant centre d’interprétation du milieu, d’autant mieux intégré qu’il a été largement creusé dans une colline. Le sentier des falaises s’étire de part et d’autre du point d’accueil sur une longueur de huit kilomètres, au sud vers la pointe de Hags Head et au nord vers Doolin. Vertigineux par endroits, ce sentier a été partiellement fermé en 2016 en raison de risques d’effondrement. Au point culminant des falaises (214 m au-dessus des eaux de la baie de Galway), s’élève depuis 1835 une tour d’observation en pierre appelée O’Brien, du nom d’un personnage politique du 19e siècle que l’on dit descendant du légendaire roi Brian Boru, vainqueur des envahisseurs vikings. Les abords de cette tour, et plus encore sa dalle sommitale, offrent une superbe vue sur les falaises, les îles d’Aran, le décor dépouillé du Burren et, de l’autre côté de la baie au nord, les sommets du Connemara (Twelve Bens et Maumturk mountains).

Si tout le monde s’accorde à vanter la beauté du site, ce n’est pas seulement pour la spectaculaire verticalité des falaises : celles-ci sont également un extraordinaire lieu d’observation des oiseaux de mer. Pas moins de 30 000 couples d’entre eux nichent dans les anfractuosités de la roche ou sur les minuscules replats des parois. On trouve là notamment, outre les mouettes et les goélands si communs sur les côtes européennes, des petits pingouins, des guillemots, des cormorans, des fulmars, des macareux et même des corvidés comme le crave à bec rouge. D’où l’importance de ne pas oublier de se munir de jumelles, particulièrement lors des périodes de nidification.

La musique dans le sang

Après l’effort, le réconfort. L’occasion de déguster : en entrée un Smoked Salmon, autrement dit du saumon fumé, ou un Pan Fried Brie, étonnant brie pané frit accompagné d’un chutney, et en plat principal un Irish Stew, sorte de ragoût irlandais, ou un Seafood Chowder, version locale de la soupe de poissons ou de crustacés. Le tout arrosé comme il se doit d‘une pinte de Guinness, la bière qui, c’est bien connu, rend costaud (Guinness for Strength, nous répète la pub depuis des décennies). Le moment également de découvrir les musiciens qui, durant plusieurs heures, vont se succéder ou allier leurs talents lors de sessions animées dans l’un des trois pubs de Doolin : Gus O’Connor’s (fondé en 1832), McDermott’s (1867) et McGann’s (1976), rejoints depuis 2006 par le Fitzpatrick’s bar. Des établissements dont la réputation a depuis longtemps dépassé le cadre de l’Irlande et même, pour Gus O’Connor, franchi les océans.

Une réputation internationale construite sur une solide tradition musicale qui, au fil du temps, a soudé des générations d’habitants de cette petite localité sans jamais se démentir. Entre l’isolement de Doolin et les fureurs de l’océan, c’est en effet dans les pubs que se sont développés les liens qui unissent les autochtones. Certes, ce schéma existe un peu partout en Irlande, mais il est peu de lieux où la musique s’est trouvée si intimement mêlée à la vie sociale d’une petite communauté, au point que l’on a coutume de dire que « les habitants de Doolin ont la musique dans le sang » ! Et en dehors des migrations touristiques estivales, l’on peut encore – malgré la télévision et internet – ressentir cette osmose entre la population de ce village, toutes générations confondues, et cette musique qui a essaimé partout sur la planète grâce à la diaspora irlandaise.

Une musique en l’occurrence diatonique. Avec à la clé un répertoire évidemment fait de ces jigs, reels, et plus rarement hornpipes, qui sont plébiscités par les touristes en quête de rythmes entraînants. Mais un répertoire également riche, à l’image des gwerziou bretons, de laments et de ballads dont le contenu le plus souvent épique et plus profondément ancré dans le cœur des populations, mêle souvent l’histoire à la légende. De nombreux musiciens irlandais ont participé aux sessions musicales dans les pubs de Doolin. Parmi eux, quelques célébrités de la scène irlandaise, tels Sharon Shannon et Davy Spillane, ou passées de la musique traditionnelle au pop-rock comme Steve Wickham, l’un des guitaristes du groupe The Waterboys.

Falaises de Moher, Iles d’Aran, reliefs karstiques du Burren, autant de lieux remarquables et propres à exciter l’imagination, bien loin des contingences du quotidien. Et cela d’autant plus que cette partie du Comté de Clare, outre ses richesses naturelles, recèle de nombreux sites archéologiques des âges de fer et du bronze ainsi que des monuments ou vestiges médiévaux non dénués de romantisme. Et quel que soit le programme de visite que l’on choisit, il est écrit que tout finira, le soir venu, dans un pub où, avec ou sans célébrité au fiddle, à la flûte ou au bodhrán, l’on se laissera emporter par une musique à déguster sans modération, contrairement aux boissons fermentées. La meilleure période pour séjourner à Doolin – ou dans la toute proche ville thermale de Lisdoonvarna – est incontestablement le mois de mai et le début du mois de juin : partout la nature est en fleurs, et les touristes sont encore peu nombreux dans les B&B et les pubs. Turas maith ! (Bon voyage !)

Notes :

Les principales liaisons en bateau vers les îles d’Aran ne partent pas de Doolin, mais du port de Rossaveal (Ros a’ Mhil), situé à 23 km à l’ouest de Galway en direction du Connemara.

Un excellent groupe français, constitué majoritairement de jeunes toulousains passionnés de musique irlandaise, porte le nom de Doolin en hommage à ce lieu mythique (lien musical).

 

Doolin, la rue du Port
Doolin, musique au pub McGann’s
Doolin, la côte vers le sud
Embarqués pour les îles d’Aran
Les falaises de Moher
Musique au pub O’Connor’s
Coucher de soleil à Doolin

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