2 ans de guerre en Ukraine : Poutine zéro en histoire !

par Sylvain Rakotoarison
samedi 24 février 2024

« Le respect par ces États de leurs obligations au titre du protocole au traité START du 23 mai 1992 (Protocole de Lisbonne) et leur adhésion au TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) en tant qu'États non dotés d'armes nucléaires ont renforcé leur sécurité, ce qui s'est traduit, entre autres, dans les mémorandums de Budapest du 5 décembre 1994. À cet égard, les États-Unis d'Amérique et la fédération de Russie confirment que les assurances consignées dans les mémorandums de Budapest resteront en vigueur après le 4 décembre 2009. » (signé entre autres par Vladimir Poutine et Barak Obama).



Cela fait maintenant deux ans que les troupes russes occupent une partie de l'Ukraine (Donbass et Crimée) et que la guerre fait rage, provoquant des centaines de milliers de morts et des millions de personnes déplacées. Jamais depuis la chute de l'Union Soviétique on aurait pu penser qu'une guerre aussi terrible puisse avoir lieu sur le continent européen, enfin, pas vraiment en fait, car la guerre civile dans l'ex-Yougoslavie et les massacres avaient déjà démenti l'idée que l'histoire européenne était achevée.

Ce qui est nouveau, c'est qu'un pays doté de la force de frappe soit capable d'agresser militairement un voisin pour des raisons territoriales. On peut faire référence à la Grande Allemagne prônée par Hitler (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne), mais au XIXe siècle (et avant), c'était plutôt monnaie courante. Le problème est que la Russie joue avec le feu en faisant une guerre conventionnelle tout en menaçant d'une riposte nucléaire.

Le fait historique, c'est que les Ukrainiens se défendent, et se défendent depuis deux ans courageusement alors que la Russie ne pensait pas en avoir pour plus de trois jours (le stockage des denrées alimentaires des troupes lorsqu'elles sont entrées en Ukraine par le Nord). Le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a emballé cette offensive sanguinaire par des justifications historiques qui relèvent plus de la paranoïa que de l'étude historique.

La réalité est que depuis la chute de l'URSS, il y a eu les Mémorandums de Budapest qui ont été signés le 5 décembre 1994 entre autres par la Russie et l'Ukraine qui, dans un cadre de non-prolifération nucléaire, reconnaissent les frontières de l'Ukraine (ratifiées par référendum populaire en Ukraine, y compris en Crimée), en compensation de faire renoncer par l'Ukraine à toute ambition de détention d'armes nucléaires qui seraient transférées à la Russie. On aurait pu dire que Vladimir Poutine ne reconnaissait pas la signature de Boris Eltsine qui aurait accepté une Russie humiliée, mais pas du tout, Vladimir Poutine a signé le 4 décembre 2009 une déclaration commune (avec les États-Unis) faisant état que les Mémorandums de Budapest restaient valides.



C'est donc clair que l'annexion de la Crimée par la Russie, dès le 18 mars 2014, était en contradiction totale non seulement avec le droit international mais aussi avec cette déclaration signée par Vladimir Poutine. La tentative d'invasion de l'Ukraine à partir du 24 février 2022 aussi, ce qui permet de conclure que Vladimir Poutine ne sait pas lire, du moins les déclarations qu'il signe, à moins que les engagements qu'il prend ne l'engagent pas du tout (ce qui signifie qu'une négociation pour arrêter la guerre en Ukraine n'aura pas de signification puisque les engagements de Vladimir Poutine ne seront de toute façon jamais tenus).



Mais en plus d'être nul en lecture, Vladimir Poutine est nul en histoire. Il est vrai que ce n'était pas un excellent élève quand il était étudiant à Saint-Pétersbourg (à l'époque Leningrad). Dans l'interview qu'il a accordée à un pseudo-journaliste américano-trumpo-poutinolâtre Tucker Carlson le 6 février 2024 au Kremlin à Moscou et retransmise sur son compte Twitter, Vladimir Poutine a laborieusement tenté de justifier sa déclaration de guerre contre l'Ukraine en faisant appel à l'histoire et en remontant jusqu'au IXe siècle ! Or, il faudra lui dire qu'il n'existait pas encore d'empire russe à cette époque, où coexistaient plusieurs principautés (Kiev, Vladimir, Moscou, Novgorod, etc.).

Il faut attendre le XVIe siècle pour que la conception impériale ait une pertinence historique. En effet, l'empire russe n'a commencé qu'à partir du premier tsar Ivan IV le Terrible en 1547 qui a rassemblé "toutes les Russies". Cette précision historique est cruciale dans l'analyse des événements. Et dans ce cadre, un ancien Président de la République de Mongolie est intervenu sur Twitter pour se moquer de Vladimir Poutine.



La Mongolie est ce grand pays coincé entre la Russie et la Chine. Sakhia Elbegdorj (j'essaie d'adopter des équivalents latins et éviter une transcription anglophone, mais je ne connais rien à la langue mongole), qui va bientôt avoir 61 ans, a été élu deux fois Président de la République de Mongolie le 24 mai 2009 et le 26 juin 2013 (le régime présidentiel limite à deux mandats de quatre ans l'exercice présidentiel), et il a présidé donc ce pays entre le 18 juin 2009 et le 10 juillet 2017. Cet ancien journaliste avait été auparavant Premier Ministre de Mongolie du 23 avril 1998 au 9 décembre 1998 et du 20 août 2004 au 13 janvier 2006.

En réaction à l'écoute de l'interview de Vladimir Poutine par Tucker Carlson, Sakhia Elbegdorj a tweeté avec un certain humour ceci : « Après le discours de Poutine, je suis tombé sur une ancienne carte de l'empire mongol. Mais ne vous inquiétez pas, nous sommes une nation pacifique et libre ! ».



En effet, en relisant ses livres d'histoire, l'ancien Président mongol s'est souvenu du grande empire mongol à son apogée au milieu du XIIIe siècle, en particulier quand il avait à sa tête de Mangu Khan puis de Kubilai Khan, tous les deux des petits-fils de Gengis Khan, le père de la nation mongole. À l'époque, cet immense empire s'étirait de la Chine aux marches de l'Europe, l'Ukraine actuelle, y compris la Crimée, la Perse (Iran), une partie de la Russie (y compris Moscou et Kazan), une partie du Caucase, une partie de l'Anatolie, et l'ensemble des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. Le Russie se retrouvait lilliputienne, une principauté du côté de Novgorod, qui n'avait rien à voir avec le territoire de l'actuelle Fédération de Russie.



Ainsi, Sakhia Elbgedorj laissait entendre qu'avec le raison de Vladimir Poutine, la Mongolie actuelle devrait revendiquer des territoires jusqu'en Ukraine ! Du reste, rien que pour la Crimée, on peut retrouver facilement de multiples dominations, russe et soviétique, certes, mais aussi ottomane (d'où les Tatars), aussi austro-hongroise, etc. Dans la même logique, la France devrait-elle revendiquer la Louisiane, les Pays-Bas, la Rhénanie, sans compter tous ses colonies africaines ou asiatiques qu'elle a quittées après-guerre ?



En clair, la justification historique de Vladimir Poutine ne tient pas un instant sur le plan intellectuel, et son explication de protection de la Russie, de défense face aux forces de l'OTAN relève de la paranoïa puisque, au contraire, les États-Unis, depuis Barack Obama, se désengageaient massivement de l'Europe pour se réinvestir dans le Pacifique (où Taïwan fait figure de préoccupation majeure). Quand il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron parlait de l'OTAN en mort cérébrale. Il n'y avait aucune menace atlantique contre la Russie, d'autant plus que l'OTAN n'est qu'une alliance défensive et pas offensive. En revanche, on peut imaginer que Vladimir Poutine veuille éviter que des démocraties libres et sincères collent de trop près à la Russie pour éviter la contagion démocratique du peuple russe et son désir d'imitation de devenir une nation moderne qu'elle sera certainement dans les prochaines décennies.

La paix, justement, c'est la réconciliation et la maturité, c'est le mécanisme qui renonce à ce mouvement perpétuel de l'histoire, fait de revanches et de reconquêtes des territoire anciennement perdus, c'est figer les frontières telles qu'elles le sont à un instant t afin d'en finir à l'immaturité de l'âme humaine et permettre à tous les peuples de progresser et prospérer en paix, et aussi, surtout, de coopérer entre eux, facteur essentiel de progrès humain.

Vladimir Poutine, adolescent retardé ou voyou, a voulu faire replonger l'Europe dans le XIXe siècle avec son cortège d'horreurs, alors que nous sommes de plain-pied dans le XXIe siècle. C'est pourquoi le moindre changement de frontières est à prendre avec une extrême précaution, la main tremblante, car c'est ouvrir la boîte de Pandore et laisser cours aux querelles ancestrales entre les nations. Heureusement, l'humour d'un ancien Président de Mongolie montre que cette envie de paix est à l'évidence une valeur universelle et soutenue par la plus grande majorité de l'humanité.


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Sylvain Rakotoarison (23 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


(La plupart des illustrations proviennent de Wikipédia).


Pour aller plus loin :
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