Paris, Texas ?

par François Lurot
mardi 18 avril 2017

Depuis juin 2016, un collectif d'habitants du 20e à Paris (près de 4.000 signatures et un forum-citoyen tous les samedis) affronte le géant américain de l'agro-alimentaire Cargill associé à Carrefour. Ces acolytes ont bénéficié de soutiens au sein des mairies de Paris et du 20e et de l'argent public leur est promis pour pérenniser leur juteux projet financier, immobilier et commercial en lieu et place de l'ancien rectorat de Paris. 

Les habitants du nord du 20e  réunis dans un collectif réunissant des personnes individuelles, des associations, des membres des conseils de quartiers et des commerçants dénoncent sans faiblir, depuis le mois de juin 2016, l’absurdité d’un projet immobilier prévoyant un supermarché supplémentaire à 100 m d’un autre supermarché, dans un quartier, autour de la place Saint-Fargeau, largement pourvu en supermarchés et superettes, notamment du groupe Carrefour. A quelques centaines de mètres, c'est le désert commercial du quartier des Fougères, où Paris Habitat possède pourtant des locaux vides en pied d’immeubles, une Death Valley où il est prévu de supprimer La Poste, remplacée déjà par un Point Poste tenu par les caissières d'un des deux Carrefour City de Saint-Fargeau.

Absurdité encore de faire louer, comme le suggère une convention passée entre le groupe Carrefour, le promoteur CVI-Gambetta, filiale du géant Cargill et la mairie du 20e, 18.000 m2 de bureaux à une administration publique. De l'argent public au bénéfice d'une société américaine qui compte déjà 14 milliardaires, leader mondial d'une industrie agro-alimentaire de plus en plus critiquée, réputée pour produire la majeure partie des OGM que nous consommons tous les jours dans l'alimentation industrielle, réputée pour délocaliser les entreprises qu'elle rachète en France et partout dans le monde et réputée encore pour déforester l'Amazonie dans une ambiance de Far-West avec force crimes, Indiens spoliés et terres volées.

Cargill est en ville

Paris prend aussi des airs de Far-West avec sa guerre des enseignes de supérettes initiée depuis quelques années et maintenant avec le projet d'implantation d’un Carrefour-Market de 1.950 m2 au 92-98 avenue Gambetta, l'ancien rectorat de Paris. Un projet en contradiction avec la défense, maintes fois réaffirmée par la Maire de la Ville Anne Hidalgo, du petit commerce, de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire (ESS)

Les surfaces prévues pour Carrefour pourraient bien mieux accueillir, par exemple, une entreprise comme Kelbongoo, sélectionnée pour porter dans le 10e le projet de la Ville des « quatre saisons solidaires », ou une coopérative comme La Louve, qu'Anne Hidalgo vient d'inaugurer avec un discours dythyrambique dans le 18e. Les habitants apprécieraient un marché « bio », des locaux d'activités d'associations socio-culturelles et de loisirs qui font défaut dans le quartier - le centre d'animation voisin des Amandiers a été purement et simplement rayé de la carte par la mairie du 20e en septembre 2016 et remplacé par un centre théâtral très bobo -, une salle de gym, une salle à louer pour tous, une pépinière d'entreprises de l'ESS ou de « jeunes poussses », une université populaire, des artisans, une maison médicale, etc.

Après des mois d’efforts pour se faire entendre, suite au vœu qu'ils avaient arraché via quelques élus bienveillants - quand même ! - au conseil de Paris du 26 septembre 2016, voeu demandant que « la Maire de Paris lutte par tous les moyens à sa disposition contre l'implantation des très grandes surfaces alimentaires (…) » et que « les parties prenantes, dont les élus concernés, soient réunies afin de travailler à faire évoluer le projet de grande surface alimentaire programmé au 94, avenue Gambetta, et de discuter de l'utilisation des surfaces restantes dédiées à l'activité économique », Frédérique Calandra, maire du 20e, a finalement accepté une réunion, début mai, du collectif des habitants opposés au projet, des élus, du promoteur et de Carrefour.

Faire entendre raison

En attendant cette réunion, le collectif demande à la Maire un soutien fort : l'implication active de ses adjoints et de leurs services pour que le promoteur modifie son projet, et qu'elle fasse savoir au promoteur que la Ville qu'elle soutiendra l'essor des solutions alternatives proposées par les habitants.

La Semaest, société d'économie mixte de la Ville, spécialisée dans l'animation économique des quartiers, a pour mission officielle de conduire des projets d'aménagement, de rénovation et de développement économique au service de la vitalité urbaine. L'ancien rectorat, 92-98 avenue Gambetta, appartient à la zone des Hauts de Belleville, bénéficiaire du Contrat Paris’ Commerces, confié à la Semaest. Celle-ci pourra, sous l'impulsion de la Ville, avec la participation des élus concernés et des habitants, prendre ce dossier en mains au bénéfice du bien commun.

Force reviendra-t-elle à la raison ? Cargill et Carrefour renonceront-ils à un projet non seulement inutile mais destructeur du petit commerce, du paysage urbain, du lien social ?

 

 


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