Quand Tirésias jouait les oracles

par C’est Nabum
mercredi 26 mars 2025

 

L'écho-son.

 

Se prénommer Tirésias n'est pas fardeau facile à porter. Il faut à tout moment répondre à des interrogations qui imposent de prédire l'avenir, de proposer des visions pour éclairer ce futur qui pour beaucoup est incertain. Notre ami se faisait un devoir de répondre à toutes ces demandes en pratiquant une curieuse divination.

Il aurait pu tirer les cartes, regarder dans une boule de cristal ou bien le marc à café, lire les lignes de la main ou encore jouer les augures dans les entrailles des volailles. Rien de tout ça ne le satisfaisait, il avait besoin d'une démarche beaucoup plus personnelle, histoire sans doute d'explorer un autre possible.

L'oracle aimait placer ses mains sur sa bouche, simulant ainsi un coquillage, pour amplifier sa voix tout en posant une question. Bien que nul n'entendait la réponse, lui prétendait recevoir la réponse par réflexion du son qu'il avait émis. C'est ainsi qu'il devait choisir attentivement l'endroit le plus propice pour entendre la voix du destin.

Tirésias, en dépit de son prénom grec était toujours habillé en kilt. Une fantaisie pour les uns, une nécessité pour lui qui ne disait mot sur cette curieuse habitude. Mais qu'importe, puisque l'important résidait dans la pertinence de ses prévisions et l'étrange comportement qui était sien comme s'il se faisait un devoir de se jouer des mots pour entretenir la crédulité des gens.

Le plus souvent, il donnait rendez-vous à ses clients en bord de Loire, dans un espace vierge d'habitation. Il se positionnait sur la rive, se plaçant dans le sens du vent pour interroger la rivière. Devant la perplexité des questionneurs, il répondait avec le sourire : je suis à l'écoute de l'écho-côtier.

Parfois, il allait chez les gens. Il fallait que la demeure soit confortable, haute de plafond pour que fonctionne à merveille sa connexion avec les mystères de la réflexion du son. Les résidents de s'interroger sur le phénomène qui leur échappait mais que le devin qualifiait avec un petit air narquois d'écho-logis à moins qui leur servit l'écho-habitation.

Souvent, après avoir rendu ses prévisions et qu'il demandait un écot qui n'était pas anodin, ceux qui avaient le sentiment de se faire dépouiller se voyaient servir des remarques qui les laissaient sur le cul. Tirésias du tac au tac disait alors que l'écho-paie à moins que pour entrer dans l'éther, l'écho-cher s'impose.

Il lui arrivait parfois de prédire l'avenir sur un bateau pourvu qu'il remonte le courant sous voile. Il avait alors des justifications qui laissaient sans voix ceux qui l'avaient sollicité. Goguenard, il répliquait qu'il était à l'écoute de l'écho-l'air pour éviter de tomber dans l'écho-mât. À d'autres, il avait donné rendez-vous au musée des engins blindés de Saumur. Devant leur air éberlué, il ripostait que l'écho-chenille sortait de l'écho-con tandis qu'il convenait de sortir de l'écho-piste pour sauver l'écho-peau.

Un jour, il se permit de prédire l'avenir chez un matelassier. Comme chacun peut le comprendre, dans cette profession, il convient de commencer de très bonne heure pour que le matelas soit livré le soir-même. Ainsi il justifiait ce rendez-vous en affirmant que l'écho-tôt se révèle à lui quand l'écho-carde pour s'en retourner à l'écho-lit.

Devant tant de mauvaise foi et des calembours plus que douteux, il finit par voir son don de divination remis en cause. C'est un léton qui lui demanda la raison de sa curieuse vêture et qui obtient ce jour-là la seule vérité que n'ait jamais proféré Tirésias. Il lui répondit dans le creux de l'oreille qu'il se grimait ainsi parce que seul l'écho-sait. Puis après cet aveu dérisoire, il se tint à jamais à carreau, cessant de tromper son monde comme nombre de prophètes de pacotille un peu partout de par le vaste monde.


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