Sacré nom d’une pipe

 

La taille patron.

 

Si l'habit ne fait pas le moine, le costume en revanche vous place au-dessus du commun, de cette masse incertaine des gens de peu. La chose est bien connue de tous ceux qui portent allègrement la chemise, la cravate, la veste et le pantalon qui va avec, avec tout ce qui fait de componction pour en imposer sur la seule base d'une apparence qui hélas ne vous distingue pas de vos pairs. Même et surtout du reste quand la rosette sur le revers du blaser n'impressionne plus personne tant la chose est courante tout autant que banale dans cette joyeuse légion sans honneur.

Pour sortir du rang, d'autres ont choisi de se démarquer délibérément de cette panoplie quelque peu convenue, il faut bien l'avouer. C'est alors qu'il convient de déployer des trésors d’ingéniosité, des prodiges de coquetteries, des prouesses de soin dans les accessoires pour trouver une vêture qui sorte de l'ordinaire tout en donnant ce je ne sais quoi d'originalité afin de se faire immédiatement remarquer par la foule.

La chose exige du doigté, de la nuance, une touche d’originalité, un soupçon de sobriété, un brin d'authenticité et quelques nuances de rusticité. Il s'agit de paraître -à défaut d'être - sans doute- moderne et attaché à la tradition, élégant tout en feignant de se dérober aux injonctions de la mode, original en ayant grand soin de paraître ordinaire à défaut de banal. Tout doit être pesé, pas trop apprêté, méticuleusement organisé pour parvenir à créer une griffe, une touche personnelle, une marque dans la fripe et dans ce monde des humains en quête d'un destin.

Le choix de la sobriété passe ici par la couleur noire, non pas un outre noir à la manière de Soulages, mais un noir sans reflet, sans brillance, sans forfanterie sans pour autant sembler donner dans le deuil ou la commisération. Pour parvenir à vos fins, une veste entre la biaude et le karako à la manière d’un grand timonier troquant le bleu pour le sombre sera du meilleur effet. Toute la ruralité sur le dos sans prendre une veste !

Un petit col roulé par en dessous pour rappeler à tous que vous repoussez les attributs du pouvoir masculin : la chemise blanche et la cravate tout en démontrant que vous ne vous montez pas du col et qu'il n'y a rien d'amidonné dans votre posture. La sobriété du pantalon s'impose alors sans ces plis qui froissent ceux qui voient en eux la preuve d'une absence de labeur physique. Fait d'une bonne toile solide, il collera parfaitement à l'ensemble de votre défroque.

Pour aller de l'avant, pour gravir les échelons, les escarpins ne sont plus de vigueur. La bonne vieille godasse en cuir noir pourvu que vos lacets soient toujours implacablement noués vous conduira aux sommets après votre grande marche personnelle. Il suffit de franchir une à une toutes les étapes en trouvant un petit détail qui fera toute la différence.

Pour le sérieux, rien ne vaut une paire de lunettes. Nombre de vos collègues ayant donné dans les couleurs et les formes originales, autant basculer dans une tout autre direction tout en vous assurant de ne jamais passer inaperçu. Le rappel du monde du travail peut être efficace. De grosses montures attesteront de votre solidité tandis que l'évocation de la protection oculaire du soudeur avec cependant des verres non teintés, vous rapprocheront du peuple.

Tout est parfait et cependant, il manque ce je ne sais quoi qui sans que ce soit fumeux, vous rangera dans la cohorte des gens qui ont les pieds ancrés dans la terre, la tradition et des valeurs largement chahutées par le tumulte de la modernité. C'est là qu'il convient de se creuser la tête. Il est indispensable de trouver ce détail qui vous distinguera absolument de cette masse moutonnière.

Mais quoi au juste ? Sacré nom d'une pipe, c'est pourtant en trouvant ce qui vous manque que vous vous ouvrirez toutes les portes de la gloire , de la notoriété, de la célébrité et des honneurs… Cherchez encore un peu, je pense que vous touchez au but. Je vous laisse deviner sans avoir besoin de vous glisser la chose dans la bouche ! Je suis certain que cela fera un tabac !