Quelle violence ? Quelle police ?

par Robert GIL
mercredi 8 mai 2024

Dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le droit à la sécurité est la protection des individus contre les arrestations et les emprisonnements arbitraires de l’État, dans le but d’assurer leur liberté. Aujourd’hui, ce qu’on appelle le droit à la sécurité, c’est plutôt l’instauration d’un État arbitraire et policier, qui va précisément restreindre nos libertés ! C’est le monde à l’envers ! Les médias adorent nous parler de la radicalité des « black block » ou de « l’ultra gauche », alors que ceux qui se sont les plus radicalisés ces dernières années, ce sont les gouvernements, les actionnaires, les détenteurs du capital !

Nos éditorialistes et nos journalistes approuvent et soutiennent les excès des manifestants quand cela se passe dans des pays qui n’adoptent ni nos façons de penser, ni nos critères économiques. Là-bas, loin de nos frontières, ils comprennent et encouragent les violences commises contre les policiers, alors qu’ici ils s’en offusquent et les condamnent, pour plaire à leurs patrons milliardaires. En vérité, ces gens-là sont déconnectés des réalités, bien à l’abri dans les beaux quartiers, la violence leur fait peur, le peuple leur fait peur, et quand on a peur du peuple c’est que l’on n’est pas à l’aise dans ses baskets. Le parler, l’aspect, les gestes du peuple font peur à ces personnes qui ne reculent pas devant un procès en diffamation pour quelques mots, mais qui trouvent normal qu’un président de la république (Hollande) traite les pauvres de « sans-dent » ou qu’un autre (Macron) les qualifie de « gens qui ne sont rien ». Elle se trouve où selon eux, la frontière entre l’insulte, le mépris et la normalité ?

Le discours sécuritaire permet aux classes dominantes de mener une politique d’agression inouïe contre les classes populaires, en se présentant sous un visage protecteur et universaliste. Parler de lutte contre l’insécurité, c’est essayer de construire une représentation rassurante du pouvoir en place pour justifier toutes les régressions sociales et démocratiques par la nécessité de vaincre les ennemis de la liberté et de la sécurité. Ce discours bien-pensant permet de passer sous silence la violence actionnariale qui, pour gonfler les dividendes, n’hésite pas à jeter des milliers de familles à la rue.

Voici une citation d’un archevêque catholique brésilien, Hélder Pessoa Câmara (1), connu pour sa lutte contre la pauvreté dans son diocèse et dans le monde : «  Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Quant à savoir s’il faut rallier la police par des appels «  la police avec nous », je pense que c’est peine perdue, car la majorité de ces personnes a un mode de pensée façonné par l’institution et facilité par le recrutement qui se dégrade (2). Dans les manifs, certains scandent « police nationale, milice du capital », c’est, sans doute, plus conforme à la réalité. Mais je ne peux quand même pas imaginer que la seule ambition des personnes qui s’engagent dans les forces de répression soit de servir les plus riches, de « casser » du manifestant ou de dégager manu militari les salariés qui occupent leur usine pour essayer de sauver leurs emplois. Comprennent-ils qu’ils ne sont pas au service exclusif des milliardaires qui nous gouvernent ? Savent-ils que s’ils continuent de la sorte, le sentiment anti-flic va créer une cassure définitive entre eux et le reste de la population ? La police a pour mission de protéger tous les citoyens sans distinction d’opinion politique, religieuse ou philosophiques. La liberté d’expression est un droit fondamental inscrit dans notre constitution.

Tous les citoyens ont besoin d’une police qui les protège, qui les écoute, pas qui leur fasse peur. La police doit être au service de la paix et de la tranquillité publique, et du bien être de tous les citoyens. Ce ne doit être ni une police d’opinion, ni une police politique. Enfin, la meilleure des sécurités c’est d’avoir l’assurance de vivre dignement tout au long de sa vie, de pouvoir se soigner et éduquer ses enfants gratuitement. La pauvreté, la précarité, la destruction de notre modèle social sont les principales causes de l’insécurité.

Au-delà d’une rhétorique qui peut paraitre théorique il y a un aspect de l’insécurité qu’il ne faut pas négliger, c’est le sentiment d’insécurité lié aux conditions d’existence d’une grande partie de la population. Ce sont principalement les classes populaires qui sont confrontées à l’insécurité quotidienne et aux actes d’incivilités qui conduisent à un ras le bol. Pour beaucoup coincés dans leur vie qui n’a rien d’un feuilleton à l’eau de rose de TF1, ces questions sont importantes et augmentent leur sentiment de mal être et de délaissement. Pour pouvoir parler luttes des classes il faut commencer par régler les problèmes basiques afin d’être entendu sur le reste. C’est exactement la même chose pour beaucoup de sujet, comme l’écologie par exemple, celui qui a un salaire de misère, qui vit dans un logement insalubre, qui n’arrive pas à se soigner, à se chauffer ou à se nourrir correctement, n’en a rien à faire de l’écologie.

Livres à télécharger gratuitement et à imprimer

REF :

(1) Dom Helder, est une des grandes figures fondatrices de « la théologie de la libération » des années 1960/70 : « l’Eglise des pauvres au service des pauvres », à laquelle adhéraient de nombreux prêtres et évêques du continent. Ils participèrent aux luttes populaires, et au rejet des dictatures militaires mises en place par les Etats-Unis. Le vilain archevêque « rouge » se heurta au très anti-communiste pape Jean-Paul II qui nomma pour lui succéder José Cardoso Sobrinho. Ensemble, ils s’acharnèrent à détruire tout ce qu’avait mis en place dom Helder. L’Eglise progressiste latino-américaine fut reprise en main, cassée, affaiblie, réprimée, par le Vatican. On se souvient de la scène à Managua, de Jean Paul II menaçant dès sa descente d’avion le prêtre et poète, et ministre sandiniste, Ernesto Cardenal. (2) La Croix, le 07/03/2021 : « Les recrues de la police ont un plus faible niveau qu’avant ».


Lire l'article complet, et les commentaires