Grèce – La résignation

par Pierre-Yves Martin
mercredi 14 juin 2017

- De Santorin à Thessalonique -

Nous avons fait trois voyages touristiques en Grèce à un an d'intervalle chacun (1). Ce n'est pas une mauvaise périodicité pour tenter de sentir les évolutions.

Front de mer à Thessalonique

Toujours plus de pauvreté

La pauvreté n'arrête pas d'empirer. Les salaires et les retraites continuent de baisser. Les petits salaires sont couramment de l'ordre de 500 Euros/mois. Une dame nous explique que sa retraite a été divisée exactement par deux et que le nouveau train de mesures va encore l'amputer de façon importante. Et en même temps les prix ont beaucoup augmenté, à cause notamment des hausses de TVA. En Grèce continentale, les produits alimentaires locaux, l'hôtellerie et la restauration sont en dessous des prix français et les autres prix sont souvent comparables. Santorin est chère, même par rapport à la France. L'essence est à peu prés aussi chère en Grèce continentale qu'en France, et nettement plus à Santorin.

Les classes moyennes ne sont pas du tout épargnées, mais l'écart se creuse entre ceux qui avaient un peu de fortune et ceux qui n’en avaient pas du tout. Ces derniers basculent dans la misère. On nous a dit qu'à Thessalonique il y a maintenant des mendiants, ce qui n'était jamais arrivé jusqu'ici, et effectivement nous en avons vu.

La fraude fiscale a diminué, mais il est toujours très bien vu de payer en liquide et les pourboires ne sont jamais refusés. A Kalambaka (Thesssalie), nous dînons à trois dans un des meilleurs restaurants de la ville, dont le propriétaire est prospère. Lorsque nous sortons une carte de crédit, le serveur nous demande fermement de payer en liquide ; « malheureusement », nous n'avons brusquement plus d’argent liquide… et nous n’y retournerons pas.

Crise économique, une expression discutable

Pour la situation économique et sociale en Grèce je ne saurais être plus clair que la première partie de l'article de MARTINEZ sur Agoravox (2).

Des Grecs que nous avons rencontrés parlent de crise économique et la voient comme mondiale.

Éliminons d'abord un malentendu. Le chômage n'est pas la crise économique. C'est au contraire un des facteurs de la rentabilité des capitaux. Le libéralisme ne vise jamais le plein emploi, bien au contraire ; le chômage, ils y tiennent... et dans tous les pays. Karl Marx parlait d'« armée de réserve du capital ». L'expression « crise économique » a deux connotations : fatalité et durée limitée. Elle sous-entend un avenir meilleur. Quelque part, son utilisation systématique contribue à faire accepter la situation. Or, si le PIB grec a énormément diminué, c'est dû principalement à la prédation du capital financier international sur ce pays et, accessoirement, à l'évasion fiscale et financière des très riches, pas à une « crise » venue d'on ne sait où. En ce qui concerne les perspectives d'avenir, l'optimisme est à mesurer. Les mêmes causes risquent de continuer à produire les mêmes effets. Cf. l'article de Thémis Tzimas sur le site en Français de l'organisation de gauche Union Populaire (3).

On n'a pas pour autant l'impression d'un pays en déliquescence. Le tourisme est florissant et entraîne d'autres secteurs de l'économie. On construit encore beaucoup, pour héberger les touristes. Des cimenteries sont arrêtées, mais d'autres sont en pleine activité, par exemple avec un écriteau « Lafarge béton ». L'agriculture (oliveraies, vignes, etc.) paraît souvent prospère et s'accompagne d'industries agroalimentaires (produits laitiers, vin, bière, etc.).

Vigne à Santorin

Enfin des entreprises internationales profitent d'une main d’œuvre bien formée, bon marché et probablement peu exigeante sur les conditions de travail. On voit ici et là des bâtiments très modernes...

A noter la place des capitaux allemands parmi ceux qui profitent de la situation. C'est ainsi que la société allemande semi-publique Fraport s'est offerte les 14 aéroports régionaux les plus rentables à des conditions très favorables, avec l'appui des autorités de Bruxelles. Quant aux conséquences en termes de service, je raconterai plus loin notre expérience de celui de Santorin. Et partout les Lidl fleurissent, si on peut dire

Le tourisme de masse

Les ressources du tourisme sont vitales pour la Grèce actuelle. Il ne s'agit pas partout d'un tourisme de masse, mais à Santorin, ça l'est. Une franco-grecque vivant à Santorin, rencontrée par hasard, nous dit que les touristes qui passent des nuits sont surtout Chinois, Français, Allemands et qu'il y a de plus en plus d'Indiens.

HLM flottants à Santorin

En juillet-août, Santorin doit être presque invivable (et chère).

Nous repartons par l'aéroport de Santorin, qui est géré, rappelons-le, par un groupe mené par l'allemand Fraport. Le samedi 27 mai est assez chargé, mais ce n'est quant même pas la haute saison. A l'arrivée, on nous ordonne de nous mettre à la fin d'une longue queue à l'extérieur de l'aéroport lui-même. Ce sera pour l'enregistrement des bagages. A la suite de quoi, on nous ordonne de ressortir de l'aéroport pour prendre une deuxième queue. Ce sera pour l'enregistrement des passagers. Pour la troisième queue, le contrôle de police, il y a un progrès : c'est entièrement à l'intérieur. En revanche, les agents sont encore plus secs que les précédents. Où est la Grèce que nous avons connue ? Mais nous n'avons encore rien vu.

Nous nous retrouvons dans une salle d'attente commune à tous les vols et totalement bondée. L'heure de décollage théorique étant 11 h 35, un retard est annoncé vers 11 h 25, alors que nous devrions être déjà embarqués, puis il est prolongé. Vers 13 h 10, l'écran annonce « boarding ». Problème : l'avion que nous devons prendre n'atterrira dans l'aéroport que nettement après cet affichage. Mon épouse et une autre Française se partagent un bout de tablette basse pour s'asseoir ; les maris restent debout, et serrés. Une passagère fait une crise de nerfs et ses cris perçants s'entendent de partout. Un des passagers arrive enfin à obtenir un début d'explication. Ce serait la capacité de parcage des avions dans l'aéroport qui ne suffirait pas. Possible, mais cet aéroport n'est pas très grand ; ils doivent la connaître, leur capacité de parcage, et les vols sont prévus longtemps à l'avance. Nous décollerons avec deux heures de retard. Je n'ai pas entendu d'excuses de la part de l'aéroport.

La rentabilité, c'est d'entasser le maximum de touristes, même au delà du raisonnable. Quand le capitalisme mondialisé organise le tourisme, le touriste n’est plus un hôte, ni même un client ; ce n’est qu'une marchandise.

Le poids de l'église orthodoxe

En Grèce l'orthodoxie est religion d'état. L'église orthodoxe a d'importants privilèges.

Il est notoire qu'elle est riche, et cela se voit à de nombreux détails.

Les églises et bâtiments religieux sont pimpants.

Eglise à Megalochori (Santorin)

Nous entrons quelques minutes dans le monastère de Saint Jean le Théologien, à Souroti (Macédoine). C'est un vaste domaine, avec notamment un grand bâtiment d'habitation (pour les visiteurs ?), plusieurs dômes d'églises, etc. Partout, il donne une impression d'opulence.

Monastère à Souroti

Les popes se déplacent en ville avec des sacs très « cadre », qui doivent souvent contenir des ordinateurs.

Il y a certainement des Grecs qui désapprouvent cette richesse, mais la majorité de la population semble l'accepter sans réserves. Car leur piété est sincère et n'hésite pas à se montrer. Au monastère de Souroti, beaucoup baisent les icônes ; une femme nous encourage à aller dans l'église où se déroule un office, à grands renforts de sourires et, faute de vocabulaire religieux commun, de signes de croix. Je lui réponds « It's not our deal ». Elle ne nous en veut pas.

Le 28 mai, à Kalambaka (Thessalie), une commémoration historique donne un aperçu de l'articulation entre sentiment national, religion et politique : il s'agit de la commémoration de la prise de la ville par les Turcs, au 14ème siècle.

Dans la rue, trois femmes âgées assises sur un muret s'étaient adressées à nous pour nous inciter à y aller ce soir-là : « Ce sera très beau ».

Une sorte de château en carton, assez naïf, a été dressé devant la vieille et belle église byzantine, dont le clocher est souvent éclairé par des projecteurs de couleur (4).

Coommémoration à Kalambaka

L'organisation est bonne et la sono excellente. Il y a beaucoup de monde. Le premier à parler est en costume de pope. Le maire suit peu après. Je devine que les principaux discours ont deux phases, l'évocation nostalgique d'un passé où l'orthodoxie était encore plus dominante que maintenant, puis le présent. Je voudrais comprendre les messages... Il y a aussi des déclamations de textes, danses folkloriques en costumes, chants, etc.

Un mélange donc de nationalisme et d'autorité religieuse. A en juger par l'affluence, mais aussi par l'écoute, ça marche.

En Grèce, la religion n'est pas qu'une affaire individuelle, ni même collective. C'est aussi un pouvoir multiforme. Ce pouvoir influence probablement l'opinion publique vers la droite, voire l'extrême- droite. On disait dans le temps que ce n'était pas le cas en Crète.

Adaptation ou acceptation ?

La Grèce semble avoir retrouvé son animation. Par rapport à l'année dernière à la même époque, il y a plus de monde dans les cafés ou sur les promenades. Quand ils ne sont pas au café, ils discutent là où ils le peuvent. Nos interlocuteurs plaisantent davantage. Ils nous suggèrent aussi plus facilement des sites à visiter ou des activités auxquelles assister.

Bref, la Grèce semble avoir un peu retrouvé de son ambiance traditionnelle.

Avec quand même une exception. Dans la aéroports souvent, mais aussi dans des lieux à visiter, on rencontre de employés qui font appliquer rigidement et pas toujours courtoisement des règlements, même quand c’est superflu. Et cela, ce n'était pas grec du tout. Peur de perdre leur travail ? Aigreur devant la dégradation de leur vie ? Un exemple : nous visitons les ruines du vieil Akrotiri à Santorin. Il y a peu de monde. Nous n'avons pas fait attention aux flèches qui indiquent des sens de circulation. Nous sommes au milieu d'une passerelle assez large et d'une quarantaine de mètres de long, seuls et sans que personne ne fasse mine d'y entrer, lorsqu'une gardienne nous intercepte et nous oblige à rebrousser chemin sans vouloir rien entendre.

Le dernier soir de notre voyage, je dis à une personne qui tient un petit restaurant à Souroti que les Grecs me semblent plus gais et plus animés que l’année dernière. Elle réfléchit un peu et dit que c‘est probablement vrai. Les gens ont pris la mesure de la crise économique. Elle veut espérer qu'il y aura une plus belle vie, au moins pour elle-même. Elle fait le nécessaire pour cela ; par exemple, elle apprend des langues (Russe et Ukrainien, en plus du Français, de l’Allemand et de l’Anglais)

Individuellement, c'est tant mieux et ils ont raison. Mais la grande finance internationale a, là encore, gagné. Ils intériorisent la compétition effrénée et impitoyable aux faibles comme une fatalité pour survivre. Et ils ne croient probablement plus beaucoup à la résistance collective.

Et les élections françaises ?

Deux personnes nous ont parlé de M. Macron. L’un d’eux, proche des milieux franco-grecs nous a dit « Si j'avais été français, j'aurais voté au deuxième tour pour Marie (sic), parce qu’elle, au moins, elle aime la France ». L’autre nous a interrogés avec une curiosité amusée ; quand je lui ai répondu que M. Macron était venu de la banque Rothschild, sa curiosité a instantanément disparu ; affaire classée !

Laissons le mot de la fin à une jeune Française qui aide son compagnon grec à tenir un restaurant. Elle nous entend commenter une communication par Facebook et demande de quoi il s’agit. Je lui réponds qu’une personne que nous connaissons est susceptible d'être élue députée macroniste, mais que nous n’y sommes pour rien. Elle me fait expliquer le terme « macroniste », et dit « la politique ! »

 … avec une mégatonne de mépris.

(1) http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/voyages/article/tourisme-a-corfou-c-est-deja-aider-167743 et http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/voyages/article/grece-un-an-plus-tard-181591

(2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-grece-continue-de-couler-la-193343

(3) https://unitepopulaire-fr.org/2017/01/03/lhistoire-dune-absurdite-economique-commentaire-sur-leurogroupe/

(4) http://www.kalabakacity.gr/images/stories/Ekdiloseis/kalabaka_alosi_tis_polis_2017/alosi_kalabaka_IMG_0540.jpg et http://www.kalabakacity.gr/eidhseis/35371-kalampaka3a-tin-tetarti-ekdilosi-gia-tin-alosi-tis-polis-apo-tin-im-stagon-kai-meteoron-kai-ton-dimo-kalampakas.html


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