Le tombeur de Margaret Thatcher

par Sylvain Rakotoarison
mardi 21 mars 2023

« L'héritage de Ted Heath, de toute évidence, est centré sur notre relation européenne, et il n'est pas fantaisiste de suggérer que son héritage a été brisé au-delà de toute reconnaissance. » (Michael Heseltine, novembre 2021).

L'ancien ministre britannique Michael Heseltine, ancien député et nommé pair à vie, anobli ("baronnisé" !) par la reine Élisabeth II le 12 juillet 2001 pour sa retraite, fête ses 90 ans ce mardi 21 mars 2023. Il a la particularité d'être à la fois l'un des plus europhiles de la classe politique britannique depuis une cinquantaine d'années et surtout le tombeur de Margaret Thatcher en 1990. Quand il a pris sa retraite politique, le 7 juin 2001, ce passionné de la construction européenne a laissé paradoxalement sa circonscription législative à un journaliste, futur Premier Ministre, Boris Johnson, le futur "champion" du Brexit.

Député conservateur sans discontinuité de mars 1966 à juin 2001 (il avait 33 ans lors de sa première élection), Michael Heseltine a beaucoup compté dans la vie politique britannique pendant des décennies. Homme d'affaires rapidement fortuné, il a été nommé dans le gouvernement d'Edward Heath du 24 mars 1972 au 28 février 1974 à l'Aérospatial (où il était question de vendre des avions supersoniques Concorde et de créer l'Agence spatiale européenne ; ce sont ces convergences industrielles européennes qui l'ont convaincu de l'importance de l'adhésion du Royaume-Uni à la future Union Européenne qui était en train de se faire), avant de faire partie de l'équipe de Margaret Thatcher dans l'opposition, s'occupant de l'industrie puis de l'environnement (il faisait partie du "shadow cabinet").

La rivalité avec Margaret Thatcher date probablement de l'époque Heath où Michael Heseltine voulait centraliser l'ensemble des fonds publics concernant le spatial tandis que Margaret Thatcher, à l'époque Ministre de l'Éducation et des Sciences, voulait conserver son contrôle sur la recherche dans le domaine spatial. Lorsque Edward Heath a remis en jeu son leadership sur le parti conservateur le 4 février 1975 (après ses deux défaites aux élections législatives du 28 février 1974 et du 10 octobre 1974), Margaret Thatcher a obtenu plus de voix que l'ancien Premier Ministre, 130 voix contre 119. Michael Heseltine, après avoir longtemps refusé de le révéler, se serait abstenu à ce premier tour car il aurait soutenu la candidature de l'ancien Ministre de l'Emploi William Whitelaw s'il avait été dans la compétition. Au second tour le 11 février 1975, après le renoncement d'Edward Heath, Margaret Thatcher l'a emporté avec 146 voix contre 79 à William Whitelaw (d'autres députés s'étaient présentés aussi après l'abandon du chef, en particulier, Geoffrey Howe qui a eu 19 voix ; Michael Heseltine avait fait planer le doute sur une éventuelle candidature de témoignage).

Lors de la victoire électorale de Margaret Thatcher bombardée Première Ministre quatre ans plus tard, Michael Heseltine est devenu l'un des principaux ministres de ses gouvernements, d'abord comme Ministre de l'Environnement du 5 mai 1979 au 6 janvier 1983, puis comme très influent Ministre de la Défense du 6 janvier 1983 au 9 janvier 1986. C'est pendant cette dernière période (1983-1986) qu'il a été au sommet de son influence et de sa rivalité avec Margaret Thatcher dont il ne supportait pas l'euroscepticisme.

Il est d'ailleurs allé au clash avec elle puisqu'il a donné sa démission à cette occasion. La raison était essentielle puisqu'il s'agissait d'une affaire industrielle de la première importance. En 1985, le constructeur d'hélicoptères Westland Helicopters était en grande difficulté financière et devait trouver un repreneur industriel dans ce secteur stratégique. Michael Heseltine voulait absolument faire fonctionner la solidarité européenne et cherchait donc un repreneur européen pendant que Margaret Thatcher, de son côté, discrètement, a trouvé un repreneur américain.

Lorsqu'il l'a appris, Michael Heseltine a saboté le projet de Margaret Thatcher, prenant probablement l'initiative de faire fuiter des informations sur ce projet de reprise. Cela a provoqué l'affaire Westland, principalement sur des histoires de fuite de secrets industriels. Ce qui a entraîné une forte polémique politique à l'intérieur même du parti conservateur.

Michael Heseltine, pour se proclamer partisan de la construction européenne, a donné sa démission le 7 janvier 1986 et son collègue de l'Industrie, Leon Brittan, futur commissaire européen (entre 1989 et 1999), a dû, lui aussi, démissionner le 24 janvier 1986 pour servir de fusible à Margaret Thatcher sous pression politique.



Entre 1986 et 1990, Margaret Thatcher a dû batailler ferme au sein du parti conservateur pour garder son leadership, profondément contestée en interne pour sa ligne "I want my money back" et à la popularité déclinante. Le député conservateur très europhile Anthony Meyer, ancien vétéran de la guerre (il a fait le Débarquement en Normandie) et ancien diplomate, a tenté de lui contester son autorité au sein du parti le 5 décembre 1989 (après la démission du ministre Nigel Lawson), sans succès : Margaret Thatcher a obtenu 314 voix contre 33 et 27 abstentions ou votes blancs ; il avait cru pouvoir se faire relayer par Michael Heseltine (son manque de soutien l'a fait appeler "Sir Anthony What'isname" par "The Sun", tabloïd thatchérien ; cela a prouvé néanmoins que 60 députés conservateurs étaient prêts à renverser la Première Ministre). La démission, le 1er novembre 1990, du Vice-Premier Ministre Geoffrey Howe (ancien Ministre des Finances du 4 mai 1979 au 11 juin 1983 et ancien Ministre des Affaires étrangères du 11 juin 1983 au 24 juillet 1989), a été, en revanche, le coup de grâce pour Margaret Thatcher.



Micheal Heseltine en a profité pour défier la Dame de fer le 20 novembre 1990 : si au premier tour, Margaret Thatcher a su garder une majorité absolue de députés conservateurs en soutien, dès le premier tour, avec 204 contre 152 pour Michael Heseltine (et 16 abstentions), elle devait passer un second tour car il lui fallait une avance de 15% (elle n'était que de 14%), elle n'était donc pas réélue dès le premier tour (d'autant plus qu'elle était dans la journée à l'étranger, participant à un sommet diplomatique à Paris) et le second tour semblait très difficile pour elle. Elle a donc préféré jeter l'éponge et laisser son dauphin John Major la représenter au second tour le 27 novembre 1990, ce qui a permis à Margaret Thatcher, bien que démissionnaire, de gagner cette dernière partie contre Michael Heseltine avec 185 voix contre 131 (et 56 voix pour Douglas Hurd). Il n'y a pas eu de troisième tour grâce au retrait des deux concurrents de John Major. Le 28 novembre 1990, ce dernier fut intronisé officiellement Premier Ministre.

Michael Heseltine a ainsi raté la seule chance de sa vie de diriger le gouvernement britannique, grâce à l'habileté politique et à la lucidité de sa rivale. Dans le gouvernement de John Major, il est revenu aux affaires, comme Ministre de l'Environnement du 28 novembre 1990 au 11 avril 1992, Ministre du Commerce extérieur et de l'Industrie du 11 avril 1992 au 5 juillet 1995 et enfin, le bâton de maréchal, Vice-Premier Ministre du 5 juillet 1995 au 2 mai 1997, jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Tony Blair. En juillet 1995, il faisait en effet partie des soutiens très forts de John Major, contesté dans leur parti par des conservateurs qui s'étaient opposée au Traité de Maastricht.

Président d'honneur du Mouvement européen au Royaume-Uni (fondé en 1948 par Winston Churchill), la plus importante organisation britannique en faveur de la construction européenne (16 000 membres, plus de 200 000 sympathisants et 100 implantations locales), Michael Heseltine n'hésite pas à s'exprimer encore aujourd'hui dans les médias pour faire part de son europhilie et pour regretter le Brexit.

Au cours d'une conférence à l'Université Nottingham en novembre 2021, il exprimait ainsi son espoir que les Britanniques reviennent un jour sur le Brexit : « Notre objectif est clair. Nous devons rétablir la position de la Grande-Bretagne dans les couloirs de la puissance européenne. C'est notre maison naturelle et c'est là que réside notre histoire. Toute vision de notre avenir doit être construite autour des réalités du pouvoir mondial. Nous avons tant à apporter : notre tolérance et notre équité ; une subtilité politique qui a converti les colonies en Commonwealth ; une réputation de confiance, d'amis fiables. Nous jouerons notre rôle plus efficacement en partageant le pouvoir et la souveraineté de l'Europe moderne. ».

Lui qui a participé au gouvernement qui a fait adhérer le Royaume-Uni dans la Communauté Européenne, il serait tout à fait partant pour refaire ce processus dans quelques années. À quand un référendum pour le retour du Royaume-Uni dans l'Europe ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'antibrexiter.
Michael Heseltine.
Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.


Lire l'article complet, et les commentaires