Législatives aux Pays-Bas : Geert Wilders sera-t-il le prochain Premier Ministre néerlandais ?

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 24 novembre 2023

« Il a (…) déclaré aux journalistes qu'il souhaitait être le Premier Ministre de tous les Néerlandais et qu'il travaillerait dur avec d'autres partis pour former une coalition. Mais la victoire inattendue de l'homme politique de 60 ans à la célèbre chevelure peroxydée ne lui assure pas ce poste. » (AFP le 22 novembre 2023).

Ce mercredi 22 novembre 2023 se sont déroulées aux Pays-Bas des élections législatives. Il s'agissait de désigner les 150 députés de la chambre basse du Parlement néerlandais. Parce qu'il n'était pas candidat à sa succession, le Premier Ministre néerlandais sortant Mark Rutte, assez impopulaire, a pu avoir la satisfaction d'entrer dans les livres d'histoire puisqu'il était au pouvoir depuis le 13 octobre 2010, dépassant tous les records de longévité à la tête d'un gouvernement néerlandais (soit quatre mandats).

Néanmoins, pour l'équipe sortante, il n'y a pas eu de quoi fêter ces élections puisqu'elles officialisent ce que les sondages laissaient craindre depuis quelques semaines : le parti d'extrême droite de Geert Wilders (parti pour la liberté, PVV) a battu tous les records en se hissant en première place, en obtenant 37 sièges (sur 150), soit 20 de plus par rapport aux précédentes élections législatives du 17 mars 2021, avec 23,6% des voix, suivi du parti travailliste allié à la gauche verte (PvdA-GL) mené par Frans Timmerman, l'actuel Vice-Président néerlandais de la Commission Européenne, qui a obtenu 25 sièges (+8) avec 15,5% des voix, du parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) mené par Dilan Yesilgöz, qui a succédé à Mark Rutte le 14 août 2023 à la tête du parti au pouvoir (et par ailleurs, elle est Ministre de la Justice et de la Sécurité depuis le 10 janvier 2022), qui s'est effondré à 24 sièges (-10) avec 15,2% des voix, ensuite le nouveau parti Nouveau contrat social (NSC), anti-corruption et anti-immigration de centre droit, a gagné 20 sièges avec 12,8% (ce qui est beaucoup pour un nouveau parti mais il s'attendait à bien plus dans les sondages et il a chuté dans les dernières semaines), enfin Démocrates 66 (D66) s'est lui aussi écroulé à 9 sièges (-15) avec 6,2% des voix.

En tout, 15 partis politiques se répartissent les 150 sièges de la Chambre des représentants, ce qui est énorme. Il faut dire que le mode de scrutin n'aide pas au bicamérisme : il s'agit de la proportionnelle intégrale à l'échelle nationale sans même de seuil pour être élu (le nombre de sièges donne donc le seuil de 0,7% pour avoir un élu, ce qui est le cas du petit parti JA21 qui a eu 1 siège avec 0,7% des voix !). Avec ce mode de scrutin, il est quasiment impossible d'avoir une majorité absolue.



Revenons aux causes de ces élections législatives qui ont été anticipées par le gouvernement. En effet, le Premier Ministre Mark Rutte a dû donner la démission de son gouvernement le 7 juillet 2023 en raison de profonds désaccords au sein de sa majorité sur l'immigration et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Sa majorité, composée depuis le 26 octobre 2017 de son parti, le VVD, uni aux Démocrates 66, l'Union chrétienne (CU) et l'Appel chrétien-démocrate (CDA), a en effet éclaté sur ce sujet ultrasensible aux Pays-Bas (et plus généralement en Europe et dans le monde).



Il faut aussi rappeler que Mark Rutte est arrivé au pouvoir par les élections du 9 juin 2010 qui lui ont permis de former un gouvernement minoritaire composé du VVD (c'était la première fois qu'il était arrivé en tête) et le CDA avec le soutien sans participation du parti de Geert Wilders (PVV) et le retrait du soutien de l'extrême droite a provoqué les élections législatives anticipées du 12 septembre 2012.

La forte performance de Geert Wilders, surnommé improprement et paresseusement le Donald Trump néerlandais (il a commencé à faire de la politique bien avant Trump), n'est donc évidemment pas anodine puisque ses thèmes de campagne, c'est l'arrêt de l'immigration et surtout, l'islamophobie (il veut la suppression des mosquées, par exemple). Le leader populiste a toutefois préféré axer sa campagne cette fois-ci sur le pouvoir d'achat et les revenus faibles, très porteurs électoralement.

À 60 ans, Geert Wilders a déjà une grande expérience de la vie politique, élu député depuis le 6 mai 1998, à l'époque sous l'étiquette du VVD, grâce à la participation de ce parti au second gouvernement de Wim Kok. Auparavant, de 1990 à 1998, il était l'assistant parlementaire de Frits Bolkestein, député VVD et ancien ministre, connu plus tard en France pour son rôle de commissaire européen de 1999 à 2004 et sa fameuse directive Services (qui permet à un plombier polonais, par exemple, de travailler en France avec le droit social polonais).


Dès l'annonce des résultats des élections, l'ancienne présidente du RN Marine Le Pen, le Premier Ministre hongrois Viktor Orban et le ministre italien Matteo Salvini ont adressé leurs félicitations amicales à Geert Wilders. Pour Marine Le Pen qui a rappelé que le PVV était associé au RN sur le plan européen, c'est toujours instructif de rappeler aussi à ses futurs électeurs qu'elle est effectivement d'extrême droite populiste et partisane de la sortie de la France de l'Union Européenne, choses qu'elle avait mises un peu en sourdine ces dernières années pour récolter massivement des voix.



Car un autre thème de campagne de Geert Wilders, qui le rapprocherait de Nigel Farage, c'est effectivement le combat contre l'Europe et la volonté de sortir son pays de l'Union Européenne, ce qu'il appelle le Nexit. À la différence du Royaume-Uni, les Pays-Bas est un des six pays fondateurs de cette Europe et avait toujours montrer son adhésion à la construction européenne. Le fait que le PVV se soit hissé en tête des résultats électoraux constitue donc, en lui-même, un séisme énorme à Bruxelles et chez tous les partisans de la construction européenne.

En revanche, dire que Geert Wilders aurait "remporté" les élections législatives, c'est aller un peu trop vite en besogne si l'on considérait que gagner les élections, c'est prendre le pouvoir. En effet, sans réduire l'ampleur de la secousse politique énorme aux Pays-Bas et en Europe, le score du PVV n'est finalement pas extraordinaire : avec 23,6%, il ne représente même pas un quart des électeurs, et même le parti de Marine Le Pen a fait mieux en France sans forcément prendre le pouvoir. De plus, et c'est là le plus important, avec 37 sièges, il lui manque 39 autres sièges pour espérer former une coalition gouvernementale.

Alors, examinons précisément la répartition des députés malgré le kaléidoscope très complexe que constitue cette nouvelle chambre. En d'autres termes, sur quels soutiens parlementaires Geert Wilders pourrait s'appuyer pour pouvoir diriger le futur gouvernement ? C'est le sens du discours de Geert Wilders à La Haye au soir des élections, une coupe de champagne à la main : « Les électeurs ont parlé. Les sièges sont attribués. Il est maintenant important de voir sur quels points on peut se mettre d'accord. ».

Pendant la campagne, Dilan Yesilgöz (VVD), Frans Timmermans (PvdA-GL) et Rob Jetten (D66) avaient exclu toute alliance de leur parti avec le PVV de Geert Wilders dans le cas où ce dernier serait chef du gouvernement. Mais la situation est nouvelle dans la mesure où le PVV domine désormais largement la classe politique.

Ainsi, le nouveau parti devenu important avec 20 sièges NCS de Pieter Omtzigt, qui combat à la fois la corruption et l'immigration, est prêt à des négociations qu'il pense toutefois difficiles. Le Mouvement agriculteur citoyen (BBB) avec ses 7 sièges et le parti d'extrême droite Forum pour la démocratie (FvD) avec ses 3 sièges pourraient aussi être de la partie. Mais le total ne ferait que 67 sièges, loin des 76 de la majorité absolue.

Donc, évidemment, c'est bien la position du VVD qui est cruciale dans la formation du futur gouvernement. Ou il accepte une alliance avec le PVV et probablement que dans ce cas-là, il refuserait la désignation de Geert Wilders au poste de Premier Ministre au profit d'une personnalité moins clivante, ou au contraire, il fait tout pour éviter l'arrivée au pouvoir du PVV avec une alliance avec le centre gauche. Dilan Yesilgöz n'avait pas exclu un gouvernement VVD-PVV à la condition que ce soit elle-même la Première Ministre, ce qui, après les élections, paraît peu probable et surtout peu logique.



L'hypothèse d'une coalition autour du centre droit (VVD, NSC, D66, CDA et CU) ferait un total de seulement 61 sièges, ce qui est très en dessous de la majorité absolue. C'est donc bien l'idée d'une coalition anti-PVV plus large qui pourrait empêcher l'accession de Geert Wilders à la tête du gouvernement ; en réunissant les travaillistes, le VVD, D66, le CPA et la CU, elle donnerait pourtant une majorité insuffisante de 66 députés, ce qui signifie que le parti de Pieter Omtzigt est, lui aussi, essentiel dans les négociations. Mais tout faire contre le PVV pourrait encore accroître la colère des électeurs pour les prochaines élections (c'est "Politico" qui a évoqué cette idée de coalition anti-Wilders : « Il y aurait un prix à payer par la suite avec les électeurs néerlandais en colère. »).

Dans la presse, "De Telegraaf" a souligné que « la possibilité pour Wilders de devenir Premier Ministre est encore extrêmement incertaine », tandis que "Algemeen Dagblad" a considéré que ce sont surtout le VVD et le NSC qui « détiennent la clef de la formation » du futur gouvernement, comme j'ai pu le proposer précédemment.

Bref, toutes les combinaisons sont possibles, tous les tripatouillages qui sont propres au mode de scrutin proportionnel qui empêche tout choix clair des électeurs sur le gouvernement qu'ils souhaitent pour l'avenir. Le dernier gouvernement de Mark Rutte investi le 10 janvier 2022 a mis 299 jours de gestation pour naître des précédentes élections législatives du 17 mars 2021. Les politologues néerlandais considèrent aujourd'hui que le nouveau gouvernement ne sera certainement pas formé avant l'été 2024. À moins que les arrivistes se lâchent...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Geert Wilders sera-t-il le prochain Premier Ministre néerlandais ?
Les élections législatives du 22 novembre 2023 au Pays-Bas.
Audrey Hepburn.
Maurits Cornelis Escher.
Anne Frank.
Wim Kok.


 


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