Les racines historiques de notre crise écologique

par Orélien Péréol
vendredi 2 septembre 2022

Les racines historiques de notre crise écologique de Lynn White Jr, 1967, édition établie et commentée par Dominique Bourg. PUF

En ce qui concerne l’état de la planète, l’humanité n’a pas manqué de savoir. La science consiste à se conformer et même à se soumettre à ce qui est vraiment. Les pratiques scientifiques ont consisté en grande partie à tout noter, à tout mesurer, à établir des listes de chiffres, à voir les régularités de ces suites… etc. La congruence avec le réel était et est toujours le but et le moyen de la science. Si cette congruence est annoncée avant qu’elle paraisse (annoncée et non-prédite), on est particulièrement sûrs de faire de la science, c’est-à-dire de bien parler de ce qui est.

De ce fait, la dégradation de la Terre qui résultait de nos ponctions perpétuelles était annoncée. Il n’y avait pas besoin d’être un grand savant. Si on puise dans un stock, aussi vaste soit-il, on parvient fatalement à son épuisement (épuisement est de la famille de puiser).

Les annonciateurs de la fin des ressources que donne la Terre ont été nombreux et n’ont pas été cru. Les croire impliquait des décisions de modération trop difficiles à prendre collectivement. Cette raison suffit à ce que l’humanité croie qu’elle trouvera la solution de ce problème comme elle trouve la solution à tant d’autres.

Parmi des « prophètes », Lynn White. Américain, historien médiéviste, spécialiste de l’histoire des techniques, Lynn White a prononcé une conférence le 26 décembre 1966 à Washington, conférence publiée dans la revue Science, en mars 1967.

Dominique Bourg, qui œuvre depuis longtemps dans le champ de l’écologie pratique, politique, éditoriale, universitaire… en a organisé une édition commentée et critiquée.

 

Lynn White établit que le christianisme (ou un certain christianisme) a coupé l’humanité de la nature. Il semble que l’encyclique « Laudato si » (2015) du pape François constitue une réponse à cette accusation (sans que Lynn White ne soit nommé). Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre, et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » Trois principales interprétations sont possibles :

La première est dite « despotique » qui a gagné de plus en plus depuis les Moyen-Âge et totalement dans l’époque moderne. Nous la comprenons sans grandes explications.

Une autre est dite « de l’intendance » : la création et les créatures ont une valeur intrinsèque. Dieu vit qu’elles étaient bonnes avant de créer les humains. L’homme est placé dans un jardin, il doit être jardinier : le jardinier aide la terre à donner plus d’une manière responsable, il l’exploite certes, mais il en prend soin aussi.

La dernière interprétation est dite « citoyenne » : Adam signifie « terre », « glaise », du même tissu que les autres. Tous les êtres naturels, provenant d’un unique Créateur, sont frères et sœurs. La seule différence importante est celle entre Créateur et créatures. C’est François d’Assise qui portera le plus loin et le plus fortement cette interprétation.

Pour Lynn White, l’Occident qui porte les techniques était en avance sur toutes les autres parties de la Terre bien avant, du fait de cette interprétation despotique du christianisme, « la religion la plus anthropocentrique que le monde a connu. » La science qui était aristocratique, la technique étant socialement inférieure, ont fusionné au milieu de XIXème siècle, de manière « tout à fait soudaine », dans une idée démocratique qui, « réduisant les barrières sociales, ont conduit à affirmer une unité fonctionnelle du cerveau et de la main. »

« Que devrions-nous faire ? Tant que nous ne réfléchissons pas aux fondements, nos mesures spécifiques peuvent produire de nouvelles répercussions plus graves encore que celles auxquelles elles sont censées remédier. »

 

Discussion : L’idée de crise me paraît préjudiciable à la compréhension des phénomènes humains. Nous ne quittons pas un état stable pour en trouver un autre au terme d’un passage, d’un couloir chahuté.

D’autre part, l’état de la planète ne dépend pas de nos états d’esprit. On lit partout des demandes de « repenser » ceci-cela, « repenser » notre rapport à la nature, notre rapport au monde, de « repenser » la démocratie… Or toutes ces choses, qui font notre vie, ne sortent pas de « pensées ». Il y a de la pensée dedans, cependant la pensée ne les a pas créées et on ne saurait les modifier seulement par de la pensée. Une pensée « nouvelle » ne saurait être correctrice des pensées anciennes qui nous donnent ce que nous avons, de telle sorte que nous obtiendrions d’autres choses, meilleures.

Pour la part dans laquelle l’état des esprits joue un rôle et dans laquelle un changement d’état d’esprit pourrait jouer un rôle, ces changements souhaitables ne peuvent se faire par le discours et la pédagogie ; les discours, les livres, les conférences, les interviews… agissent, on peut compter sur eux… à la marge.


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