Retour dans l’Aubrac

par Fergus
jeudi 29 juin 2023

En août 2012, je publiais un article intitulé Aubrac : du granite, des vaches, et une incomparable sérénité. 11 ans plus tard, rien ou presque n’a changé dans ce terroir pastoral : le granite est toujours là et les vaches également ; quant à la sérénité, elle y est légendaire, ce que confirment les pèlerins de Compostelle engagés sur la Via Podensis...

Chemin fleuri de l’Aubrac

En relisant ce texte, je me suis aperçu que je m’étais rendu coupable de quelques oublis. Par exemple, pas un mot sur la Chaussée des géants. Ne voyez pas là l’effet d’une alcoolisation à l’Avèze ou à la Salers : je ne parle évidemment pas de celle, très spectaculaire, qui attire des milliers de touristes dans le Comté nord-irlandais d’Antrim (lien), mais de celle qui, sous le regard des vaches, pave le lit et les rives du ruisseau des Plèches en aval du pont des Nègres, non loin de Nasbinals. Les mauvaises langues diront, au vu du damier de prismes basaltiques lozérien qu’il s’agit là à de bien modestes géants. Difficile en effet pour ces concrétions minérales de soutenir la comparaison avec l’extraordinaire site irlandais sans risquer de s’attirer les moqueries de ce bon Patrick dont nul n’ignore qu’il est le saint patron de l’Irlande toute l’année, et de la Guinness chaque 17 mars (lien).

La Chaussée des Géants !

Aussi humble soit-elle au cœur des estives, la Chaussée des géants version Aubrac n’en possède pas moins un charme indéniable. À tel point que déguster en ce lieu un morceau de laguiole de 12 à 18 mois d’affinage sur une épaisse tranche de pain de seigle, les pieds dans l’eau fraîche et dynamisante de la rivière, est un réel plaisir que nombre de randonneurs ont goûté avec un indicible plaisir, à l’image de votre serviteur. À noter que le nom de ce pont de pierre pourrait bien être ciblé s’il parvenait aux oreilles sensibles des partisans de la culture woke, une appellation comme « pont des Nègres » étant de nature à froisser la susceptibilité de ces agités de la cougourde, empoisonnés par une propagande délétère. Couyounadas ! Ce serait en effet complètement stupide, les « nègres » en question étant... les truites fario qui batifolent dans le cours d’eau : on les nomme ici negras.

Direction Nasbinals où, près du champ de foire, une colonne surmontée d’un buste en pierre met à l’honneur une personnalité de l’Aubrac. Cet homme a-t-il été un brillant député ? un officier valeureux ? un éminent magistrat ? un scientifique renommé ? Rien de tout cela : Pierre Brioude, dit Pierrounet, était un modeste ouvrier agricole devenu cantonnier. Or, il advint que cet homme humble, serviable et désintéressé montra très tôt d’exceptionnels talents de rebouteux, de rhabilleur comme l’on disait ici. Il les mit d’abord au service des paysans pour soigner leurs bêtes blessées, puis des femmes et des hommes qui, las des échecs des médecins, arrivèrent de plus en plus nombreux – parfois au terme de longs voyages – pour recourir au don exceptionnel que possédait Pierrounet. À tel point que l’on dut construire 3 hôtels à Nasbinals pour accueillir ces gens. Étonnant, non ? (cf. Pierrounet, rebouteux de l’Aubrac)

Buste de Pierrounet à Nasbinals

Le taureau n’est pas macho

L’Aubrac, c’est surtout la profusion des troupeaux de bovins de race éponyme qui colonisent les pâturages. Des vaches aux yeux noirs dont il est préférable de se tenir à l’écart lorsqu’elles maternent leur veau après avoir mis bas. Et cela au terme d’un processus naturel n’étant pas dû à l’intervention d’un « taureau à chapeau » comme l’on dit pour désigner l’inséminateur artificiel qui intervient dans les élevages de races mélangées. Ici, c’est encore le taureau aubrac, trapu et noiraud de la tête et du poitrail, qui officie. Observez les troupeaux, et vous le verrez au milieu de son harem. Il n’en est toutefois pas le chef, ce rôle étant dévolu à la femelle de plus fort caractère. Il s’en fiche, lou bouri : il n’est pas macho ! Généralement débonnaire et paisible, mieux vaut toutefois ne pas l’approcher de trop près s’il commence à gratter le sol, sauf à vouloir jouer les Manolete des estives.

Troupeau aubrac au lac de Saint-Andéol

Comme chacun le sait, l’Aubrac et un pays de granite. Cette roche élégante est omniprésente dans les chaos rocheux et les appareillages de pierre, parfois impressionnants, des maisons anciennes et de ces belles églises romanes surmontées de clochers à peigne. C’est aussi dans le granite qu’ont été taillés quelques calvaires et la quasi-totalité des croix de chemin que l’on peut rencontrer en parcourant la campagne. Plus surprenant, le granite a été très longtemps utilisé pour clôturer les pâturages dans le nord de l’Aubrac, notamment dans le secteur de Fournels et Saint-Just. Des décennies après qu’ils aient été mis en place, les poteaux de granite sont toujours là, et sans doute le seront-ils encore durant des siècles s’ils ne sont pas abattus par les descendants de ceux qui les ont taillés dans la roche brute ou qui les ont solidement plantés dans le sol.

Un mot enfin sur l’une des particularités de l’Aubrac, bien connue des amoureux du ciel et de ses constellations : son exceptionnelle limpidité nocturne. Situés à l’écart des villes, ces hauts plateaux à vocation pastorale ne sont quasiment pas exposés à la pollution lumineuse engendrée par les activités humaines des grandes agglomérations. Cela en fait, de l’avis des astronomes, et pas seulement des amateurs, l’un des meilleurs « spots » du territoire national métropolitain, à l’exception des observatoires de haute altitude. Ici, même sans lunette spécifique, l’on prend un immense plaisir, lorsque la couverture nuageuse est nulle, à parcourir les immensités célestes. On peut même y découvrir, entre le bélier et les gémeaux, la constellation du taureau, clin d’œil astronomique à son homonyme de chair et d’os admiré l’après-midi même dans l’estive.

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