Police : drones et télédétection optique

par Desmaretz Gérard
mercredi 10 avril 2024

Le 2 avril 2024, trois jours après la découverte du crâne du petit Émile, des dronistes de l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale s'affairaient à fixer les lieux pour tenter de retrouver d'autres parties du corps ou tout autre indice. « L'objectif est de fixer la scène pour la maintenir dans les meilleures conditions et garantir le replacement des indices. (...) Ces drones permettent dans un premier temps de cartographier de manière très fine l'ensemble de la scène par des prises de clichés pour ensuite reconstituer en 3D et en 2D avec des cartes, des vues en trois dimensions, l'ensemble de la scène. Et on est aussi capable avec ce drone de le positionner dans l'espace au centimètre près grâce à des corrections GPS, pour permettre également de replacer l'ensemble des indices qui sont récoltés ».

En quelques années le drone est devenu indispensable. Il peut survoler une zone rapidement et s’approcher d'un objet ou d'une victime pour en délivrer des images en direct afin de prendre les décisions très rapidement (recherches, exploration, surveillance, guidage, constatations). La télédétection s'est étendue aux accidents : crashes aériens, carambolages, aux catastrophes : submersion, incendie, et aux activités civiles : agriculture, viticulture, foresterie, pollution, urbanisme, géologie, qualité des eaux, contrôle d'ouvrages d'art, etc.

La télédétection optique repose sur le comportement des rayons lumineux réfléchis par un objet ou émis par une source. Le spectre visuel des ondes électromagnétiques s'étend des ultra-violets aux infra-rouges. Les couleurs de l'arc-en-ciel (violet, bleu, vert, jaune, orange, rouge) représentent le spectre visible qui s'étend d'environ 400 à 700 nanomètres (10-9). La lumière naturelle contient les trois couleurs primaires : bleu (400 à 500 nm ), vert-jaune (500 à 600 nm), rouge (600 à 700 nm), qui projetées ensemble donnent le blanc (qui n'est pas une couleur pas plus que le noir ; absence de lumière). La synthèse additive permet d'obtenir toutes les couleurs à partir de ces trois couleurs.

Les couleurs ne sont pas une propriété de la matière. Une tomate rouge éclairée par la lumière naturelle absorbe la plupart des longueurs d'onde et réfléchit celle correspondant au rouge. La couleur est plus ou moins affectée par l'éclairage. Si le fruit est éclairé par une source lumineuse colorée, l’œil perçoit le produit des deux couleurs comme le ferait un filtre coloré (importance de la balance des blancs). Une tomate éclairée par une lumière jaune semble orange ; principe de la synthèse soustractive que l'on retrouve en imprimerie ou en peinture (soustraction des couleurs de base : jaune, magenta, cyan complémentaires des trois couleurs primaires).

Sur un appareil numérique, tout comme sur un appareil argentique on retrouve un objectif, un diaphragme, un obturateur et un capteur Charge coupled Device qui remplace le film. Le capteur CCD (semi-conducteur) utilise l'effet photoélectrique pour convertir les photons en électrons. La matrice est composée de photosites disposés en lignes et en colonnes pour former un « damier » capable de recueillir toutes les longueurs d'ondes s'étendant de l'ultraviolet aux infrarouges proches. La lumière reçue est convertie en niveaux électriques (tension). L'énergie d'un quantum en électron-volts est égale à 1234 / λ (approximation facile à retenir), exemple 2,468 pour 500 nm et 1,3 à 950 nm (IR). Le signal est transmis aux circuits chargés de son traitement sous forme numérique. Les photosites ne captant que des nuances de gris, l'arrière du capteur est pourvu de filtres RVB (matrice de Bayer) qui permettent la restitution en vraies couleurs (dématriçage). Il faut quatre photosites pour restituer les trois couleurs (deux photosites verts sont nécessaires pour s'adapter au pic de sensibilité de l’œil). Les capteurs Tri (CCD ou CMOS) sont composés de trois photosites (RVB) indépendants, et les capteurs Complementary Metal-Oxide Semiconductor fonctionnent sur le même principe, mais chaque photosite est connecté à une photo-diode suivie d'un amplificateur et de son convertisseur A/N. L'absence de transfert permet une lecture plus rapide. Depuis l'arrivée d'algorithmes améliorant le signal/bruit, les capteurs CMOS tendent à supplanter les capteurs CCD.

La résolution radiométrique correspond à la sensibilité du capteur aux faibles variations d’énergie électrique et au nombre de bits utilisés pour enregistrer l’image. La luminosité dans chaque couleur est exprimée par plusieurs bits. Un registre à 8 bits permet de restituer 256 nuances, chaque bit supplémentaire double cette valeur : 9 bits 512 valeurs, 10 bits 1024, etc. La qualité de définition d'une image couleur doit donc être divisée par trois. Pour y obvier, certains appareils utilisent une matrice constituée de trois capteurs, chacun spécifique à une couleur primaire (BVR) pour former une image complète composant l'objet photographié. La taille du capteur a plus d'importance que le nombre de photosites (pixels) puisque la surface reçoit plus de photons.

La photographie couleur conventionnelle ne peut délivrer des informations que sur les propriétés spectrales des scènes ou objets observés. La résolution spectrale (capacité du capteur à distinguer des rayonnements électromagnétiques de fréquences différentes) dépend du nombre de filtres qui découpent la lumière captée en plusieurs bandes spectrales plus ou moins larges. L’imagerie hyperspectrale permet d’appréhender les formes et la composition des sols. La décomposition d'un corps abandonné dans une zone boisée ou herbacée participe à l'humusation des sols en les enrichissant en azote, phosphore, potassium et sodium. Les végétaux gorgés de ces nutriments peuvent présenter un feuillage d'un vert plus soutenu et avoir une meilleure croissance que les végétaux voisins... Autre piste étudiée, le phénomène de fluorescence de la chlorophylle

La résolution spatiale correspond à la distance permettant de discriminer deux objets proches l'un de l'autre. Si l'on veut séparer deux objets distants de 5 m, il faut une résolution inférieure à 5 m. Cette résolution géométrique est en rapport avec la taille des photosites. Un capteur 8,8 x 8,8 mm à 8 millions de pixels d'une surface de 58 mm a des photosites de 2,7 x 2,7 µm (0,0027 mm). Un capteur de 22,7 x 15,1 (APS-C) à 6 MP de 7,4 x 7,4 µm (0,0074 mm) offre près de six fois plus de surface pour chaque photosite (analogie avec grain d'argent sur une pellicule). Le droniste peut revisiter le site à des moments différents pour constater la moindre modification intervenue dans l’intervalle (résolution temporelle), et/ou procéder à deux prises de vues décalées pour aboutir à une image stéréoscopique (illusion d'une image en relief).

Tous les objets dans la nature émettent un rayonnement électromagnétique dont la longueur d'onde dépend de leur température. Seuls les objets au-dessus de 750°C émettent un rayonnement visible par l’œil humain. Dès qu'un corps est soumis à une élévation de température supérieure à la température du zéro absolu (- 273°), il rayonne sur une longueur d'onde d'autant plus courte que la chaleur est élevée (principe de la thermographie).  :-(( La loi de Wien ( λ.T = Cte) permet de définir la longueur d'onde correspondant à une température donnée. Exemple, pour un corps à 22°C, l'énergie émise sera à 9,8 µm ou 980 nm (0.002898 mk / 273 + 22). Le soleil dont la température avoisine les 5700° K, émet la plus grande partie de son énergie vers 500 nm. La loi de Stefan permet de calculer l’énergie radiative (puissance du rayonnement thermique). Prenons l’exemple d'un corps humain à 27°C et une bougie. Le premier vaut 300° K (273 + 27°), et la seconde 1500° K. La bougie rayonne donc 625 fois plus que le corps humain (1500 / 300 = 5^4, soit 625).

Les infra-rouges (actifs) permettent la prise de vue à travers le brouillard et donnent aux objets une apparence inhabituelle. Le capteur est impressionné par les rayonnements émis par l'objet qui irradie, et les rayons réfléchis modifient la relation entre la luminosité de l'objet et sa température. Les fréquences retenues pour les drones appartiennent généralement aux IR proches : 1550 à 1750, 2080 à 2350 nm. Les articles sur la rénovation énergétique nous ont familiarisé avec les thermogrammes (couleurs chaudes et froides selon les différences de température.

Les avantages des drones sont multiples : mise en œuvre rapide, survol d'endroits exiguës, faible coût, le survol à faible altitude soulève peu d'éléments (pollution de la scène) ce qui n'est pas le cas d'un hélicoptère. Inconvénients : les intempéries, l'aérologie et l'altitude. La diminution de la pression atmosphérique en limite l'emploi vers 2.000 m (portance). Si un drone permet de couvrir de grandes surfaces en peu de temps, l'exploitation des images dépend de la focale utilisée, de l'orientation de l'objectif, le soleil frappant le sol à la verticale écrase tous les détails, du sens de déplacement (ombres portées ou d'absorption), de l'altitude (« fauchée » trop large ou trop étroite), de la capacité à «  dépointer » (objectif dirigé sur les côtés, devant ou derrière la « trace »), du géo-référencement de chaque photosites au sol (la taille de la zone couverte par un pixel), et de la stabilité de l'image. Le stabilisateur d'images est directement issu de la conquête spatiale. La stabilisation optique vise à compenser les mouvements importants (les gyromètres sont compensés par le déplacement transversal d'un élément) ; la stabilisation mécanique intègre les capteurs au boitier, et c'est un de ceux-ci qui se déplace pour compenser les vibrations.

Les drones (Vecteur aérien d’investigation criminelle, appellation gendarmesque) mis en œuvre par le Département Signal-Image-Parole de l’institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale embarquent jusqu'à quatre capteurs : caméra thermique (640 x 512), vision nocturne (intensification de lumière), caméra multispectrale et Lidar. Le drone comporte six hélices, un berceau pour l'appareil de prise de vue, deux sources lumineuses pour le vol de nuit et/ou fournir un éclairage IR. L'opérateur survole la zone entre cinq et trente mètres d'altitude, généralement en utilisant un grand angle (zoom) afin de vérifier rapidement une grande étendue de terrain (sauvetage). L'opérateur peut basculer entre les différents dispositifs au gré des besoins de l'observateur à ses côtés (binôme de gendarmes). Le télémètre laser couvre des distances de 3 m à 1.200 m. Le drone couplé à un GPS peut être programmé pour suivre un parcours particulier et enregistrer tous les paramètres de vol et les angles de prises de vues. Les dronistes de la GN suivent une formation au télé-pilotage de trois semaines.

L'ordinateur analyse les changements de lumière (température, brillance, albédo, contrastes) et les contours des images afin d'en déceler les points saillants pour en établir les rapports entre eux et livrer une image en 3D. Les lignes de fuite dues à la perspective sont redressées (photogrammétrie ou orthophotographie) et mise à l'échelle de façon à pouvoir superposer les images à une carte ou à un plan ! Des objets présentant entre eux une faible texture restent difficiles d'interprétation.

L'emploi des drones d’imagerie multi-spectrale et d'un radar de sol à Cagnac-les-Mines (Tarn) pour tenter de retrouver le corps de Delphine Jubillar disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 n’a rien donné. Alors imaginez de rechercher des os appartenant à un enfant d'une trentaine de mois dont l'humérus mesure 15 cm, le cubitus 13 cm et la main 12 cm dans des zones escarpées boisées et végétalisées. Le drone et la technologie ne sauraient être la panacée. Des sapeurs spécialisés dans la recherche de cache appartenant à la légion ont été dépêchés pour ratisser la zone.

La découverte d'un nouvel ossement à proximité du crâne est venue revigorer les enquêteurs, mais un bébé c'est 350 os mous (206-208 chez l'adulte), et la tête représente environ un sixième en taille et du reste du corps. La datation du décès à partir d'ossements reste en l'état des connaissances très approximative. La taphonomie médico-légale peut révéler si le corps était là au moment de son décès ou s’il y a été déposé.

Un point particulier intrigue cependant les enquêteurs : « Il y a une infime chance que nous l’ayons manqué lors de nos recherches ». Le crâne découvert le 31 mars était au milieu d'un chemin très parcouru lors de la disparition de l'enfant, et personne n'a été incommodé par une odeur putride (nous étions en été), pas même un chien... En ce qui concerne les vêtements retrouvés à une centaine de mètres du crâne, ils devraient permet de connaître la position du corps au moment de la mort. Les tissus et organes se transforment en fluides organiques qui s'écoulent pour venir s'accumuler dans les parties basses et en imprégner les linges... Une correction, une précision, une remarque ? 

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