A huit ans

par Patchwork Mental
mercredi 31 mai 2023

(Mini-nouvelle écrite il y a presque quinze ans, que j'ai laissé intacte.)

C'était la fin de l'été. Et surtout la fin des vacances au bord de la mer, enfin. Ce fut la seule et unique fois de sa vie qu'il était parti avec tous les membres de sa famille en vacances, très loin de chez lui. Il ne l'oublierait sans doute jamais. Pourtant il n'avait gardé quasiment aucun souvenir de ce séjour en lui-même. Jouer à la pétanque, une dispute avec un gamin de son âge, la grenadine pétillante qu'on servait avant le repas au restaurant, et puis la plage, la mer et la cacophonie infernale des cigales. Que des choses plus ou moins fades. Il n'y avait pas réellement prit du plaisir. Non, ce n'étaient pas ces quelques semblant de souvenirs qui l'avaient marqué à vie. Oh non. Mais le retour chez lui, dans sa maison natale, certainement.

 

Une nuit d'orage. Ses frère et sœurs dormaient autour de lui, sur la banquette arrière de la voiture. Eux, avaient sans doute bien profité du séjours. Ils roupillaient vraiment comme des bébés. Lui, le petit dernier, n'avait qu'à peine huit ans à l'époque. Les orages ne l'impressionnaient plus. Ou bien était-ce l'impatience de rentrer qui lui donnait le courage d'affronter éclairs et coups de tonnerre sans sursauter ni même sourciller ? Il regardait la route défiler sous le déluge, imperturbable. Il allait enfin les revoir.

 

La pluie s'était calmée. Ses parents se retournèrent brièvement pour leur chuchoter un rassurant « on est arrivés, réveillez-vous ». Ils émergèrent en gémissant, s'étirant et se frottant les paupières. Un éclair dans le lointain illumina brièvement leur petites bouilles encore endormies. Lui, avait tenu le coup tout le trajet et ses yeux s'écarquillèrent à la vue du panneau d'entrée de son village. Enfin.

 

Les portières s'ouvrirent mais il dut encore attendre quelques interminables secondes qu'une de ses sœurs sorte avant de pouvoir enfin s'extraire de la voiture. Il couru dans la nuit noire malgré les protestations de sa mère. Pas besoin d'y aller à tâtons, il retrouva immédiatement l'emplacement de l'interrupteur qui ramenait la lumière dans l'escalier extérieur.

 

Malgré ses petites jambes de gamin de huit ans il escalada quatre à quatre la vingtaine de marches. Puis il s'arrêta tout net. Il n'avait plus qu'à faire quelques mètres pour y arriver. Mais quelque chose l'intriguait, quelque chose manquait. Soudain le palier s'illumina, le ramenant à la réalité. Les pas lourds de ses parents chargés de bagages le poussèrent à avancer, mais tout doucement, comme s'il voulait éviter de réveiller quelque chose. Ou bien était-ce dans le but d'entendre l'un de ces petits bruits rassurants qu'il attendait avec tellement d'impatience ?

 

Il passa devant la porte d'entrée de sa maison sans y prêter attention. La seule chose qui l'intéressait se trouvait au bout du palier, tout au font, à droite. La lourde porte en bois était entre-ouverte. Il y jeta un œil curieux, son petit cœur battant à tout rompre. Quelques croquettes gisaient, éparpillées autour d'une grande assiette encore pleine, témoignant d'un passé révolu. Il n'y avait plus personne. Rien qu'une pièce noire et froide comme la mort.

 

Le gamin s'effondra, la main crispée sur la poignée. Ses yeux se troublèrent avant de laisser couler quelques larmes. Sa famille ne dit mot. Leur silence morbide lui était tout aussi insupportable que s'ils se mettaient maintenant à parler. Las, il voulait vraiment être seul. Ils le savaient ! Ils savaient ce qui allait se passer avant même de partir en vacances ! Alors pourquoi ?

 

C'était peut-être une erreur que d'acheter cette maison à la campagne. Sa mère venait de la ville et arrêta rapidement de travailler à la naissance de son premier enfant, il y a quasiment quinze ans de cela. Elle était de nature dynamique et joyeuse mais soufrait de ne savoir que faire de ses journées. Son train-train quotidien et les tâches ménagères lui étaient devenues insupportables. Et nul part où aller... C'est ainsi que furent décidées ces vacances au bord de la mer. Un peu de changement, de détente, de découverte et de joie devait permettre d'apaiser les tensions familiales. Sans doute.

 

Mais pour cela il avait fallu les abandonner pendant deux semaines interminables. La seule personne qui accepta de s'en occuper émit une condition impardonnable : cette porte devait rester ouverte ! De quoi pouvait-elle avoir si peur ? Qu'est-ce qui pouvait bien lui être passé par la tête pour exprimer une telle requête ? Et ses propres parents, pourquoi avaient-ils acceptés ?

 

Peut-être qu'ils voulaient simplement leur rendre leur liberté ? Non, non, ça ne pouvait pas être ça puisque son père avait aménagé l'ancienne grange pour les y installer, suite à des plaintes du voisinage. Il avait même fabriqué un long couloir en bois pour la relier à un vieux poulailler grillagé, afin qu'ils puissent sortir prendre l'air à leur convenance. Il ne saura ni ne comprendra jamais la raison qui les avait conduit à abandonner ses amis, ses membres de sa famille. Ils avaient disparu, et ne reviendraient sans doute jamais. Comment pourrait-il encore apprécier prendre des vacances après ça ? Il lui faudrait au moins une vie pour que le temps fasse son office et n'efface ses souvenirs. En attendant, la rentrée des classes approchait.

 

Mais surtout, le drame ne s'arrêta pas là, bien au contraire...

 

Espèce curieuse, ils profitèrent au maximum de leur liberté nouvellement acquise. Et cela ne plu pas à quelques cruels personnalités du village. Des rumeurs d'incidents commencèrent à circuler. Un premier... cadavre... fut découvert... Et puis le phénomène s'amplifia, s'accéléra. La vérité de ce qu'il se passait lui était cachée, pour le préserver sans doute. Mais lui aussi était curieux, forcément, ils étaient issu de la même famille. Il fini par comprendre et versa à nouveau des larmes, les poings serrés, maudissant son impuissance.

 

Ecrasés par des voitures, torturés et tués par diverses maltraitances et même par empoisonnement. Certains de ces funestes auteurs eurent la bonne conscience d'enterrer les morts, mais beaucoup se contentèrent de laisser leur carcasses pourrir à l'air libre ou bien au font d'un sac poubelle, comme de vulgaires déchets. Il aurait pu comprendre s'il s'agissait de rats ou de souris, dont la mauvaise réputation est liée à notre histoire et celle des épidémies. Mais il s'agissait ici d'adorables animaux de compagnie, de petites boules de poils affectueuses et propres ! Comment diable en était-on arrivé là ? L'être humain était décidément capable du pire, son esprit dégénéré pouvant le conduire à commettre des actes atroces et irrationnels.

 

La Société Protectrice des Animaux fut alors appelée et une dizaine de leurs membres réquisitionnés pour sauver les survivants. Ils posèrent des pièges afin de la capturer, de bêtes cages avec un appât. Et ça faisait d'autant plus mal de regarder impuissant ses amis se faire prendre aussi stupidement. Mais c'était pour leur bien, sans doute. Mais qu'en savons nous, peut-être qu'ils préfèreraient une seule journée de liberté supplémentaire avant de mourir que des années de captivité. D'autres membres de la SPA utilisaient de genres de lassos au bout de longues perches.

 

Les cages s'empilèrent à l'arrière des deux camionnettes. Le spectacle était trop insupportable. Ses parents le reconduirent dans sa chambre, fenêtres et volets clos. De là il ne pouvait plus entendre la cacophonie de miaulements des prisonniers, ni croiser leur regards tristes et apeurés. Rien ne l'avait préparé à cela. Comment aurait-il pu imaginer qu'en à peine un mois sa vie de huit ans allait à ce point être chamboulée ? Tous ses amis, ses compagnons, ses frères et sœurs... il ne les reverraient plus jamais.

 

Un silence de mort s'installa à table, pendant quelques temps, durant les repas en famille. Puis, peu à peu, tout le monde passèrent outre et la vie reprit son cours. Mais pour lui c'était différent, sa première vie était anéantie. Il n'avait d'autre choix que d'en commencer une autre. Et cela ne fut pas facile, d'autant plus que des rumeurs cruelles continuaient de circuler, ravivant son ancienne blessure fatale.

 

Finalement celles-ci finirent peut-être par le sauver. Des « camarades » de classe le traitèrent de « tueur » et « d'assassin ». Pourtant il avait souffert sans doute beaucoup plus qu'eux tous réunis : la perte de plus de trente de ses proches ! Et les voilà qu'ils l'accusèrent de ces meurtres et disparitions. Ces jeunes imbéciles qui ne savaient rien faire d'autre que de croire et de répéter bêtement ce qu'on leur disait, il les détestait. Les rumeurs pourraient l'affecter mentalement et moralement sur le long terme, et il s'en rendit compte bien vite. Lorsque l'occasion se présenta il n'hésita pas une seconde, prit son courage à deux mains pour raconter toute l'histoire. En plus de l'avoir soulagé, sa version des faits allait petit à petit effacer ces rumeurs sordides. Sa seconde vie allait enfin pouvoir réellement commencer.


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