Bruno Millienne : la gauche piégée par une manœuvre de garçon de bain

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 22 décembre 2023

« C'est une manœuvre de garçon de bain du Rassemblement national (…), une manœuvre grossière pour nous dire : au fond c'était mon texte qui l'a emporté parce que c'était dans la confusion, mais c'est faux ! » (Emmanuel Macron, le 20 décembre 2023 sur France 5).

Peut-être connaissez-vous depuis six ans et demi Bruno Millienne ? Journaliste, imposant dans son éloquence, Bruno Millienne (64 ans) a été élu député MoDem de la 9e circonscription des Yvelines (entre autres, Les Mureaux) en juin 2017 (contre le député LR sortant) puis réélu en juin 2022 (contre un candidat RN). Il fait partie depuis 2017 de la Macronie parlementaire, mais dans une petite galaxie indépendante où il ne mâche pas ses mots et sait parfois s'opposer à l'Élysée sur des points techniques. Depuis juillet 2022, il a été nommé porte-parole du groupe MoDem à l'Assemblée Nationale, mais c'est depuis 2017 qu'il intervient régulièrement dans les médias.

Invité le soir du 20 décembre 2023 par LCI pour réagir aux propos du Président Emmanuel Macron sur France 5, Bruno Millienne appuyait le chef de l'État sur son analyse de la loi Immigration. Bien sûr que non que ce texte n'est pas une victoire du RN, ne serait-ce que parce que la loi Immigration va permettre la régularisation de milliers de sans-papiers et interdire aux mineurs d'être retenus dans des centres de rétention administrative. Il regrettait que certains de ses collègues de Renaissance et du MoDem (son parti) n'aient pas apporté leur vote à ce texte (59 députés, soit un peu plus du quart des troupes), et par ce fait, aient laissé entendre que ce texte serait d'inspiration d'extrême droite (car adopté par l'extrême droite), ce qu'il n'est pas (Gérald Darmanin avait expliqué aux parlementaires que ce texte aurait été adopté même sans l'apport des voix du RN car beaucoup de députés de la majorité qui ont voté contre l'ont fait en raison du soutien du RN). C'était le piège du RN tendu à la majorité.

Mais ce piège est petit face aux autres pièges qu'a tendus le RN par ses manœuvres politiciennes. Le plus gros contre les députés LR qui ont perdu l'avantage politique de cette loi Immigration dont ils ont été les inspirateurs. Dans la perception populaire, LR n'a rien gagné alors que c'était leur véritable victoire politique. Ils vont devoir ramer pendant des mois pour expliquer qu'ils ont réussi à imposer leurs vues au gouvernement.

Un autre piège non négligeable du RN a aussi été tendu à la gauche. C'était le sens de la colère de Bruno Millienne contre les députés de gauche qui se sont fait avoir comme des bleus. Elle est complètement tombée dans le panneau ! Cela a commencé avec le vote de la motion de rejet préalable pour la première lecture du texte. Cette motion a été déposée par le groupe écologiste et un député écologiste avait confié à Bruno Millienne qu'ils ne pensaient pas, à gauche, que le RN allait la voter. C'était une motion de rejet par automatisme, mais ils ne souhaitaient pas son adoption, ils voulaient surtout discuter du texte. La surprise du vote de la motion de rejet par le RN et une partie de LR a remis en cause l'équilibre du texte amendé en commission des lois, bien moins dur que la version du Sénat.

Résultat, non seulement le texte n'a pas pu être examiné en séance publique, mais ce fut le texte du Sénat qui a servi de base aux négociations de la commission mixte paritaire. Les cris de gazelles effarouchées de la gauche moralisante contre le texte final sont donc très hypocrites. Il est certain que sans le vote de la motion de rejet, le texte aurait été bien moins dur que l'actuel, d'autant plus que les députés de gauche avaient obtenu la garantie du gouvernement qu'il n'engagerait pas sa responsabilité sur ce projet de loi, laissant ainsi une grande autonomie aux parlementaires.

Bref, le vote de la motion de rejet le 11 décembre 2023 par les députés RN, puis, leur revirement complet en votant le texte le 19 décembre 2023, dans des manœuvres politiciennes incompréhensibles sur le fond, ont apporté une complète confusion au jeu parlementaire. La gauche s'est particulièrement discréditée en fustigeant ce texte supposé d'extrême droite tandis que plus de 70% des Français, selon des sondages, approuveraient la version finale.

Il est clair qu'il y a un énorme fossé entre une pseudo-élite intellectuelle bobo pseudo-gauchiste et ce qu'on appelle le peuple, ou les gens, qui attendent des résultats des politiques publiques. Depuis 1980, certains ont évalué à trente le nombre de lois sur l'immigration (je n'ai pas vérifié), cela prouve bien que ce sujet est très sensible, et pour l'instant peu efficace puisqu'il faut encore légiférer après.



François Hollande qui parade aujourd'hui dans les médias et veut donner des leçons à Emmanuel Macron, ferait mieux de se taire et de rester discret en matière de valeurs républicaines, car son projet de déchéance de nationalité était bien plus inspiré par l'extrême droite que cette loi Immigration. Lui aussi a oublié son esprit de responsabilité et veut surfer sur une contestation à gauche peu portée par le peuple.

L'objectif d'Emmanuel Macron était donc très clair avec ce texte qualifié de bouclier pour les Français : rendre plus efficace la lutte contre l'immigration clandestine en simplifiant les procédures d'expulsion, sans pour autant sortir de l'État de droit et de nos valeurs républicaines. Et surtout, car c'est ça la politique, en finir avec ce fonds de commerce électoral particulièrement vaseux de l'extrême droite depuis près de cinquante ans. C'est un élément indispensable pour ne pas laisser un boulevard à l'extrême droite dans la perspective de l'élection présidentielle de 2027.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 décembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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Commission mixte paritaire et adoption de la loi Immigration.
Article 49 alinéa 3 et projet de loi Immigration.
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