Tout sur le bouchon
par C’est Nabum
mardi 17 juillet 2018
De Liège et de toute autre nature.
Il faut parfois pousser la paradoxe bien loin pour trouver matière à disserter de tout et plus particulièrement de moins que rien. Les sujets graves ne manquent certes pas mais en ce jour ensoleillé, alors que le Médoc me tend ses goulots, un bouchon sournois me pousse à mettre mes élucubrations en bouteille moi qui suis à l’affût du moindre sujet.
Le bouchon est mis à toutes les sauces, c’est sans doute pourquoi il dispose de ce goût si désagréable qu’il nous fait refuser le flacon qu’il souille de son infâme saveur ! Il aime tout autant se faire tirer l’oreille, qu’un amas de cire obstrue, pour ne pas entendre les propos désagréables qui ne manquent jamais de tailler la route tout autant que le cep de vigne. Il en est même qui se font muqueux pour notre plus grand déplaisir même quand un quidam boit à notre santé.
Il est d’autres bouchons, plus intimes, plus secrets qui jouent sur l’humeur de ceux qui, victime d’une honteuse rétention, en viennent à faire un détour par Agen pour enfin pouvoir se libérer les entrailles dans quelques édicules privés ou publics. C’est là manière de soulager l’encombrant dépôt qui se refuse à aller à la chasse. Si la toilette est sèche, on peut parfaitement prendre un peu de paille et bouchonner l’objet du délit. Mais c’est bien le cheval après la course qui réclame ce bouchon salvateur, qui permet de panser à défaut d’être.
Les enfants quant à eux jouent au bouchon, manière astucieuse d’attendre patiemment l’âge où ils auront enfin le droit de se servir du tire-bouchon pour déguster ce merveilleux nectar qui aime à se préserver grâce au petit morceau de liège. C’est sans nul doute plus fort que de jouer au bouchon, à la vache qui tâche et à ces jeux enfantins qui ont fait, en leur temps, notre bonheur.
Curieusement ce bouchon-là abat un palais sur une planche de bois tandis que l’autre ravit le palais avant la gueule de bois. D’autres se cachent dans les traboules lyonnaises, l’appétit vient en mangeant tout en y buvant tout son saoul. Le bouchon dans ce cas présent est rarement doseur, il n’aime rien tant que l’excès et l’abus. Dépasser la dose prescrite est non seulement un plaisir mais une nécessité dans la capitale des Gaules.
Fort de cette belle griserie, vous irez taquiner le goujon, en gardant du coin de l’œil ce bouchon qui tarde à s’enfoncer dans les flots. Vous aurez une drôle de touche si nous omettez de mettre à fraîchir une bonne bouteille dans le frais de la rivière. Vous m’avez tendu la perche, je tire à la ligne pour boire un autre verre. D’autres sur la berge viseront le bouchon, un cochonnet qui a les boules dans un cercle restreint où il convient de garder les pieds joints.
Quelques enfants s’amusent sur la rive, une mère appelle le sien : « Mon petit bouchon », sobriquet pour ce biquet adorable qu’elle a fait sauter ses genoux comme un bouchon de champagne. Il est trognon le gamin, il le sera beaucoup moins s’il tombe à l’eau, il risque de ne pas flotter comme son éponyme. La prudence s’impose à Liège comme partout ailleurs.
Mais comment l’attacher lui qui ne vient pas du chêne ? La question peut vous paraître absurde à qui est bouché ou ignore tout de ces arbres à l’écorce molle dont on fait naturellement les nobles opercules de nos grands crus. Hélas, là aussi le factice, le plastique et même la capsule à vis s’imposent désormais à la grande tradition ancestrale. Comment boire sans avoir entendu ce merveilleux déclic qui conditionne depuis des lustres, les papilles tricolores.
Le bouchon risque fort de passer de saison et de mode. Bon nombre de ses usages vont se dissoudre dans de nouvelles façons de faire, y compris sur les routes qui sont vite désertées par des automobilistes lassés de cracher au bassinet de la fiscalité routière. Si le tire-bouchon, le seul outil dont je sache vraiment me servir, les yeux fermés et la bouche grande ouverte, vient à disparaître, tout en sera fini de notre art de vivre.
À défaut dans l’instant de défaire le muselet qui tient enserré un bouchon de champagne, je veux ici dresser un mausolée de mots pour honorer ce merveilleux petit morceau de liège au son si mélodieux quand il saute. C’est un appel à la fête, à la douce convivialité. Laissons Parcimonie et Modération faire la lippe ! Qu’ils se bouchent les oreilles et nous laissent à notre joyeuse griserie.
Tire-bouchonnement vôtre.