« Je souhaite que chacun, dans son identité propre, renoue avec ses racines spirituelles » : des Occidentaux de traditions celtes, parlent

par Jérémy Cigognier
samedi 27 août 2022

De 2020 à 2022, parurent sous AgoraVox des entretiens-fleuves, nommés Des Druides et celtisants contemporains parlent. Ces entretiens se sont perdus. En voici les interventions essentielles, ce qui reste toujours conséquent : à lire en prenant le temps, ou à retenir dans vos liens favoris/marques-pages pour une prochaine fois.


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HUIT DRUIDISTES CONTEMPORAINS

Bonjour ! Avez-vous un nom ou surnom druidique ? Lequel ?
* Morgan : Bonjour ! Mon nom en tant que Grand druide de Bretagne et responsable de la Gorsedd, est Morgan.
* Lugvidion : Lugvidion, s’il revêt plusieurs sens, le premier est l’arbre de Lug. Je réside en terre anciennement ségusiave : Lyon (Lugdunum) ! Il semble que les Celtes et les druides en particulier aient été des amateurs de jeux de mots (parfois appelés coalescences). Le choix d’un nom initiatique est important, car il permet d’apporter une réponse unique à deux questions : qui suis-je ?… et qui est-ce que je souhaite devenir ?
* Kadith : Mon nom druidique est Kadith /|\. Hu Kadarn apparaît tantôt en divinité, tantôt en simple héros géant, combattant les forces des ténèbres. Il épouse la déesse Cerridwen, dont il a deux jumeaux. Avandh dhu (le castor noir) et Kadith (le combattant). Un déluge a été provoqué et Hu Kadarn a toutes les peines du monde pour canaliser l'eau et récupérer la terre. Il se fait aider par deux boeufs qui tirent la boue.
* Druvis ananmatos (druide anonyme) : Réservé aux membres initiés, collège et coreligionnaires.
* Drum : Drum.
* Dianann : Dianann, pourquoi ce nom me direz-vous ? Au tout début de mon cheminement, j’avais choisi le nom de Saille qui correspond au saule dans l’alphabet des oghams (écriture sacrée des druides), arbre que j’aime tout particulièrement. Puis un jour, en lisant un passage de la mythologie, une petite voix intérieure m’a soufflé : « on parle de toi ! », en voici un extrait : « Durant la seconde bataille de Mag Tured, Lug, en situation difficile, demanda à ses hommes, druides et Dieux, ce qu’ils pourraient faire pour lui. Tous furent force de proposition, puis il se tourna vers deux femmes en ces termes : "Et vous, Ô Béchuille et Dianann, mes magiciennes, quel pouvoir pouvez-vous exercer dans la bataille ?" Elles répondirent : "Nous enchanterons les arbres et les pierres et jusqu’aux mottes de terre, de sorte qu’ils seront une troupe en armes contre eux, et les mettront en déroute et en fuite d’horreur." »
* Dervonna Rowan Hawthorn : Oui, je suis Dervonna Rowan Hawthorn.
* Celui du pays de l'Ours : Bonjour… Oui, bien sûr, j’ai un nom druidique. Il m’a été donné par Myrdhin, mon sanglier, le harpeur Rémi Chauvet, au début de mon initiation, en 1993. Mais je ne me sers pas de mon nom druidique publiquement. Je n’en dirai donc rien… Par contre, j’ai un surnom, un nom de plume si vous préférez : Celui du Pays de l’Ours, et qui n’est pas sans rapport avec le précédent…

Avant tout, qui êtes-vous dans la vie civile ? Comment vivez-vous, habitez-vous et expérimentez-vous votre aventure en tant que citoyen ? Quelle est votre trajectoire ?
* Morgan : Je suis retraité de La Poste où j’exerçais des fonctions d’encadrant. J’ai été responsable syndical au niveau départemental, régional et enfin national. J’habite maintenant dans le Finistère à Plouhinec. Je suis engagé dans le secteur associatif et dans différents mouvements culturels, écologistes. Je suis également musicien dans un bagad et un groupe de musique celtique. Je me considère comme citoyen français de nationalité bretonne.
* Lugvidion : Père de famille, je suis salarié du secteur privé. Ma foi et ma pratique n’interviennent donc pas en remplacement d’un mode de vie dit classique, mais en complément, au niveau personnel. Nous considérant comme des êtres spirituels vivant une expérience humaine (et pas l’inverse), nous sommes ainsi quelques-uns et quelques-unes à avancer ensemble sur le chemin du druidisme, malgré le décalage que nous pouvons ressentir par rapport aux aspirations de nos contemporains. Au sortir de l’adolescence, un engouement pour la philosophie a progressivement révélé que les fonts où, enfant, j’avais été baptisé catholique, s’étaient taris pour moi. Après quelques années de recherche dans le domaine de l’ésotérisme, je me suis ensuite, en tant que « Gaulois », intéressé à mes racines spirituelles et donc de façon assez naturelle, au druidisme.
* Kadith : Je suis retraité et réside dans un village de Corse.
* Druvis ananmatos : Pas de question personnelle ! Qui je suis n'a aucune importance. Seule compte la réponse du Druvis (séparation entre le profane et le sacré : Devos andevos-pe).
* Drum : Dans ma vie séculière, je travaille dans les IT. Dans ma vie spirituelle, je suis un prêtre, un auteur et un druide. Je suis Américain.
* Dianann : Je suis à la retraite depuis peu, j’étais chef de projet en informatique. J’habite depuis ma retraite en milieu rural dans un petit village du Centre-Bretagne. Je n’ai jamais caché mon appartenance au milieu druidique, je fais des conférences sur les Celtes et les druides, tout le monde sait qui je suis. Je fais partie d’associations. Nous, druides, sommes des défenseurs de la nature, des animaux, de la planète et du patrimoine.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Je suis secrétaire en langues étrangères, assistante de direction, conseillère psychologique, et j'ai travaillé pendant de nombreuses années pour de grandes entreprises internationales. Mais ce métier n'était pas vraiment ma vocation. J'ai donc suivi l'appel de la nature et, après de nombreuses années de quête, j'en suis venue au druidisme. Je suis Italienne et je vis en Basse-Saxe depuis 1987. Entre-temps, je me suis mariée à un agriculteur, et maintenant je vis très près de la nature et selon ses cycles. La vie druidique parfaite … Je vis ma spiritualité dans tout ce que je fais et elle est assez bien intégrée dans ma vie quotidienne. Ma trajectoire ? L'intégrité et l'authenticité …
* Celui du pays de l'Ours : J’ai 66 ans. Je suis marié, depuis 45 ans, et père de trois enfants, qui sont largement adultes maintenant. Je suis retraité de l’Éducation Nationale. Je n’étais ni prof d’Histoire, ni prof de Philosophie, mais prof d’Études des Constructions dans un lycée technologique. J’ai aimé faire ce métier, auquel je suis arrivé par hasard. En effet, au début des années 80, n’étant pas dégagé de mes obligations militaires, le seul employeur qui a bien voulu me donner du travail (un poste de prof en l’occurrence), ce fut l’État français, justement celui qui me demandait de faire mon service militaire, ce à quoi je me refusais catégoriquement, sortant de quatre ans d’École militaire et estimant que c’était bien assez. Mis à part mon activité d’auteur et de conférencier, consacrée toute entière à la tradition des druides et des Celtes, je vis mon « aventure » en toute discrétion, sans ostentation, avec quelques proches, dans le sein privé, comme il se doit, comme tout citoyen digne de ce nom, sans ennuyer personne …

Depuis quand avez-vous une sensibilité païenne ? Comment s'est-elle développée devers votre vie civile ? Qu'a-t-elle changé ?
* Morgan : Je préfère écarter le terme de païen qui est péjoratif et employé par les monothéistes de tout poil. Il y a peu encore, les catholiques considéraient les musulmans comme des païens. Je doute qu’ils emploieraient encore le terme aujourd’hui. Cela est assez révélateur d’une forme d’ostracisme. Je me définis comme druide. J’ai toujours été attiré par cette vision naturelle du Monde et de l’Univers depuis l’enfance en Bretagne et cela s’est clarifié, au fil du temps, par mon entrée à la Gorsedd, il y a plus de quarante ans. Le fait d’estimer que l’humain, comme toutes les formes de vie et de matière, sont parties prenantes du grand tout, de la Mer d’Esprit, comme l’appelait notre premier Grand druide Lemenik, m’a donné l’envie de m’engager dans la défense de nos conditions de vie tant sociales qu’environnementales. Cette sensibilité a complété et légitimé mon engagement citoyen.
* Lugvidion : Une sensibilité peut se développer, mais relève aussi et peut-être surtout de l’inné. Une vision païenne amène au moins trois modifications : 1. Elle permet de relativiser la notion de temps, en passant d’une vision linéaire à une vision cyclique (ce qui n’est pas sans conséquence au niveau de l’appréhension de la mort). 2. Elle suppose une conception immanente du sacré, qui ré-enchante le monde, contrairement à la conception d’un sacré transcendant qui lui serait extérieur. 3. Elle redonne à l’individu son jugement et la responsabilité de ses actes, à la recherche du beau et du vrai (en référence par exemple à la vieille triade indo-européenne « pensée, parole, action »), sans déléguer ce jugement aux tenants d’un paradis et d’un enfer, qui gouverneraient un bien et un mal qui seraient absolus. Dans ces conditions, la honte est sur celui qui se comporte avec bassesse ou dont le mensonge habite les paroles ou l’attitude entière, mais il y a absence de péché, originel surtout, ce qui confère à l’individu une réelle liberté (aujourd’hui encore, les femmes sont profondément atteintes dans leur liberté par la vision portée par les monothéismes). – En synthèse, la voie druidique que je suis depuis plusieurs années est une voie de sagesse.
* Kadith : J'ai recherché très jeune la Tradition. Élevé dans une famille catholique, j'ai commencé par chercher à approfondir cette religion. Ne trouvant pas ce que je recherchais, dès l'âge de 16 ans, j'ai commencé à étudier le Talmud et le Coran. Étant toujours insatisfait, je me suis tourné vers des groupements ésotériques. Ces derniers ont plus répondu à ma Quête. Et parmi tous ces groupements, j'ai trouvé dans le druidisme l'approche, qui m'a le mieux convenu, de la Tradition Primordiale.
* Druvis ananmatos : Depuis toujours. Toujours le rejet des ariettes puériles concoctées pour les enfants, les innocents. S'affirmer comme tel, en dépit de l'incompréhension voire du rejet. Le confort mental du croyant, assisté et donc soumis à l'autorité sans qu'il s'en émeuve, par paresse intellectuelle, par manque de volonté d'affronter l'Incommensurable, par peur de l'Inconnu.
* Drum : Ma sensibilité païenne s'est réveillée au 8ème grade scolaire américain, après avoir lu Mythologie, d'Edith Hamilton.
* Dianann : J’ai été très jeune en recherche de spiritualité. Comme beaucoup à cette époque, je me suis tournée vers le bouddhisme, puis vers la spiritualité de l’Égypte antique qui a été pour moi une révélation. Mais l’Égypte s’est révélée bien loin de mes racines bretonnes. Lors de voyages en Bretagne, j’ai rencontré le druidisme qui a résonné en moi. Je ne peux pas dire que la spiritualité ait influencé, à un moment précis, ma vie sociale. Elle a toujours fait partie de moi. Mais si je n’avais pas baigné durant ma vie dans la spiritualité païenne, celle-ci aurait très certainement été différente. Le druidisme m’a apporté une vision différente des choses, des hommes, de la vie, une philosophie et un attachement profond à la nature, et j’espère une certaine sagesse.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Depuis mon enfance. J'ai été élevée de façon très chrétienne dans le Nord de l'Italie. Je trouve les valeurs chrétiennes très précieuses en elles-mêmes, mais il me manquait le lien avec la nature et cette religion monothéiste était, de toute façon, trop masculine pour moi. Ma quête m'a conduit au druidisme. Ma spiritualité n'a pas du tout changé depuis si longtemps, mais s'est plutôt approfondie…
* Celui du pays de l'Ours : Je suis né dans une famille de catholiques « tièdes ». C’est-à-dire que mes parents, selon la formule consacrée, étaient croyants mais pas pratiquants. Par contre, moi et mes soeurs, nous étions astreints à un certain minimum « syndical » en matière de religion : baptême, petite communion, communion solennelle, catéchisme bien sûr, enfant de choeur pour le garçon que j’étais, et puis après la confirmation, à 13 ans, nous étions libres de continuer ou pas dans cette voie. Je l’ai donc lâchement abandonnée dès ce sacrement reçu, pour devenir, à mon tour, un catholique « tiède », voire complètement « froid ». En fait deux choses m’ont entraîné vers le paganisme : mes instituteurs de la 5e République, en me fourrant dans la tête que mes ancêtres étaient gaulois, et ma découverte du Mont Beuvray. De la cour de mon école et de celle de la maison de mes parents, on pouvait le voir se détacher sur l’horizon. En fait, je suis né à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau du Mont Beuvray, à Beaulon, dans le département de l’Allier. Je l’ai découvert et j’ai foulé ses pentes pour la première fois alors que j’avais une dizaine d’années, dans les années 60. Cela a été une véritable révélation pour moi. Et aujourd’hui, à chaque fois que je m’y rends, c’est toujours la même émotion qui m’étreint. J’aimerais que mes cendres y soient répandues. Ma sensibilité païenne s’est développée tout naturellement, sans ostentation, sans manifestation, ni pratique particulière, si ce n’est dans ma façon de me nourrir (je précise que je ne suis pas végétarien) et de me soigner. Ce qu’elle a réellement changé c’est mon rapport à l’Univers, à ma conception du Divin, c’est que je suis devenu panthéiste …

Depuis quand êtes-vous druidisant ? Comment cela vous est-il arrivé, avec quel organisme, et qui en particulier ? Qui étiez-vous dans la vie spirituelle pour commencer cette démarche, qu'êtes-vous devenu ensuite, et que devenez-vous ?
* Morgan : Les tribulations de ma vie professionnelle m’ont amené à me retrouver logé chez un membre de la Gorsedd. J’ai alors eu l’opportunité d’assister à des cérémonies et de connaître Gwenc’hlan Le Scouëzec. Je me suis rapproché progressivement du mouvement. J’ai été appelé comme disciple à la Gorsedd Digor en septembre 1979 à Quimperlé, Gwenc’hlan Le Scouëzec était alors Grand druide de Bretagne. Je suis devenu Barde en 1981 à Douarnenez puis Grand druide adjoint en 1997 et élu Grand druide en 2008 par le Poellgor, après le décès de Gwenc’hlan Le Scouëzec. Cette élection a été communiquée à l’Archidruide de Galles que j’ai rencontré à l’Eisteddfod de Cardiff, la même année. Je suis toujours actuellement le 6ème Grand druide de Bretagne.
* Lugvidion : Je me suis rapproché du Groupe druidique des Gaules en l’an 2000, au sein duquel j’ai été intronisé « sanglier-druide » en 2013. Pour trouver du sens à notre incarnation, nous sommes tous en questionnement sur notre rôle « ici-bas ». Ces considérations sociales, quasi-professionnelles (à quoi je sers ? quel est mon rôle ? ma fonction, ma vocation ?…) m’ont amené à trouver, sur le cheminement druidique, une « fonction » à la fois noble et en rapport avec ma nature. Aujourd’hui, je relativise beaucoup cette vision très individualiste, en considérant qu’il ne s’agit que d’une modalité particulière d’appréhension de mon incarnation. Quoiqu’il en soit, j’espère en être digne le plus souvent possible (« il n’existe pas de sage, il n’y a que des cavaliers de Sagesse … »).
* Kadith : Je suis membre du Collège druidique Traditionnel. J'ai été élevé au druidicat le 28 Septembre 1975 par le druide Per U'I /|\, en présence du druide Gwend'Hlan /|\ représentant la Confraternité Philosophique des druides. Le druide Per U'I /|\ a été élevé au druidicat en 1972 par les druides Ker Arvor /|\ et Ker Owl /|\ de la Gorsedd de Bretagne. Il a, en outre, reçu le 17 août 1975, l'initiation bretonne des mains de Koarer Kalondan /|\, Grand druide de la Confraternité Philosophique des druides. Cette cérémonie a eu lieu sur la colline Mane Gwen (près de Genin, dans le Morbihan) et a été filmé par France 3.
* Druvis ananmatos : 23 ans. Entré dans le Collège druidique Traditionnel (sis en Corse), en 1985 E.V. Simple « marcassin », puis devenu Bardos, enfin Druvis en 1997 E.V.
* Drum : Je suis devenu druide ou Celtiste, après avoir découvert les RDNA et ADF, après avoir lu Drawing Down the Moon, en 1981. J'ai rejoint ADF en 1984 en tant que son huitième membre. J'ai toujours honoré le changement des saisons ; ADF m'a aidé à découvrir et poursuivre ma pratique.
* Dianann : J’ai entamé mon chemin druidique voici 20 ans et je suis druide depuis plus de 10 ans. Au début de mon cheminement j’ai rencontré des druides, des groupes, et je me suis sentie très proche de l’OBOD (Order of Bards, Ovates and druids – ordre anglais qui diffuse son enseignement dans le monde entier et dans différentes langues). J’ai suivi l’enseignement, il a véritablement été l’aboutissement de tout ce que j’avais fait et vécu avant. J’ai désiré me mettre au service de ceux qui allaient suivre les pas de l’OBOD. J’ai d’abord été tutrice pour accompagner les nouveaux cheminants, puis notre chef élu Philip Carr Gomm m’a demandé de gérer le tutorat, à ma retraite. Ayant plus de temps, j’ai accepté de faire un magazine francophone et un site internet en français. C’est pour moi un réel engagement, totalement bénévole, qui me tient beaucoup à coeur.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Je pourrais dire que j'ai vraiment été sur cette voie toute ma vie.
J'ai évolué à plusieurs reprises, du christianisme à la wicca, puis à l'ancienne religion italique, puis à l'hermétisme, à la kabbale, à l'hindouisme, puis à l'ancienne religion à nouveau, et enfin au druidisme. Pour préciser, l'ancienne religion est le paganisme ancien, en général, et moi j'avais choisi la sorcellerie italienne étrusque-romane. Mais ce n'était pas bon pour moi. Trop théâtral. Donc … Je suis née à Turin, et mes racines sont de la Gaule-Cisalpine. Le nom de ma famille est très ancien et propre à cette région, donc je me sens très reliée au Piémont. La vie des mes aïeux est liée à cette teuta. Je sens que soigner cette racine est très important pour moi, c'est un héritage social et spirituel au même temps. C'est tout assez congru… La voie celtique est la voie de la transformation. Nous tirons tout notre potentiel du chaudron de l'inconscient, nous allons au fond de nous-mêmes et nous renaissons à chaque expérience que nous acquérons. C'est l'alchimie parfaite de l'âme pour devenir UN avec le cosmos, avec la vie, avec la création. Ce chemin ne s'arrête jamais. C'est comme une spirale qui tourne en rond dans des cercles de plus en plus grands ; dans le processus, nous grandissons, nous rassemblons des détails sur le microcosme et devenons de plus en plus complets.
* Celui du pays de l'Ours : Je suis entré en druidisme le 28 avril 1991. À cette époque, il y avait bien longtemps que ma vie spirituelle était en jachère. J’étais en recherche et j’avais beaucoup lu, des livres d’historiens, mais aussi de néo-druides, des livres complètement nuls, notamment celui de Bouchet : Les druides, Science et Philosophie, mais je sentais néanmoins que ce que l’on appelle aujourd’hui « druidisme » était ma Voie. C’est donc ce 28 avril 1991, jour anniversaire de mes 36 ans, que j’ai participé à ma première fête celtique, celle de Beltaine, au sein d’un petit groupe nommé Ceux du pommier, qui était dirigé par Gwenc’hlan Le Scouezec, alors Grand druide de la Gorsedd de Bretagne. C’était dans les Monts d’Arrée, au pied de la montagne Saint-Michel de Brasparts. À l’époque, j’habitais dans le centre de la France, dans le Berry, tout près de Bourges. Pour les Celtes, l’ours étant le symbole du pouvoir temporel, j’avais baptisé le Berry, le pays des Bituriges, le pays des Rois du Monde : Le Pays de l’Ours, ce qui avait bien fait marrer les gens des Pyrénées ! Ce que j’ai vécu ce 28 avril 1991, dans les Monts d’Arrée, m’a complètement retourné, et pour la vie entière, c’est pourquoi, pour marquer ma fidélité à Ceux du pommier en même temps qu’au Berry, j’ai décidé de prendre moi-même le surnom de Celui du Pays de l’Ours, que j’évoquais tout à l’heure, notamment pour signer mes livres… En fait, je ne devais fréquenter Ceux du pommier que pendant un an. Contrairement à la Gorsedd, c’était, au début, un groupe assez ouvert, qui accueillait toutes les nationalités. Il n’était pas nécessaire d’être breton ou de parler breton pour pouvoir en faire partie. Mais début 92, il fit l’objet d’une certaine « épuration ». À peu près tous les Français en furent exclus. Je fus de ceux-là. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Rémi Chauvet, alias Myrdhin. C’est lui qui m’a conféré ensuite, sur plusieurs années, l’ensemble de l’initiation, dans la lignée de John Toland, de « marcassin » à druide sacerdotal… Ce que je deviens ? Ce que je suis depuis des années maintenant : un témoin de ce que nous, Français et Européens, sommes profondément…

Qu'est-ce que le druidisme ? Pour quoi faire, et à quelle fin ? Comment se déploie-t-il spirituellement ? Et comment vivez-vous les cérémonies, ainsi que les adeptes non-druides ? Qu'avez-vous à dire de son image publique ?
* Morgan : Pour la Gorsedd le druidisme n’est pas une religion mais une philosophie de la Nature. La Gorsedd se définit comme une société de pensée non dogmatique. De par ses origines celtiques, la Gorsedd défend également la culture bretonne, la langue bretonne étant d’ailleurs sa langue officielle. Elle utilise toutefois le français comme langue usuelle de travail et de recherche en particulier avec ceux de ses membres ne connaissant pas suffisamment le breton. L’anglais nous permet de communiquer avec nos frères de Galles et de Cornouailles. La prière de la Gorsedd est adressée au Sans-Nom : un silence est observé, pendant lequel chaque membre prononce intérieurement le nom qui correspond à la conception qu’il se fait de la ou des divinités, de l’Être Suprême, du Principe Premier, etc. Cette relation est ramenée à l’appréciation individuelle de chacun. Les cérémonies ont toujours lieu en extérieur près d’une fontaine, en bord de mer, dans un bois, dans un cercle de pierres ou en plein champ. Les visiteur(e)s sont invité(e)s à participer si ils/elles le souhaitent, sauf dans le cercle de pierre dont l’accès est réservé aux membres confirmés. La Gorsedd annonce toujours publiquement la date de la cérémonie annuelle ouverte au public, elle contribue, dans la mesure de ses moyens, à populariser l’existence d’un courant druidique contemporain ouvert. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour redresser des préjugés courants : aspects sectaires, élitisme, extrémisme politique ou niaiseries new age ou folkloriques.
* Lugvidion : Pour tenter une définition triptyque, le druidisme mérite autant d’être qualifié de religion, de philosophie, que de spiritualité : 1. Religion, dans la mesure où l’initiation druidique est de nature sacerdotale (relative à la première « fonction » définie par Georges Dumézil) et où sa pratique est volontiers collective. 2. Philosophie, car dans les religiosités païennes, il est plus important de savoir que de croire. Un certain nombre de préceptes de vie nous sont parvenus, notamment sous forme de triades, à portée philosophique (par exemple « honorer les Dieux, exercer son courage, ne rien faire de bas », que Diogène Laërce nous rapporte dans sa Vie, doctrine et sentences des philosophes célèbres). 3. Spiritualité, parce que l’initiation druidique vise à éveiller la conscience. Cet éveil, ainsi que les questionnements sur l’immortalité de l’âme, participent à l’accomplissement personnel de l’individu. Les cérémonies sont de trois ordres : calendaires (pour célébrer les 8 fêtes annuelles), initiatiques (marquant les étapes du cheminement de chaque membre) ou familiales (bénédiction d’enfant avec présentation aux éléments, mariage, funérailles). À l’intérieur du cercle, les cérémonies sont toujours vécues comme des moments intimes, où l’on sait être à sa place : au bon endroit, au bon moment. Les sympathisants qui nous accompagnent assez régulièrement apprécient aussi ces instants un peu hors du temps, où les symboles font sens et où c’est la vie elle-même qui est célébrée, en confiance. L’expression du druidisme est aujourd’hui si discrète qu’il n’y a en pratique aucune opinion publique sur lui. Cependant, pour les rares personnes s’intéressant au sujet, il n’y a pas un druide, mais deux : d’une part le personnage historique, qui a vécu, d’autre part le « néo-druide » contemporain. Le premier jouit d’une image positive : savant, sage, il est un référent. Il est ainsi d'autant plus difficile au second d'être crédible que cette image d’Épinal (réaliste historiquement) est plus idéalisée. Mais si le druidisant contemporain ne jouit pas de la même sympathie, ce n’est pas tant par manque de compétence, que par convention sociale. Je m’explique : dans notre société, la perte de valeurs est telle, que la défiance de nos concitoyens est immense envers tous ceux qui pourraient, de près ou de loin, s’ériger en censeurs. Comme expliqué plus haut, les repères éthiques véhiculés par les druides sont pourtant bien loin des dogmes qui furent imposés par le clergé chrétien, dans une attitude moralisatrice que partagent visiblement tous les « clergés » monothéistes. Les druides contemporains, légitimement positionnés sur un plan spirituel, ne s’expriment généralement pas sur l’actualité, relevant du niveau temporel. Peut-être devraient-ils, parfois, donner leur point de vue sur l’Homme et notre société actuelle … si l’occasion leur en était donnée.
* Kadith : Le druidisme est une des plus magnifiques doctrines métaphysiques qui se soient perpétuées jusqu'à nos jours. Les druides sont toujours vivants, et de plus en plus présents. Le druidisme est une des expressions de la Tradition Universelle. Il en est l'expression, répondant aux génie de la Gaule et des Celtes, celui de nos ancêtres, qui se réveille en nous. Une Tradition restée toujours vivante car elle se nourrit de l'apport de l'expérience de chacun… Se pencher sur le druidisme, c'est honorer ses ancêtres et en découvrir les qualités. La Tradition des druides est porteuse d'études philosophique et spirituelle de l'ensemble du patrimoine qui se transmettent depuis des millénaires dans notre inconscient collectif. Être druide c’est être en recherche constante. La Tradition druidique est un enseignement qui est vivant et intemporel. Nous sommes les héritiers de nos Ancêtres, directement ou indirectement, nous allons sur les mêmes lieux, nous prions les mêmes Divinités, nous nous nourrissons des mêmes énergies et des mêmes symboles. Le druidisme est adogmatique, il ne cherche pas à fixer l'esprit des Dieux dans une seule expression. Il admet volontiers la pluralité et la richesse des expériences spirituelles tout en reconnaissant ce qui fait de lui une voie unique et authentique, qui se suffit à elle-même. Et si le druidisme redevenait la solution actuelle pour appréhender au mieux la Divinité ? Il est dommage que certains groupes actuels, se réclamant du druidisme, mélangent plusieurs traditions, souvent pour compenser leur manque de recherches, ou parce que leurs recherches sont polluées par d'autres intérêts. D'autres groupes servent de refuges à ces groupes d'extrémistes.
* Druvis ananmatos : Le mot druidisme n'existe pas. Le suffixe -isme explique une doctrine (cf. fascisme, communisme, maoïsme, taoïsme). Or, les Druvides sont réunis au sein d'une Fraternité. Sont Druvides : les Vates, les Veledes et les Druvides « comnertoi » (confirmés). Chaque corporation a ses propres règles, ses propres objectifs (un Vatis sera un enseignant, un devin, un invocateur, un guérisseur… Un Veles sera médecin, prophète, juge, avocat, historien… Un Druvis sera un constructeur, un ambassadeur, un théologien, un philosophe, un astronome…). Nous retrouvons là l'élite intellectuelle de la Société Celtique. Tous n'étaient pas religieux. Un astronome, un chirurgien, un ambassadeur, un historien ne s'occupent pas de Baracacai (choses de religion). Les cérémonies sont prononcées en Celtique Ancien, la langues de nos aïeux. La cérémonie est normalement prononcée par un Vatis. Le Druvis, n'est présent que pour certifier « les accords » du monde Sacré. En respectant le schéma traditionnel de tout rituel. Nous ne cherchons pas à faire du prosélytisme, nous sommes une Confrérie Initiatique. Vient, celui qui « sent l'appel ». C'est lui qui nous trouve, non l'inverse. Quand à son image publique, je ne m'en soucie pas. Les « profanes » sont englués dans leurs affaires de la vie courante, vie active et trépidante, réglée par les Dirigeants de la Société actuelle. De fait, il ne leurs reste que peu de loisir pour se consacrer au « sacré ». C'est le but de cette Société actuelle. Elle y réussi d'ailleurs fort bien ! L'humain d'aujourd'hui est bien « neutralisé », disons soumis à toutes ses « obligations ». Et même il en redemande : l'homme est le seul animal à adorer ses chaînes.
* Drum : Pour moi, le druidisme consiste à construire une pratique dévotieuse et des relations avec les Ancêtres, les Esprits de la Nature, et les Lumineux (les Dieux et les Déesses), et moi-même.
* Dianann : Le druidisme est à la fois une philosophie de vie et la spiritualité de nos ancêtres. Pour quoi faire ? … Demanderiez-vous à un catholique pour quoi faire et à quelle fin l’est-il ? Nous sommes tous des êtres spirituels. Certains ont trouvé leur chemin, d’autres pas. Certains dans les grandes religions établies, d’autres dans des voies plus païennes. Les membre de l’OBOD sont disséminés un peu partout, ils pratiquent en solitaire, ou se regroupent en Clairières. Nous célébrons 8 fêtes et j’organise avec des amis un rassemblement annuel afin de permettre à ceux qui n’ont pas la possibilité de rejoindre une Clairière, de se rencontrer, de partager et célébrer en commun. Les cérémonies sont importantes, bien que je considère que nous ne sommes pas druides 8 fois par an mais 24 heures sur 24. Nous suivons, par ces célébrations, les cycles de la nature. Elles nous permettent de nous connecter encore plus profondément et d’honorer notre Terre-Mère, notre Ciel-Père, nos Dieux et Déesses, les esprits de la nature et de nos ancêtres. Nous avons célébré en 2017 les 300 ans de la renaissance druidique. Si notre spiritualité était au début réservée à quelques adeptes, elle est désormais accessible à tous ceux qui le désirent. Les druides ne se cachent pas et les non-druides sont les bienvenus dans ma Clairière. Quelle image publique du druidisme ? J’avais l’impression voici encore une vingtaine d’années que l’on nous prenait pour de joyeux farfelus ! J’ai très nettement la sensation que ça a changé et que nous incarnons une certaine sagesse, probablement pour deux raisons : la première est que les gens nous connaissent mieux, la seconde est que de plus en plus de personnes se trouvent coupées de leurs racines, en décalage avec notre monde trop matérialiste et ont besoin de revenir à des fondamentaux.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Les druides sont les prêtres de la nature. La nature elle-même et les lois du cosmos sont les lois des druides. Ils vivent par elles, ils agissent par elles, ils créent selon ces principes. Je n'aime pas les hiérarchies, ni les idéologies préfabriquées. C'est pourquoi je suis une druidesse des RDG (Reformed druids of Gaia), l'anticonformiste absolue. Ici, vous n'êtes pas élevé pour être un druide selon des règles ou des règlements. Il n'y a qu'une seule règle : la nature est bonne. Oui, la nature est vraiment bonne. Nous construisons le druidisme comme le font les anciens druides … à l'ancienne manière : nous la construisons pendant que nous sommes sur son chemin ! Nous créons une danse d'énergies qui, miraculeusement, dans une harmonie subtile, se maintiennent en équilibre. Nous atténuons les excès, nous unifions les paradoxes, nous intégrons et tirons des informations dans le champ morphogénétique. La plupart des druides mènent une vie assez solitaire. Rares sont ceux qui possèdent un nemeton qu'ils utilisent pour des rituels publics. Le contact avec des non-druides, pendant les cérémonies, est donc plutôt rare. De grands ordres druidiques bien connus organisent des rituels publics. Beaucoup de gens s'y rendent parce que ces ordres sont assez bien connus. Les Reformed druids of Gaia sont plus connus aux États-Unis. Ici, en Europe, presque personne ne les connaît. C'est pourquoi nos rituels se déroulent dans des cercles privés plutôt qu'en public. Quoi qu'il en soit, notre principale caractéristique dans la liturgie est le « partage de l'eau de la vie ». A l'origine, ces rituels étaient assez drôles, car l'eau de la vie était en fait du whisky… Nous rions beaucoup. Nous essayons de ne pas nous prendre trop au sérieux, et c'est l'une des philosophies de base des druides réformés. Je pense que le druidisme, contrairement au paganisme général (sorcières, paganisme germanique, wicca et magie cérémonielle) a une acceptation assez positive. Beaucoup de gens associent les druides à Merlin, Gandalf ou Dumbledore et pas nécessairement au satanisme. Le satanisme ou le culte du diable est, de l'extérieur, plutôt associé malheureusement à ce qui précède.


* Celui du pays de l'Ours : Pour moi, c’est assurément une philosophie et, à ce titre, le druidisme cherche à comprendre le Monde, l’Homme, et leurs rapports, mais avec une sensibilité qui est propre à une terre, celle de l’Europe occidentale. Pour quoi faire ? Pour faire ce pourquoi nous sommes tous nés, à mon avis, être des ouvriers – certains diraient sûrement des « oeuvriers » – au service de l’Univers, de la Vie, ce qui, pour moi, est strictement la même chose, la seule divinité qui me paraît valoir vraiment la peine d’être révérée… Je vis nos cérémonies comme un moyen de régénérer le lien qui m’y relie. L’image publique du druidisme ? Elle me paraît assez pitoyable en vérité… On nous prend pour des guignols… Et il y en a parmi nous qui font d’ailleurs tout pour ça… Je sais, je sais, on va me dire : « Vous en êtes un autre »…

Le druidisme contient-il de sombres secrets, ou merveilleux ? Si oui, pouvez-vous nous en donner un avant-goût ? Et confère-t-il des « pouvoirs », naturels et/ou surnaturels ? Si oui, lesquels ? … Ces questions sont-elles influencées par l'image publique du druidisme ?
* Morgan : Je ne crois pas que le druidisme contienne de sombres secrets. Nous ritualisons sous le Soleil, Œil de Lumière. Merveilleux ? Pourquoi pas, en fonction de la capacité de chacun à s’émerveiller de la beauté du Monde et de la Nature. Il peut conférer un pouvoir de faire rêver ou imaginer des mystères, il peut avoir un aspect romantique. Je pense que beaucoup de gens y placent parfois une charge mythique ou des images d’Épinal au ras des pâquerettes (Panoramix !). Cela ne doit pas nous détourner de la volonté de le défendre et le promouvoir comme un courant de pensée digne, sensé, cohérent, tolérant, humaniste.
* Lugvidion : L’image du druide est toujours, au moins en partie, liée à la magie. Cette dernière est bien maladroitement présentée, sur nos écrans. Loin du sensationnalisme, les modifications les plus importantes qu’elle apporte sont d’ordre intime (« la porte est en-dedans »). Le cheminant en druidisme apprend ainsi à se satisfaire des petits miracles qui se déroulent en son for intérieur et qui, finalement, confèrent en effet à sa présence aux autres, une qualité spéciale.
* Kadith : Je ne crois pas que le druidisme contienne de sombres secrets. Panoramix nous a rendus populaires au plus grand nombre. À nous de rechercher la potion magique, la pierre philosophale, notre Graal (hum, plutôt le chaudron) par l'étude, la méditation et la pratique.
* Druvis ananmatos : Ce qui est secret doit resté secret, sinon, il ne l'est plus, non ?
* Drum : Nous vivons dans un monde à trois plans. La Magie et/ou les Dieux et Déesses nous permettent d'influencer l'Univers.
* Dianann : C’est une question que les nouveaux membres ne me posent jamais, la recherche de la spiritualité est une recherche intérieure, une quête de sagesse et d’harmonie, surtout pas une quête de pouvoir. Notre pratique constante de la méditation et notre lien avec les esprits de la nature et les « Autres-Mondes » nous permettent d’affiner notre sensibilité, de vibrer en harmonie avec le monde. Le druidisme est toutefois une voie initiatique, l’enseignement n’est dévoilé qu’au fur et à mesure de l’apprentissage, nous pratiquons des rites d’initiation et il faut plusieurs années pour être druide. Mais nous ne sommes pas des sorciers au sens où l’on peut l’entendre, car la magie est partout, pour moi enserrer un arbre est un acte magique ! Si nous avons un pouvoir, j’aime à croire que c’est celui de ré-enchanter le monde, en tout humilité.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Comme toute autre initiation, le druidisme est une porte ouverte sur l'inconscient. Il n'y a pas de sombres secrets, et il n'y a pas de connaissance secrète, sauf tout ce qui se trouve en soi, dans son propre inconscient et ADN. Et comme tout autre chemin spirituel, la recherche et la découverte sur ce chemin sont toujours très personnelles, très particulières et très individuelles. On peut dire avec certitude que le druidisme nous connecte avec notre Soi supérieur et intensifie nos sens. Tout le monde en a la possibilité, car tout le monde possède une glande pinéale. C'est la véritable porte d'entrée vers le surnaturel et les autres dimensions de l'existence. Le véritable secret consiste à trouver cet accès individuel à soi-même pour se connecter aux autres dimensions du cosmos et de l’existence.
* Celui du pays de l'Ours : Aucun secret, aucun pouvoir naturel ou surnaturel. Peut-être une capacité, totalement naturelle et à la portée de tout un chacun : celle de savoir encore s’émerveiller en contemplant l’Univers malgré le marasme ambiant… « Ces questions sont-elles influencées par l'image publique du druidisme » dites-vous ? Oui, ces questions me semblent malheureusement influencées par l’image du druide véhiculée de nos jours : magicien, magnétiseur, géobiologue, phytothérapeute, voire coach en développement personnel, etc.… recouvrant tous les fantasmes actuels.

Pourquoi les Français ont-ils tant de mal à se fédérer et/ou faire reconnaître ? Comment sont-ils fédérés et reconnus pour le moment ?
*
Morgan : Je ne peux répondre pour les Français car je n’en connais pas tous les courants. En Bretagne, en ce qui concerne le druidisme breton, il y a la Gorsedd de Bretagne et la Kredenn Geltiek Hollvedel et ses scissions et bien sûr d’autres groupes plus ou moins indépendants. Je pense que dans le druidisme breton, on devrait pouvoir se reconnaître mutuellement. Nous l’avons fait déjà avec certains autour d’une charte qui définit un certain nombre de principes communs fondateurs d’une fraternité possible. Je pense que le druidisme est riche de ses différences et qu’il doit le rester mais dans la tolérance réciproque. Il ne faut pas confondre esprit d’indépendance avec querelle des egos.
* Lugvidion : Dans leur immense majorité, les collèges druidiques sont déclarés comme association de loi 1901. Créer une instance globale pourrait donc consister en la déclaration d’une association d’associations, toujours sous le statut de 1901. Or, en réalité, les druidisants sont à ce jour assez peu nombreux, peut-être un millier, dont environ 200 exercent des responsabilités, au sens associatif du terme, répartis dans toute la France. En imaginant, de façon très schématique, que cela représente en moyenne deux personnes par département, comment faire vivre un bureau associatif dans ces conditions ? Une représentation commune semble difficilement envisageable sans une augmentation préalable significative du nombre des druidisants.
* Kadith : Je crois que c'est très Gaulois. Peut-être est-ce une question d'ego qui est dissimulée sous le masque de la « lignée ». J'en veux pour preuve les créations multiples de nouvelles « lignées » par des personnes désirant enseigner leur propre théorie. Pour moi, être druide, c'est avoir été reconnu comme druide par d'autres véritables druides. La loi de 1901 me permettrait de m’autoproclamer druide et de créer ma propre « église », qui, j'en suis sûr, va finir par avoir de nombreux adeptes prêts a jurer que « je suis – le seul et véritable druide ! »… Heureusement que le ridicule ne tue pas !
* Druvis ananmatos : Je ne m'occupe et ne m'intéresse qu'aux personnes se reconnaissant comme Celtoi. Les Français, soumis et émerveillés, vivant dans la Société actuelle (présentement la République) m'indiffèrent.
* Drum : Aux États-Unis, ADF est une Église à but non-lucratif, complète avec clergé.
* Dianann : Nous ne pratiquons pas de prosélytisme, aujourd’hui ceux qui nous recherchent nous trouvent, preuve en est le nombre croissant de membres dans notre Ordre. Et je pense que c’est très bien ainsi, notre société est habituée à tout recevoir facilement. La recherche spirituelle est une quête du Graal. Il existe de nombreux groupes en France, avec des pratiques parfois différentes, mais toujours un fond commun. Nous nous connaissons, nous nous rencontrons pour certains, nous pouvons ne pas nous apprécier pour d’autres, le druide reste un humain et le Gaulois aime son indépendance ! Fédérer a toujours été compliqué dans tous les domaines, spirituels, politiques ou associatifs nous le voyons bien. Je ne suis pas certaine que créer une fédération des druides de France soit le plus important aujourd’hui.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Là, tu me poses une colle… Je suis Italienne… Non mais, comment se présente le druidisme en Italie ? Se fédère-t-il ? et avec d'autres druidismes (France, Suisse, Autriche, Slovénie, etc.) ?… Il existe des projets valables pour la reconstruction et la fédéralisation de la culture païenne, certains proposés par les ordres druidiques, d'autres par des associations culturelles comme Terra Taurina, d'autres encore par des associations païennes internationales. L'Italie était divisée, dans l'Antiquité, en provinces gauloises et romaines. Tous deux ont eu une grande influence culturelle sur la population païenne de la péninsule italienne. Ceux qui tentent aujourd'hui de reconstituer le passé païen ont donc souvent du mal à trouver des points de rencontres entre les différentes influences culturelles qui sont restées disponibles : les Romains avaient d'autres usages et coutumes que les Étrusques, les Phéniciens ou les Celtes. Dans le Nord de l'Italie, on peut encore sentir quelque chose comme un « esprit celtique » qui résonne dans nos vallées alpines. Malheureusement, l'occupation romaine a effacé de nombreuses traces de la culture celtique, sans parler du christianisme qui a combattu le paganisme au sabre. Il n'y a pas eu de constante culturelle, à l'exception de certaines traditions, légendes et découvertes archéologiques, qui ont été préservées au fil des siècles, comme ce fut le cas dans les îles britanniques. Que pouvons-nous donc faire pour une fédération païenne en Italie ? Pour l'instant, nous sommes tous encore trop occupés à nous attarder sur les différences culturelles et linguistiques, et sur l'importance d'un fil conducteur, que nous n'avons pas encore trouvé. Le druidisme en Italie n'est pas très connu. Il est beaucoup plus fréquent de rencontrer des sorcières wiccanne ou des personnes qui pratiquent la sorcellerie italienne étrusque-romaine. Il existe cependant aussi en Italie des ordres druidiques respectables, bien que moins connus que les ordres internationaux. Le druidisme reste souvent une voie solitaire, et ce, partout dans le monde.
* Celui du pays de l'Ours : Le néo-druidisme, parce que, quoi qu’on en dise, c’est bien de cela qu’il s’agit, en France, comme ailleurs, est en pleine crise d’adolescence. Il est âgé d’à peine plus de 300 ans. Pour une nouvelle philosophie, une nouvelle spiritualité ou une nouvelle religion, c’est encore jeune. Alors on ne peut pas vraiment lui en vouloir de présenter une image si peu crédible. Avant de penser à se fédérer ou à se faire reconnaître, les Français devraient accepter de faire tout d’abord table rase de toutes les vieilles lunes enseignées et transmises depuis trois siècles, de tous les fantasmes et les délires du new age, pour pouvoir enfin réellement entreprendre le chantier de reconstruction de leur mémoire historique, philosophique et spirituelle, en s’intéressant, notamment aux travaux des historiens et des archéologues. À ma connaissance, il n’existe pas de fédération qui soit vraiment digne de ce nom et digne d’être reconnue, et nous ne sommes pas prêts, à mon avis, de voir une quelconque reconnaissance de la part de l’État français.

Que souhaitez-vous dans l'avenir, pour le druidisme ? Comment voyez-vous le druidisme en France, en Europe et dans le Monde ?
* Morgan : On ne peut que lui souhaiter la réussite et surtout la reconnaissance de son sérieux et de la pertinence de son offre spirituelle dans un Monde qui vient encore d’être secoué par une crise sanitaire, laquelle met en relief et en lumière, les incohérences d’un système économique basé sur l’accaparement, par une minorité, des richesses produites et la destruction des ressources naturelles et de l’environnement. Dans le même temps le besoin d’entraide et de fraternité, d’humanité partagée et de générosité a montré que c’étaient ces valeurs qui constituaient la réponse la plus efficace face à ce qui a failli devenir un chaos civilisationnel. L’avenir nous donnera sûrement plus de clarté et de recul sur les choix qui s’offrent à nous. La Gorsedd de Bretagne est européenne depuis sa conception (en 1838) et sa création formelle (en 1899) puisqu’elle est née de la reconnaissance par la Gorsedd de Galles fondée en 1792. C’est un druide reçu à la Gorsedd de Bretagne, Henry Jenner, qui va lancer une société soeur en Cornouailles en 1928. Depuis sont venus se rajouter des implantations en Argentine (Y Wladfa), en Australie, aux États-Unis. Bref ! Oes y byd i’r Orsedd ce qui, en gallois, signifie « la durée du monde à la Gorsedd ».
* Lugvidion : Si, comme dans d’autres traditions, plusieurs mythes appartenant à la matière druidique, revêtent un caractère universel, le druidisme ne saurait être considéré comme un universalisme (nous ne disputerons pas une telle prétention aux monothéismes). C’est la raison pour laquelle je lui considère des limites européennes, conformément à ses origines et à son aire de plus grande expansion, au IIIème siècle avant l’ère chrétienne. À ce niveau donc très modeste (je plaisante), les religions natives, comme les décrit l’European Congress of Ethnic Religions (E.C.E.R., auquel adhère le G.D.G.), ont incontestablement non seulement leur place de plein droit, mais offrent surtout une véritable alternative à ceux que le nihilisme et le matérialisme ambiants ne satisfont pas. Je souhaite que chacun, dans son identité propre (« tous les sages se rejoignent en haut de la même montagne »), renoue avec ses racines spirituelles, dans une société davantage respectueuse des ordres naturels. À cela le druidisme peut, et à mon sens doit, prendre part.
* Kadith : On ne peut que lui souhaiter la réussite et surtout la reconnaissance de son sérieux et de la pertinence de son offre spirituelle. Pourquoi mondial ?… Une boussole est un instrument de navigation constitué d’une aiguille magnétisée qui s’aligne sur le champ magnétique de la Terre. Elle indique ainsi le Nord magnétique, à distinguer du Pôle Nord géographique. La différence de directions est la déclinaison magnétique terrestre. Observé depuis la France en 2016, les deux directions sont sensiblement identiques. Dans l'hémisphère nord, l'extrémité nord de la boussole est donc attirée vers le bas. Pour compenser ce phénomène, l'extrémité sud de l'aiguille de la boussole est légèrement lestée. Quand on utilise une boussole « hémisphère nord » dans l'hémisphère sud, l'extrémité sud de l'aiguille est attirée vers le bas par le champ magnétique, alors qu'elle est déjà pourvue d'un contrepoids. Résultat, la pointe sud de la boussole accroche sur le fond de la cavité dans laquelle elle est logée, et fonctionne beaucoup moins bien. En serait-il de même pour les divinités locales ? Faire du druidisme dans l'hémisphère sud serait une aberration même pour des personnes qui voudraient retrouver leurs origines européennes.
* Druvis ananmatos : Aucun souhait. Ne rien souhaiter, ne rien espérer. Vivre le moment présent. Agir dans ce moment avec les gens présents. Espérer quelque chose signifie que nous serions en manque. Nous sommes des êtres entiers, Nous sommes un Tout. Aucun manque. La Vie pleine et entière en nous. Rien d'autres, rien de plus.
* Drum : Je souhaite que les gens deviennent éveillés au druidisme afin qu'ils puissent choisir leur cheminement, le druidisme est l'un de ces choix.
* Dianann : Notre Ordre est déjà au niveau mondial, il se développe partout. C’est un élan formidable. Je rencontre des personnes extraordinaires, des hommes et des femmes de tous âges et de toutes catégories sociales, empreints de sagesse, et je suis totalement confiante en l’avenir du druidisme.
* Dervonna Rowan Hawthorn : En Europe et dans le monde ? J'aimerais que tous les gens soient païens et plus en contact avec la nature, et que beaucoup d'entre eux soient aussi des druides. Je pense que le paganisme et les religions de la nature seront plus populaires à l'avenir. Les gens commencent à se concentrer sur l'essentiel : vivre la vie au lieu de végéter. Le druidisme n'est qu'une des nombreuses façons…
* Celui du pays de l'Ours : Ce que je lui souhaite, au risque de me répéter, c’est que ses adeptes se mettent réellement et rapidement au travail. Pour l’instant, que ce soit en France ou en Europe, l’avenir du druidisme me paraît bien compromis… Dans le Monde ? Il n’a rien à y faire, sauf à être à sa place en Europe occidentale. Il y a quelques années on a vu émerger un Ordre druidique Mondial, ce qui était quand même du grand n’importe quoi ! Pourquoi irions-nous imposer notre point de vue au Monde entier ?

Une anecdote à raconter dans le milieu ?
* Morgan : Je trouve dommage que des druides dont je tairai le nom, critiquent la tenue, les regalias de la Gorsedd, en proclament l’inauthenticité, ignorant que tout cela a maintenant plus de 120 ans et nous ramène donc à une date où, eux-mêmes en tant que druides, n’existaient pas. Dernièrement d’autres néophytes intransigeants nous ont même contesté le droit d’utiliser les termes de druides, bardes et ovates, constitutifs de nos origines, au motif que nous ne nous reconnaissons pas comme un groupe religieux ! Nous leur souhaitons fraternellement en retour de réussir à s’épanouir pleinement dans leur recherche spirituelle !
* Lugvidion : Simplement ce voeu qui m’apporte toujours le sourire : « à nos Dieux, à nos Déesses… et à ceux qui les honorent ! »
* Kadith : J'ai eu l'occasion de célébrer sur Paris. Les célébrations sont toujours publiques. À la fin d'une d'elles, plusieurs membres de l'assistance sont venus me trouver, se sont signalés comme étant francs-maçons. Ils ont apprécié la cérémonie et m'ont précisé que : je faisais en cinq minutes ce qu'ils mettaient une demi-heure à construire !
* Druvis ananmatos : Le milieu est Sacré. Ce qui s'y passe doit le rester. Aucun lien avec le monde profane.
* Drum : Puisque le feu est essentiel à la pratique druidique, je voudrais dire que nous sommes tous des druides assis autour du feu. Une main sur la Terre et l'autre tendue vers le ciel.
* Dervonna Rowan Hawthorn : « La vie n'est rien d'autre qu'un quiz, et nous n'en sommes que les participants. » – Hape Kerkeling.
* Celui du pays de l'Ours : Aucune qui vaille le coup d’être racontée…

Qu'aimeriez-vous ajouter librement ? Au revoir !
* Morgan : J’adresse mes fraternelles salutations aux frères et soeurs de Bretagne, de France et du Monde entier et je leur souhaite de belles célébrations, de la richesse spirituelle, de l’harmonie, de la sérénité. « Trois choses sont primitivement contemporaines : l’homme, la liberté et la lumière », 22ème Triade inscrite en gallois sur le fourreau de l’épée rituelle de la Gorsedd de Galles. Kenavo !
* Lugvidion : Que nous soient accordés l’émerveillement, la légèreté et la poésie !
* Kadith : Juste une petite phrase à méditer. Vous m’excuserez de ne pas avoir retenu son auteur : « On l'appelait maître, et il méritait parfaitement ce titre, car il était, désormais, incapable d'apprendre ! »
* Druvis ananmatos : Penser que l'humain va changer, se métamorphoser en un être spirituel est pure chimère. Il suffit de regarder l'histoire pour s'apercevoir qu'elle est cyclique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets. Nulle progression, donc. Seule une démarche personnelle peut nous amener vers une compréhension de la Vie. Insinde bivotus leneti (ainsi va la Vie).
* Drum : Contrées, océans et cieux définissent notre monde et notre pratique.
* Dianann : On parle beaucoup de parité en ce moment ! à l’OBOD il y a autant de druidesses que de druides. Les femmes ont souvent été mises de côté dans les grandes religions du livre, ce n’était pas le cas chez les druides antiques. On pense qu’il n’y a des druides qu’en Bretagne, mais il existe des groupes partout et nous n’avons pas forcément une longue barbe blanche ! J’espère que votre article aura suscité de la curiosité et de l’intérêt chez les lecteurs.
* Dervonna Rowan Hawthorn : Merci de m'avoir permis de me joindre à vous. Je me comprends beaucoup mieux maintenant, ah ah ah ah ah (cet adage est encore une fois typique de la RDG).
* Celui du pays de l'Ours : Il faudrait aussi en finir avec cette idée que le néo-druidisme d’aujourd’hui est une construction de la franc-maçonnerie. D’ailleurs, la plupart de ceux qui prétendent cela ne connaissent pas la franc-maçonnerie de l’intérieur. C’est plutôt la franc-maçonnerie qui doit tout à la tradition celto-druidique et à la tradition indo-européenne. C’est du moins mon avis. La franc-maçonnerie, comme le christianisme, est un coucou. Sous prétexte de rassembler ce qui est épars, elle fait son nid dans celui des autres… Mais ceci est une autre histoire… Au revoir et merci de m’avoir donné la parole ici …

PS. Des commentaires à faire, concernant cet entretien, face au panel de réponses données ?
* Druvis ananmatos : Aucun commentaire, chacun étant libre de s'exprimer : ses rêves, ses pensées, ses actions.
* Lugvidion : Beaucoup de belles réflexions étaient données à lire, le plus souvent complémentaires. J’espère que le lecteur en aura apprécié la variété autant que la cohérence d’ensemble.
Les autres ne se sont pas exprimés.

 

TROIS CELTISANTS

Bonjour ! Avez-vous un nom ou surnom celtique ? Lequel ?
* Yann Mab Beltan : Salutations ! On m’appelle généralement Yann Mab Beltan dans ces milieux, mais je suis aussi connu sous le nom de Gottfried Karlssohn côté germanique. J'habite en Bretagne. Yann est un de mes noms. Mab Beltan (Ab-Beldan en orthographe bretonne moderne) signifie « fils du feu de Bel » : c’est sur ce tantad (feu de joie, littéralement « feu-père »), allumé dans la nuit de Kala-Hañv (du 30 avril au 1er mai), que nous avons juré notre fraternité. Ce qui, pour les francophones, s’appelle un « clan » (gouenn en breton, fine en gaélique, uenios en gaulois). Oh, et j’écris sur le journal en ligne Un Tiers Chemin, Ars Traditionis – Arts, Rites et Savoirs Traditionnels.
* Domias Arverne : Bonjour ! Non, je n'ai pas de surnom celtique. Cela dit, une connaissance à des amis, extérieure aux milieux paganisants, m'appelait Celtillos, comme le père de Vercingétorix, parce que j'étais déjà passionné par la période celtique en Auvergne, et lui ne s'y était jamais intéressé avant de me croiser … Et il a adoré le sujet. Sinon je me sers souvent de Domias comme pseudonyme, simplement parce que contrairement à mon prénom, je suis sûr qu'il n'est jamais utilisé. C'est une référence à Mercure Dumias, le dieu tutélaire des Arvernes pendant la période Gallo-Romaine, Domias étant sa forme autochtone supposée.
* Mervis Nocteau : Mervis Nocteau, évolution phonétique reconstituée du celtique lui-même reconstitué, à partir des dictionnaires français-gaulois Savignac et Monard, Meruidos Nuctuallos. Quant à savoir ce que cela signifie ? Les sens qu'on peut y donner dépassèrent mon intention à foison, et je n'en dirai rien. Un hasard quand même : Mervis est réellement un prénom rare américain, inspiré du celtique Marvin. Nocteau fait évidemment, en français, songer à Cocteau, autre hasard de l'évolution phonétique.

Avant tout, qui êtes-vous dans la vie civile ? Comment vivez-vous, habitez-vous et expérimentez-vous votre aventure en tant que citoyen ? Quelle est votre trajectoire ?
* Yann Mab Beltan : Je suis membre de deux nations occupées et colonisées par la République Française : Breton et Volksdeutsch Elsasser (Allemands ethniques d’Alsace). Je milite également pour une citoyenneté européenne, qui est à mes yeux la seule échelle à laquelle une vie politique serait possible sur le continent sans être dans un état de vassalisation à l’égard des États-Unis d’Amérique, de la République Populaire de Chine, ou de la Russie poutinienne. Les penseurs français confondent généralement nationalité et citoyenneté, choses bien différentes, l’une étant ethno-culturelle et l’autre socio-politique… Or je vous vois venir avec vos gros sabots, les anti-nationalistes et les nationalistes français « de gauche » comme « de droite » : je n’ai nulle haine envers les Français, qui sont des voisins et des cousins européens. Je ne leur accorde cependant que la toute dernière place en matière de pensée politique parmi les peuples européens, malgré quelques rares exceptions que la majorité des Français ignore ou abhorre… La Russie soviétique était en bonne place tout en bas du podium ; mais les Russes, qui penchaient à la base davantage vers le socialisme-révolutionnaire agrarien et démocratique que vers le bolchévisme industrialiste et autoritariste, ont eu le bon goût de mettre fin à l’expérience. Ce qu’on attend toujours de la part des Français : il serait à mon avis de bon goût de vous décider entre la monarchie traditionnelle, la démocratie directe, ou la fusion dans un État fédéral européen basé sur le principe de subsidiarité, mais tout plutôt que cette Vème République en putréfaction avancée… Ou alors sans y mêler vos colonies, merci !
* Domias Arverne : Dans la vie civile je ne suis qu'un Français trentenaire parmi tant d'autres. J'ai passé plusieurs diplômes dans des lycées professionnels et depuis quelques années je suis un ouvrier polyvalent travaillant dans une usine de l'agroalimentaire qui fait des produits locaux… D'Auvergne, bien entendu ! J'habite une ville du Puy-de-Dôme avec ma compagne, sans enfants dans l'immédiat. Rien de bien épique, en fait.
* Mervis Nocteau : Homme d'action, formé académiquement et autoformé, en Histoire des idées.

Depuis quand avez-vous une sensibilité païenne ? Comment s'est-elle développée devers votre vie civile ? Qu'a-t-elle changé ?
Yann Mab Beltan : Cela fait une dizaine d’années que « le paganisme » joue un rôle majeur dans mon mode de vie et mon système de valeurs (en fait, la religion ethnique bretonne, Hengoun Breizh, et la religion ethnique allemande, Deutsche Sitte, elles-mêmes faisant respectivement partie des traditions celtiques et germano-scandinaves). Avant cela, j’ai tout naturellement été quasi-biberonné aux contes, légendes, et mythes ; ainsi qu’à un système de valeurs et à une pratique religieuse qui mettaient finalement beaucoup plus l’accent sur l’héritage européen « païen » du catholicisme que sur la secte juive universalisée qu’il était à l’origine. Je ne sépare donc pas ma « vie païenne » de ma « vie civile », ou en tout cas pas plus ma « vie privée » que ma « vie publique » : certaines pratiques ou paroles relèvent naturellement du cadre familial, d’autres du cadre amical, d’autres du cadre professionnel, etc. chaque lieu et chaque moment ayant ses règles propres qui régissent le comportement adapté. Mon système de valeurs, basé sur le Hengoun Breizh et le Deutsche Sitte, me pousse à vouloir préserver, développer et transmettre mon héritage écologique, génétique et culturel. Cela m’amène donc assez logiquement à m’opposer sur de nombreux points à la plupart des idéologies politiques modernes en vogue (pseudo-conservatisme pro-mondialisation, libéralisme libertaire, marxisme et ses dérivés, etc).
* Domias Arverne : J'ai toujours eu une sensibilité spirituelle. Mes parents écoutent beaucoup de musique celtique et médiévale, et ont les t-shirts ainsi que les tentures assortis à ce genre de passion. J'ai toujours vu des entrelacs partout, mais je ne comprenais pas encore pourquoi. J'ai passé ma primaire dans une école catholique où j'assistais au catéchisme, ce que je trouvais ennuyeux quand j'étais gamin. L’Église avait vraiment des difficultés à capter l'attention des jeunes gens, et je crois que c'est encore pire aujourd'hui ! Puis au collège les cours d'Histoire ont commencé à m'intéresser, surtout la partie sur le Moyen-Âge, parce que j'adorais les films de chevaliers comme Excalibur. Sauf que les manuels scolaires étaient très critiques de cette période, ce qui m'a un peu déçu au premier abord. C'est là que ma famille, qui a une bibliothèque bien fournie à la maison, m'a conseillé de lire de vrais livres sur l'histoire de France et de ne pas toujours prendre pour argent comptant ce que racontait l’Éducation Nationale. C'est ce que j'ai fait. Suite à cela, j'étais fasciné par la chevalerie, l'Occident chrétien, les croisades, les empires… J'avais presque la foi ! Alors j'ai commencé à lire la Bible. Et c'était ennuyeux, pas autant que le catéchisme, mais quand même ! Je sentais comme un décalage entre les hauts-faits de la chrétienté, et le message d'amour des Évangiles… En plus ça ne parlait ni de Gaule, ni de France et presque pas d'Europe… Je ne pouvais pas m'identifier à ça. L'Ancien Testament était plus intéressant, mais ce n'était clairement pas la même culture. Bref, je ne me retrouvais pas dans les Saintes Écritures. J'en ai parlé à mes proches, ce à quoi ils m'ont répondu : « Tu sais, le rite chrétien a beaucoup emprunté aux cultures païennes de l'antiquité, c'est pour ça que ça ne correspond pas toujours à ce qui est écrit dans la Bible. » C'était le déclic ! À partir de là, je me suis intéressé aux Celtes et aux Germains. Ce me semblait logique, vu que j'étais un Gaulois qui vivait dans le pays anciennement gouverné par les Francs. Et avec mes faibles connaissances d'adolescent j'ai analysé tout et n'importe quoi dans les traditions, la culture moderne, les jeux vidéos, je cherchais des symboles bizarres dans les églises où j'entrais… Je voulais trouver des trucs païens nordiques partout, même là où il n'y avait rien. Et j'en parlais à mes camarades de scolarité, mes amis… Parfois ça les intéressait, souvent ça les saoulait. Je me suis mis aussi à porter des vêtements qui faisaient « celtique » : maillots, boucles de ceinture, pendentifs… à croix, entrelacs, triskels… Maintenant que je suis un peu plus cultivé j'arrive à faire la part des choses, mais je reste fasciné par toute cette culture ancestrale qui a traversé les siècles jusqu'à nous, et j'en découvre encore. En soi, ça n'a pas beaucoup changé, le passionné de culture médiévale que j'étais a vieilli. Cela je n'ai jamais été pratiquant d'aucune spiritualité… Même si ma perception des choses a probablement changée, mon quotidien n'a pas été bouleversé pour autant.
* Mervis Nocteau : Depuis quand ai-je une sensibilité païenne ? Il faut relayer la sensibilité à l'intellectualité avec moi. Il paraît d'ailleurs qu'elles sont intrinsèquement liées, à condition de ne pas confondre sensibilité avec sensiblerie, sentimentalisme ou sensationnel, ni intellectualité avec érudition, académisme ou informationnel. Vous y êtes ? Bon. À partir de là, il faut savoir que durant le catéchisme catholique que j'ai observé, je méditais et posais les problèmes suivants : 1. Si le dieu est éternel, il pressentait comment l'humanité allait évoluer depuis l'origine. Il accepta donc supérieurement qu'Eve puis Adam transgresseront, prévoyant néanmoins de les condamner au péché originel. Aussi, le dieu n'est pas dépourvu de sadisme envers leur descendance mythique : nous, l'humanité toute entière. 2. Cela continue avec le déluge qui mythiquement décima les humains, opération ratée qui l'oblige à se focaliser sur Abraham, et toute une lignée après lui jusqu'à Mahomet en passant légendairement par Israël + Ismaël, Moïse, puis Jésus. C'est dire que le dieu fut piètre instigateur, ou plutôt qu'il aime instiguer, comme on le lit dans le livre de Job où il fait purement et simplement un pari avec le diable, bouffonnerie que reprirent allègrement les comics, tels que Constantine. Mais bouffonnerie qui n'en est pas moins un sadisme. 3. Pour autant que le dieu nous aime et nous pardonne, il désire surtout mettre en place les conditions d'un piège psychologique, que l'on qualifierait vaguement aujourd'hui de « pervers narcissique », où il est pour nous un tortionnaire caché en même temps qu'un rédempteur à bon compte alors. 4. C'est dire que l'instigateur, c'est lui, j'ai nommé « le serpent » ou « Satan ». 5. Comme telle, c'est une instigation plutôt réussie, puisque plus de la moitié de l'humanité est devenue monothéiste, mais c'est une instigation qui mérite d'être considérée pour ce qu'elle est : « une méchante et bouffonne ruse de Renart ». 6. Le dieu est certainement, a minima, dieu de la ruse. Dans sa version prétendument la plus soft, Jésus, d'ailleurs censé l'incarner une unique fois dans l'Histoire, il fréquente la pègre et les bas-fonds sociétaux : prostituées (Marie-Madeleine), assassins (Judas l'Iscariote), fanatiques (Simon le Zélote), etc. tout en contestant l'autorité traditionnelle des Pharisiens, rendue impotente par le pouvoir romain : si j'avais été Pharisien à l'époque, je l'aurais eue mauvaise comme eux. 7. D'ailleurs, sous l'angle profane il est né de père inconnu, ce qui se disait à l'époque barabbas, « fils du père » (du « père inconnu », « de n'importe quel père »). Or, lors de l'épisode de Ponce Pilate, on prétend que la foule avait le choix de libérer Jésus futur Christ ou Jésus Barabbas. Il est donc probable que cet épisode fut inventé comme la mise en croix (on ne crucifiait pas avant la Pâque juive) pour distinguer un Jésus réel, Barabbas, échouant dans ses promesses de libération territoriale, néo-davidique et anti-romaine... d'un Jésus littéraire (futur Christ) réussissant dans ses promesses de libération spirituelle. Mais 8. d'abord, si son amour et son pardon sont cohérents, il faudrait aimer et pardonner Judas de l'avoir livré aux gardes, ce que ne tolèrent aucune communauté de croyants, et pour cause : on craint les trahisons comme la peste. Enfin, 9. c'était bien le moment de nous libérer légendairement « en Christ » du péché originel, depuis les mythiques Adam et Eve, et pourtant l’Église a perpétué cela comme un dogme, en ne valorisant que des théologies sadiques dites de la Passion du Christ, sans théologies conséquentes de la Résurrection, tout cela étant repoussé ad nauseam à « la fin des temps ». – Bref, il n'y a qu'un chrétien cohérent, et c'est Tertullien, lorsqu'il dit « credo quia absurdum », « je crois parce que c'est absurde ». Et encore, cette phrase elle-même est absurde, puisqu'il n'y a aucun lien démonstratif, ni même bien sémantique, entre la proposition je crois et sa subordonnée parce que c'est absurde, de telle sorte que la cohérence chrétienne de Tertullien s'annule d'elle-même pour absurde. On pourrait là en tirer qu'il est grand le mystère de la foi comme les chrétiens, si ce n'était pas, justement, absurde. Tertullien suscite une mise en abîme pragmatique en linguistique, qui n'a vraisemblablement pour vocation que d'abîmer l'intellectualité et la sensibilité au profit d'une érudite sensiblerie face « au petit Jésus ». Mais souvenons-nous bien que cela avait commencé bien avant Jésus et que cela se poursuivra bien après Mahomet. Je veux dire : la bouffonnerie de la foi monothéiste !… Enfin jusqu'ici, vous me direz qu'il n'y a pas besoin d'être spécialement « païen », pour me suivre. Sinon que les païens, justement, pouvaient se permettre ce genre de pensées, leurs mythes existants en plusieurs versions (surtout orales à l'époque) et leurs dieux n'intervenant pas dans le cosmos comme des étincelles d'absolu prétendu créateur et législateur universel. Au contraire, les dieux païens assument leur mauvaise humeur quand ils en éprouvent, assument de jouer le grand jeu cosmique, eux-mêmes soumis à la destinée et à d'autres principes encore. C'est bien pour cela que les druidistes peuvent si facilement laisser entendre que leurs druidismes sont « écologiques », « panthéistes » et « chamaniques », même quand ça n'aurait pas été l'antique cas, du druidicat institutionnel parmi les Celtes. – Bref, je pense que dans la vie vous n'avez pas trente-six options : vous vous efforcez dans le monothéisme, ou bien vous restez naturellement païens. Le monothéisme, c'est la spiritualité des forçats, et tous les monothéistes sont toujours-déjà païens dans leurs manières d'être, plus ou moins efforcées dans le monothéisme. Ce qui signifie évidemment qu'il n'y a qu'un seul choix, à ce niveau : s'efforcer ou non dans le monothéisme, dans l'absurde sadisme…

Depuis quand êtes-vous celtisant ? Comment cela vous est-il arrivé, avec quel organisme, et qui en particulier ? Qui étiez-vous dans la vie spirituelle pour commencer cette démarche, qu'êtes-vous devenu ensuite, et que devenez-vous ?
* Yann Mab Beltan : Il faut tout d’abord faire un distinguo entre les mouvements néodruidiques et les différentes religions ethniques celtiques. Une clairière néodruidique est une institution moderne (datant du XVIIIe siècle) qui vise à procurer des initiations néodruidiques et à se retrouver entre personnes ayant reçues lesdites initiations, selon un mode de fonctionnement similaire à la franc-maçonnerie. Un « clan » celtique est un groupe de personnes, liées par une fraternité de sang ou par une fraternité jurée, qui pratiquent au quotidien les traditions celtiques, en particulier en matière de rites et d’éthique. Cela se fait sur le modèle des institutions tribales celtiques, qui remontent à l’antiquité et ont continué après la fin de l’institution druidique et par-delà la christianisation. C’est la forme qui est préférée par la majorité des païens celtiques reconstructionnistes aujourd’hui dans le monde, sauf peut-être chez les francophones. Ceux qui optent pour une forme clanique considèrent en général que le titre de « druide » ne peut se porter qu’après vingt années de pratique et d’étude intensives des savoirs druidiques (lesquels sont pour la plupart à reconstituer) comme dans l'antiquité, cette période devant mener à un apprentissage exhaustif, et ce uniquement par voie orale. Conclusion évidente : 99%, si ce n’est 99,99%, si ce n’est la totalité, des gens qui se donnent un tel titre ne remplissent pas ce critère. Pour ce qui me concerne, après dix années de lectures universitaires, de pratique régulière des rites, et d’échanges avec les néodruides francophones les plus pointus comme avec les reconstructionnistes gaéliques les plus sérieux, j’estime que je serais seulement tout juste en mesure de commencer à essayer de reconstituer le fameux corpus, qui serait à apprendre entièrement par coeur par le candidat au rang de druide. Autant dire que ce n’est pas pour tout de suite, et possiblement pas pour notre génération – mais comme les structures claniques ont par essence une vocation transgénérationnelle, ce n’est pas un si gros problème. Notre génération pose les bases d’une communauté fonctionnelle, solidaire, et vivante. La génération suivante structurera cette communauté et verra en émerger des meneurs talentueux, dévoués et bien formés. La génération qui viendra encore après celle-ci aura le terrain prêt pour une éclosion complète et naturelle d’une institution druidique. Celle-ci sera à la fois issue des plus anciennes et plus authentiques traditions, apte à exercer pleinement ses responsabilités dans les défis inouïs de son époque, et dédiée à bâtir un avenir pour les générations futures des siècles à venir.
* Domias Arverne : Je n'ai jamais été vraiment druidisant. Peut-être au début où je m'intéressais à la culture celtique je mélangeais tout : Gaulois, Bretons, druides, néo-druides, Germains, vikings, runes… et au fil de mes lectures je me suis rendu compte que le druidisme authentique n'existait plus, et que la plupart de ceux qui s'en revendiquaient sortaient de loges maçonniques universalistes bizarres… Mais pas grand-chose de druidique en fin de compte, même s'ils essayaient de s'en inspirer. Bien que je vois que certaines personnes honnêtes se sont lancées dans le « reconstructionnisme » et essaient de manière objective et scientifique de comprendre ce qu'était réellement la religion de nos ancêtres. Je ne me revendique donc pas comme druidisant, celtisant me conviendrait mieux. Je serais plutôt un genre d'agnostique, je ne pratique pas de religion mais ça ne veut pas dire que je ne crois en rien. En plus j'ai déjà fait des cérémonies et des bûchers comme le Solstice d’Été avec des amis nordisants, mais pas avec des organismes. Les spiritualités celtiques et gallo-romaines, même tout ce qui est vaguement d'origine indo-européenne me passionnent tellement que si un jour je sautais le pas, ce serait probablement vers ce genre de tradition que je me tournerait. En fait plutôt gallo-romaine, puisque le druidisme n'existe plus et qu'il s'agit d'une tradition orale… et que la plupart de mes connaissances sur le sujet sont issues de bouquins et non de coutumes vivantes. En gros, celtisant mais sans druides et sans tabou de l'écriture, c'est ça que j'appelle gallo-romain. Les cultes gréco-latins en tant que tels m'intéressent moins, mais il est malheureusement compliqué de connaître la spiritualité gauloise en dehors des prismes classiques, chrétiens ou modernistes qui les analysent et les commentent. Quand on gratte un peu le vernis romain de Mercure, Apollon, Minerve, Jupiter… on retrouve souvent Lug, Bélénos, Bélisama, Taranis… on peut dire la même chose de certains saints catholiques, la plus flagrante étant sainte Brigitte d'Irlande. Aussi certaines fêtes ou rites comme Noël, la Chandeleur, Pâques, les Rogations, les Saints-Jean d’Été et d'Hiver, la Toussaint… presque tout le calendrier liturgique occidental est transposable sur celui des anciens païens.
* Mervis Nocteau : Je suis celtisant depuis toujours, avec mon amour du folklore breton, mais aussi mes lectures arthuriennes. Adolescent, je lisais nu couché sur un rocher, lui-même sous un chêne, que tout un hameau de montagne nommait justement le rocher des druides. Et, si avec Celui du Pays de l'Ours qui s'exprime parmi les druidistes ci-dessus, on considère que le druidisme consiste à être dans la démarche de recherche celtisante, alors je ressemble à un druide, bien que je n'aie aucun lignage « assermenté ». Toutefois, j'estime que cette « assermentation » fait une réelle différence, car il y a une filiation symbolique que je n'ai pas. J'honore donc les druidistes et leur reconnais une aura spirituelle, même s'ils peuvent diverger, se disputer voire littéralement faire fausse route et se déshonorer dans leurs démarches, et bien que le druidisme moderne ne soit pas le druidicat antique : trois siècles d'âge pour le druidisme moderne, ce n'est pas rien. – Mais il y a plus : j'habite actuellement la région des Pyrénées atlantiques. Pour moi cela a un sens car ma lignée maternelle vient d'ici, tandis que ma lignée paternelle se perd en Souabe (Allemagne du Sud, Suisse allemande), région des antiques Suèves : un clan à la croisée des mondes celte et germano-scandinave anciens, qui s'installa finalement en Galicie (Espagne du Nord-Ouest) dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, dans un monde alors celtibéro-romain. Ceci concorde avec le fond ibère et celtibère de ce que l'on pourrait nommer la Grande Vasconie, région naturelle entre la Garonne française et l'Ebre espagnol, avec axialement les Pyrénées. – Pourquoi je détaille cela ? Parce que les Celtibères ne sont pas connus pour leurs druides. Il n'y avait pas de druidicat celtibère, mais une dominante guerrière, soumise à la Grande Déesse d'influence ibère et ses devineresses. Ceci, sans compter que les traces de la langue ibère concordent avec les traces du vasconien, et que le vasconien concorde avec le basque qui était parlé dans toute la Grande Vasconie jusque vers l'an mil encore (le basque, donc, est une variété linguistique descendante de variétés de l'ibère). Ainsi, même dans ce que l'on nomme aujourd'hui « reconstructionnisme » celtique, il n'y a pas de place pour le druidisme vasconien. Et pourtant, il est vrai qu'en dehors du reconstructionnisme, il y a bien des Espagnols qui sont druidistes à fonder des ordres néo-druidiques.

Qu'est-ce que le druidisme ? Pour quoi faire, et à quelle fin ? Comment se déploie-t-il spirituellement ? Et comment vivez-vous les cérémonies, ainsi que les adeptes non-druides ? Qu'avez-vous à dire de son image publique ?
* Yann Mab Beltan : Le Hengoun Breizh est essentiellement basé, comme les autres religions ethniques européennes, sur les mythes, les rites, et l’éthique. Les mythes sont une manière d’appréhender le monde qui est complémentaire au raisonnement logique et à la méthode scientifique : ils permettent de transmettre des données symboliques, des valeurs, des codes de compréhension mutuelle plus efficace et plus profonde. Les rites ré-actualisent les mythes et en sont l'expression concrète. Ils forgent les liens collectifs, ancrent les mythes dans la matière et assurent leur transmission. Par la danse, le vêtement, la musique, la parole, l’artisanat rituel, ils sont aussi le lieu de rencontre de tous les aspects artistiques d’une tradition vivante. N’oublions pas que le théâtre est initialement un rite religieux. L’éthique règle au quotidien notre comportement : « honorer les dieux, ne rien faire de mal, s’exercer au courage », disait la maxime druidique citée par Diogène Laërce. Ces trois éléments (mythes, rites, éthique) peuvent, pour ceux qui ont été perdus, se reconstituer par une méthodologie rigoureuse, dite « reconstructionniste », qui se base, dans cet ordre, sur : 1. Les preuves archéologiques. 2. Les sources littéraires (auteurs grecs et romains, mythes irlandais et gallois mis par écrit après la christianisation). 3. Les survivances folkloriques (contes et légendes populaires, coutumes paysannes, catholicisme populaire dont nombre d’éléments ne relèvent pas du christianisme originel). 4. Le comparatisme selon la méthode de Georges Dumézil (qui n’est pas un syncrétisme ou un fourre-tout, mais se base d’abord sur les éléments partagés par plusieurs traditions indo-européennes, donc apparentées aux traditions celtiques : celles encore vivantes étant l’hindouisme et le zoroastrisme ; celles éteintes mais bien documentées étant la religion romaine, la religion grecque, et dans une moindre mesure la religion scandinave). – Aux yeux de la plupart des gens, toutefois, le terme de religion ethnique bretonne (ou celtique) évoque invariablement les mouvements néodruidiques, et leur évoque même généralement les moins proches de l’héritage de nos ancêtres. Nombre d'entre eux se passent littéralement de sources.
* Domias Arverne : Le druidisme, pour moi, est la religion d'une partie des peuples celtes de l'antiquité et du moyen-âge. Une spiritualité vivante dépendante d'un clergé constitué. C'est ce qui organisait les sociétés des temps anciens sur le plan tant moral que social, comme la féodalité dépendra en partie de l’Église quelques siècles plus tard. Sauf que le druidisme était une culture orale dont on a perdu l'essentiel, et que le système socio-politique actuel est différent de celui de l'époque. Ce que certains pratiquent aujourd'hui est du néodruidisme, donc un système qui tente de s'inspirer du druidisme mais qui n'en est pas. De plus il est minoritaire et essaie d'évoluer dans des sociétés occidentales laïcardes, voire athées, où beaucoup de gens ont déjà du mal à comprendre pourquoi il y a encore des personnes croyantes et pratiquantes dans les systèmes monothéistes qui, pourtant, ont encore du poids dans le monde contemporain. Une spiritualité aussi peu représentée que celle des druides passe de fait pour une secte, de surcroît auprès des masses qui revendiquent suivre seulement la rationalité scientifique ou la tradition de leurs parents. La religion est devenue une affaire de foi personnelle. J'ajoute que le peu de personnes qui font des recherches sur les spiritualités celtiques pour leur culture personnelle tombent quasi-systématiquement sur des livres ou des sites bizarres de wicca ou de franc-maçonnerie qui brouillent les pistes.
* Mervis Nocteau : Le druidisme est une notion moderne. Le suffixe *isme avec Druvides (dru-vis, indécidablement « dru » ou « boisé » « connaisseur ») indique donc une mouvance moderne. Cela tombe bien, puisque le druidisme a trois siècles maintenant, issu d'une autoproclamée tradition scote, et de toutes les cultures populaires européennes. J'ajouterai que, je le crois, les figures du gentilhomme et de l'intellectuel français, sont à mon avis des évolutions anthropologiques du statut de druide à travers le christianisme classique puis la société industrielle, ce qui exclue de fait nombre de personnes se revendiquant du druidisme aujourd'hui, il faut l'avouer. Or il n'y a pas aujourd'hui de druidisme, mais des druidismes, puisque la mouvance s'est diffusée diversement par les contrées nord-atlantiques modernes et contemporaines. Avant de se déployer spirituellement, elle se déploie sous-culturellement et parfois associativement. Politiquement, j'aurais tendance à catégoriser les druidismes « à droite », mais paradoxalement une droite non-traditionnelle, puisque ça n'est pas catho-tradi ! Au contraire, c'est quelque chose comme « de Nouvelle Droite », bien qu'enraciné de façon plus archaïque. Néanmoins, j'ai déjà rencontré beaucoup de ce que j'appelle « les gauchistes » dans les druidismes : c'est tout le côté écologisant qui les attire évidemment, et aussi malheureusement des trips new age plus douteux. Ceci étant dit, le respect de l'environnement est aussi important pour une certaine droite, tandis que toutes les traditions évoluent : elles sont étymologiquement trans-duction (tra-dition) à savoir qu'elles font des liens intergénérationnels. Si j'ai bien compris, l'intergénérationnel est normalement aussi de gauche, et le passage d'une génération l'autre implique fatalement des évolutions à rythme humain, ce qui serait de gauche en plus d'autoriser des formes renouvelées… Bref, « nouvelle droite » et « gauche décente » ont beaucoup plus de points communs qu'elles ne s'imaginent, et comme toujours ce ne sont que des étiquettes politiques derrières lesquelles chacun met ce qu'il veut, souvent suivant un caractère plus intellectuel ou plus sentimental. On l'a compris à la longue, ma pratique religieuse est intellectuelle, mais elle détecte la valeur du sentiment, d'autant plus que je viens de la psychologie archétypale. Mais inversement, une sentimentalité sans intellect ne vaudrait rien.

Le druidisme contient-il de sombres secrets, ou merveilleux ? Si oui, pouvez-vous nous en donner un avant-goût ? Et confère-t-il des « pouvoirs », naturels et/ou surnaturels ? Si oui, lesquels ?… Ces questions sont-elles influencées par l'image publique du druidisme ?
* Yann Mab Beltan : Que ce soit en matière de religion ethnique celtique ou de néodruidisme, il y a l’endroit et l’envers du décor. Comme le Hengoun Breizh n’a pas une façade très ornée ni très grande, il y a probablement peu de mauvaises surprises derrière (sauf si on y cherche un doudou spirituel façon new age, auquel cas on s’est trompé de porte et va au-devant de grosses et promptes déceptions). Concernant le néodruidisme, c’est au contraire si on y cherche une religion ethnique celtique basée sur un héritage ancestral qu’on va au-devant de déceptions. Cela dépend toutefois essentiellement des groupes : plus ou moins sains dans leur fonctionnement et leurs membres (comme tous les groupes humains, quels qu’ils soient !), plus ou moins intéressés par le fait de s’approcher de notre héritage ancestral, plus ou moins honnêtes sur l’origine de leurs filiations initiatiques et de leurs pratiques (la légende de la « tradition ininterrompue » a la vie dure, normal puisque c’est vendeur). En matière de « pouvoirs surnaturels », j’ai été témoin de certaines choses qui m’auraient laissé plus que sceptique une heure auparavant. Toutefois, je ne crois pas qu’on puisse les acquérir : soit il s’agit de dons pré-existants qu’on se contente de découvrir, maîtriser et développer, soit il s’agit de bénédictions que nous pouvons recevoir en demeurant en conformité avec l’ordre du cosmos, que nos mythes disent avoir été façonnés par les dieux. Quoi qu’il en soit, cela reste essentiellement secondaire, car le superpouvoir dont je suis le plus satisfait reste celui de dédier ma volonté à m’approcher autant qu’il est possible du comportement d’un homme digne de ce nom : fidèle à sa parole, solidaire envers les siens, courtois avec les inconnus, attentif à sa terre. Ce qui est beaucoup dans l’Europe de notre temps.
* Domias Arverne : Le druidisme antique a certainement eu des secrets formidables, malheureusement ils ne nous sont pas parvenus. Peut-être ont-ils influencé les sciences de l'époque, comme les pythagoriciens avec lesquels ils ont eu des échanges, peut-être même que certaines nous sont parvenues mais nous ne savons pas qu'elles viennent d'eux. Ne connaissant pas de druides ou néodruides, je ne saurais dire s'ils revendiquent posséder des pouvoirs, mais ayant croisé de vrais rebouteux et autres personnes avec des dons de guérisons diverses, des gens se revendiquant médiums ou sentant le pouvoir des pierres dans une forme avancée de lithotérapie… et j'en oublie certainement… je ne serais pas surpris que certains aient des compétences surnaturelles, ou au moins prétendent en avoir. Vivant dans une petite ville proche de la périphérie, il n'est pas rare de discuter avec des gens qui connaissent des guérisseurs, et il peut arriver que le sujet du druidisme soit évoqué dans des phrases du genre : « C'est sûrement comme ça que faisaient les druides et les sorcières avant la médecine moderne. » Mais le lien avec les néodruides contemporains n'est jamais fait, je ne saurais donc affirmer que toute cette thématique ait une influence sur l'image publique du druidisme contemporain.
* Mervis Nocteau : Oui, les druidismes contiennent de sombres et merveilleux secrets, et disons plus généralement : le celtisme. Du moment que vous vous lancez dans la quête spirituelle sérieusement, comme dans toute démarche spirituelle, il se fait qu'adviennent des forces qui vous dépassent. Mais quel impact cela a-t-il, au-delà du psychologique et de l'abandon de quelques sacrifices à la nature ? Comme je le disais tout à l'heure, la spiritualité, c'est nos corps qui s'associent pour la pratiquer. L'impact est cultuRel, sur une base cultu-elle. Mais si vous ôtez le culte à une culture, il ne vous en reste plus grand-chose en vérité, en dehors du divertissement et heureusement de l'art talentueux, à condition de le cultiver !… Le culte, que vous ayez l'esprit religieux ou pas, est le coeur vivant d'une culture. Pour moi c'est indéniable. La dimension religieuse motive à aller au-delà, toujours, et ce n'est pas qu'un jeu de mot. L'ancien druidicat ou Druvidiacto – tout comme les meilleurs clercs contemporains, toutes religions confondues, il faut leur laisser cela – cherche à ce que « l'évenance des choses » ait du sens. Peu importe comment vous la nommez ou la qualifiez, l'existence n'est pas quelque chose que l'on peut fragmenter, compartimenter, spécialiser et industrialiser sans rien faire au-delà.

Pourquoi les Français ont-ils tant de mal à se fédérer et/ou faire reconnaître ? Comment sont-ils fédérés et reconnus pour le moment ?
* Yann Mab Beltan : Le néodruidisme ayant par nature vocation à être un éparpillement des lignées et loges-clairières semi-secrètes, en petit comité, et excluant les profanes, il est logique qu’il ne donne pas lieu à une reconnaissance ou à une fédération. Sauf à compter en son sein une part importante des classes dirigeantes, place déjà occupée par d’autres groupements que le néodruidisme. La religion ethnique celtique est très peu développée en Bretagne et en France, en bonne partie parce que le terrain médiatique est essentiellement occupé par le néodruidisme. Il faut aussi ajouter à tout cela que le mode de pensée franco-républicain relègue le sacré dans la sphère privée, voire individuelle ; et que la loi Le Chapelier interdisant les associations de toutes sortes n’est pas morte dans les esprits. La seule forme de groupement qui vaille, c’est le parti politique pour prendre le contrôle de l’État. Le reste, les associations et groupements de toutes sortes, sont soit : 1. Dans les marges, avec peu de membres, de moyens et d’impact, servant essentiellement à procurer une socialité de substitution quand le cercle familial ou amical n’y suffit pas. 2. Des courroies de transmission officieuses du parti au pouvoir dans la collectivité locale ou l’État, vivant généralement de subventions directes ou indirectes.
* Domias Arverne : Ce n'est pas propre aux païens ni aux néodruides, je crois que les Français en règle générale ont du mal à se fédérer, que ce soit au niveau religieux mais aussi syndical, politique, social… Nous avons un gros problème d'ego dans ce pays, et ça nous empêche de nous réunir pour quoi que ce soit. Chacun aime avoir son petit avis sur tout, sa petite originalité et surtout nous aimons tous avoir raison, contre vents et marées. Et le druidisme contemporain n'échappe pas à la règle, rien qu'en observant les échanges sur les forums en ligne ou en voyant le peu de reportages dédiés à la télévision, on se rend compte qu'ils ont chacun leur doctrine personnelle, leur propre interprétation de la spiritualité qui devrait les rassembler. C'est, à mon avis, pour cette raison qu'ils ne dépassent pas vraiment le stade de sectes ou de groupuscules. Pourtant il y a bien des assemblées qui essayent de se rapprocher pour travailler ensemble, mais je n'ai pas l'impression qu'ils arrivent à créer de grosses communautés. De même, il n'y a pas de reconnaissance officielle de la part de l’État ni de quiconque de ces groupes. Cela contribue certainement à ce qu'ils soient méconnus du grand public. Paradoxalement, je trouve que ce n'est pas plus mal… L'administration française et européenne a trop tendance à fourrer son nez partout pour mettre des réglementations débiles, ce qui arrivera certainement à ces groupes si elle les reconnaît officiellement. Et puis le peu de chrétiens restants seraient trop occupés à chercher à les faire dissoudre. C'est d'autant plus idiot que jusqu'à présent ce ne sont pas les néodruides qui les attaquent dans leurs églises, mais bref…
* Mervis Nocteau : Pour le moment existe doucement, la Clairière du Conseil druidique Continental, mais on est loin du Druid Network anglosaxon et évidemment de la reconnaissance étatique dont dispose le druidisme en Grande Bretagne ou en Espagne. Pourquoi les Français ont-ils du mal à se fédérer et se faire reconnaître ? Je ne vois qu'une seule raison à cela : ils n'en ont pas la volonté, et doivent d'ailleurs être travaillés par des motions très franco-françaises, d'une part à la cryptocratie (le pouvoir caché des cénacles) et d'autre part à l'autocratie (le pouvoir centralisé des gestions). Finalement, cela fait très ecclésiastique... car, en plus du gentilhomme et de l'intellectuel français, le clerc demeure prégnant dans l'imaginaire social, théocratique (le pouvoir divin des prêcheurs), et des druidismes revendiquent leur christianisme, au moins sur la présomption que d'antiques survivances druidiques auraient infiltré et suberti le clergé, en devenant elles-mêmes clercs. Espagnols et Anglo-Saxons ont conservé des cultures plus naturelles et dynamiques sur leurs territoires historiques : la France s'évertue à les détruire administrativement, ce qui reste une forme de dogmatisme dit républicain.

Que souhaitez-vous dans l'avenir, pour le druidisme ? Comment voyez-vous le druidisme en France, en Europe et dans le Monde ?
* Yann Mab Beltan : Je souhaite en premier lieu que mes enfants fassent vivre le Hengoun Breizh. J’essaye aussi, dans la mesure du possible, de favoriser le développement d’autres « clans » que le mien, et de manière plus générale les religions ethniques européennes. Le Congrès Européen des Religions Ethniques (European Congress of Ethnic Religions, ou ECER) donne l’exemple de religions ethniques ayant réussi à se développer et à se doter d’une structure adaptée aux enjeux de notre époque : les exemples les plus réussis sont la Romuva en Lituanie, l’YSEE (Conseil Suprême des Hellènes Païens) en Grèce, le Forn Sidr Danmark, etc.
* Domias Arverne : J'espère que dans un avenir plus ou moins lointain, les historiens et les reconstructionnistes en sauront beaucoup plus sur ce qu'était le druidisme antique, et que cela mette les néodruides définitivement d'accord sur un projet commun, un peu comme le rassemblement dans le forêt des Carnutes que décrivait César dans la Guerre des Gaules. Mais dans un futur proche je ne vois pas de perspectives, il y a trop peu de païens et encore moins de celtisants, de plus la plupart sont dans la pratique plus ou moins groupusculaire voire individuelle. Personnellement je ne vois pas l'intérêt d'avoir une espèce de clergé, pas dans l'immédiat en tous cas. Quand il y aura plus de personnes intéressées par les cultes celtes et qu'ils auront envie d'avancer en tant que communauté soudée, là ils auront probablement besoin de personnes calées sur la question qui puissent les aiguiller sur un chemin à prendre. Peut-être que dans ces conditions, une forme de druidisme constitué pourrait naître. Mais quand ? Je ne sais pas. Les Occidentaux d'aujourd'hui ne sont pas très portés sur la religion, et quand ils le sont c'est souvent plus par tradition qu'autre chose, ce qui est déjà mieux que rien. En attendant, ce que je souhaite c'est que l'on en apprenne toujours plus sur les anciennes traditions, que l'on continue de pratiquer celles qui nous sont parvenues (Toussaint, Chandeleur, etc), et que chacun continue à faire ses propres recherches sur la question, histoire de ne pas se faire mener en bateau par les pseudo-druides francs-macs ou wiccans universalistes. Tous ces nouveaux celtes cultivés finiront naturellement par se réunir d'eux-mêmes.
* Mervis Nocteau : Je souhaite que les druidismes, surtout les plus farfelus évidemment, s'alignent sur les connaissances et présomptions scientifiques en Histoire. Qu'ils soient celtes, juste celtes. Enfin c'est comme toujours : des connaisseurs n'ont pas le statut, et des statutaires n'ont pas la connaissance... qui est le plus druide des deux ?

Une anecdote à raconter dans le milieu ?
* Yann Mab Beltan : J’ai une anecdote sur moi. Quand je tue un animal élevé dignement à la ferme dans le but de le consommer, je le sacrifie selon ma religion ethnique et de manière à minimiser ses souffrances. Vous avez le droit de me traiter de monstre si vous êtes végétaliens ; mais je préfère vous prévenir que j’ai des arguments scientifiques assez piquants sur l’impact environnemental et social du mode de vie végétalien occidental.
* Domias Arverne : Oui, pas très épique mais symptomatique du néopaganisme ! Des amis avaient organisé une petite randonnée en forêt suivie d'une petite cérémonie. L'un d'entre eux avait été choisi pour être en quelques sortes le prêtre ou maître du culte, je ne sais pas comment on pourrait dire. En effet c'était un nordisant très cultivé sur la mythologie viking et qui semblait prendre le polythéisme indo-européen très au sérieux. C'était la personne qui semblait idéale, même s'il ne s'agissait que d'une petite vénération sans prétention. La cérémonie était de bonne foi, pourtant il y avait un petit côté caricatural que je n'étais pas le seul à ressentir, avec consécration d'une massette devant faire office de Mjollnir, sermon sur la société moderne à la façon d'un pasteur luthérien, libation et partage d'une corne à boire. C'était bizarre. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais une personne extérieure se serait probablement moquée. Plus tard, ces amis m'ont raconté que le gars en question en faisait des tonnes en racontant partout à qui voulait l'entendre que c'était le prêtre officiel du groupe… Aujourd'hui ils en rient mais sur le moment cela provoquait plutôt le malaise général.
* Mervis Nocteau : Une maxime récurrente de divers druidistes impliqués dans le milieu et tenant à rester impliqués dans ce milieu, est la suivante : « C'est un nid de vipères, un panier de crabes. » Vraiment, ce propos est souvent ressorti entre mes contacts. Or, je crois que c'est parfaitement normal, et qu'il faut arrêter de pleurnicher à ce propos. Vous voulez savoir pourquoi c'est normal ? Eh bien tout simplement parce que, dans l'ordre spirituel, on a toujours affaire à ce qu'Alejandro Jodorowsky nomme la tricherie sacrée. C'est cela, la sainteté. Vivez plusieurs semaines parmi des moines chrétiens, ou participez à des séminaires rabbiniques ou imamiques : vous finirez par vous sentir dans un squat théologique, en présence de clochards célestes, traitant les uns avec les autres comme de vraies pestes. Les voies du Seigneur sont impénétrables... Cette phrase aussi, est une tricherie sacrée.

Qu'aimeriez-vous ajouter librement ? Au revoir !
* Yann Mab Beltan : Si vous êtes curieux à propos des religions ethniques celtiques, vous pouvez vous abonner à la page Facebook Polythéisme Celtique.
* Domias Arverne : Je rajoute volontiers qu'à mon sens, le meilleur moyen de mettre en avant nos cultures ancestrales n'est pas de parler de paganisme ou autres à des gens qui ne s'y intéressent pas. Cela n'évoque malheureusement pas grand chose à nos compatriotes. Mais lisez bien les statistiques, l'écrasante majorité des Français fêtent Noël, la Galette des Rois, la Chandeleur, Pâques, la Saint-Jean d’Été, Halloween… et j'en oublie. Or tous ces gens pensent à Jésus dans la crèche ou aux cloches de Rome, beaucoup n'y croient pas mais le font parce que c'est la tradition et que ça permet de se voir en famille. C'est plutôt là-dessus qu'il faut lancer les conversations. Quand un athée durant le Réveillon dit : « Quand je pense qu'on fête Jésus qui n'existe pas ! », il ne faut pas hésiter à lui rappeler que les anciens fêtaient Jul, les Saturnales, la naissance de Mithra… Cela pourrait lancer une conversation intéressante autour de la table et chacun y apprendrait alors quelque chose sur nos racines. Le but n'est pas de jouer l'intello de service, mais de rappeler que beaucoup de nos anciennes coutumes ne sont pas mortes et qu'au contraire elles ont évolué en même temps que nous. Quand on a affaire à une personne extérieure aux traditions païennes, il est plus pertinent pour elle de comprendre qu'elle les pratique aujourd'hui sans le savoir, plutôt que d'essayer de la faire adhérer à un système spirituel dont le clergé n'existe plus depuis environ 2000 ans. Ce n'est que mon opinion, mais je crois fermement que la priorité est de préserver le peu de traditions qu'il nous reste, et dans un second temps, pourquoi pas, réhabiliter d'autres qui ne sont plus réellement pratiquées, avant qu'elles ne tombent définitivement dans l'oubli.
* Mervis Nocteau : Merci aux protagonistes de cet entretien-fleuve, et navré pour tout (contretemps, desiderata, erreurs, etc.). Voici enfin la version définitive.


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