La paix selon monsieur Ancel, une solution ?

par Jules Seyes
lundi 6 mai 2024

Monsieur Ancel a une fois de plus livré une de ses analyses. Si les mots sont brillants, les raisonnements paraissent impeccables, l’analyse précise révèle de graves divergences. Ces points ont toute leur place dans le débat, j’ai donc répondu sur Twitter, en voici une version mise au propre.

Son article.
La Russie de Poutine doit perdre pour que le monde retrouve la paix - MENA Reseach Center (mena-researchcenter.org)

Ma réponse originale
(16) Jules Seyes on X : "@guillaume_ancel @MENA_RC Et si vous envisagiez qu'au contraire, nous devrions faire la paix ? Négocier un accords avec les russes, une neutralité bienveillante qui permette de staibiliser le monde et de traiter les litiges par la diplomatie et non par les armes ? Peut-être alors pourrions-nous limiter" / X (twitter.com)

 

Je vous liste mes objections : Vous reconnaissez que le bombardement de l'ambassade est une initiative israélienne que vous qualifiez d'erreur (Admettons) mais deux paragraphes plus loin, vous annoncez : Poutine voulait l'escalade. Amusant, il avait convaincu l'état-major israélien de frapper un consulat ? Votre position se contredit. Ensuite en octobre la ligne de Zaporizhzhia était sur le point de craquer ? Factuellement, les Ukrainiens n'avaient qu'à peine égratigné la première ligne. Il y en avait plusieurs derrière et les Russes pouvaient lâcher du terrain Donc factuellement votre affirmation sur le front prêt à se renverser en faveur des Ukrainiens s’avère plus que douteuse. On a plutôt le sentiment d’une volonté d’instrumentaliser l'offensive du Hamas pour éviter de reconnaître l'échec ukrainien. Sur l'analyse du Hamas, vous l’affirmez techniquement incapable de mener une telle attaque sans une aide importante, notamment sur l’aspect informatique et cyber. Mais l'action du Hamas a justement trompé les Israéliens par l'absence de coordination cyber au profit d'un contrôle à l'ancienne qui a d'ailleurs peut-être conduit à certains débordements lors des opérations1 où les soldats n'étaient pas toujours bien contrôlés. Quant à votre enthousiasme sur l'aide américaine, là encore, nombre d'observateurs pointent plus les manques et un ciblage vers les industries US qu’un impact réel sur les opérations. Enthousiasme ?

On retrouve le même sur l'aide européenne. Certes, la production augmente, mais elle part de si bas, qu'elle demeure insuffisante pour inverser les rapports de feux. Autant, je vous trouve calme sur le conflit au moyen orient, en ligne avec la volonté de désescalade US, autant je trouve votre affirmation : "La question de l'entrée en guerre contre la Russie se posera forcément." assez osée. Pourquoi ? Si nous cessons de laisser Baltes et Polonais, les Russes n'ont aucune raison de venir saisir ces territoires. Bien sûr, peut-être Vladimir Poutine rêve-t-il de reprendre à Madame Von der Leyen le privilège de payer des aides à la Pologne et aux Baltes ? (Je suis ironique, mais je vous ferais remarquer que du temps du COMECON, l'URSS aidait déjà la Pologne...)

Au passage, pourquoi décrivez-vous le mamba comme une copie du Patriote ? C'est un système de même classe, mais conçu avec sa propre logique et fruit d'un développement indépendant. On pourrait croire que vous voulez générer chez le lecteur un sentiment d'infériorité, voire de dépendance envers les USA. Ensuite, vous écrivez avec votre "neutralité" habituelle que les Russes ciblent systématiquement des cibles civiles. Pourtant, nous avons vu nombre de dépôts d'armes, des QG du SBU sauter, pas vraiment des cibles civiles Quant aux réseaux électriques en raison de l'usage industriel de l'électricité et son rôle dans les transports, c'est là encore considéré à ma connaissance comme une cible légitime. Après tout, les USA ont frappé le réseau électrique de la Serbie sans que personne ne s'indigne. Je passe sur votre dénigrement des bombes lourdes russes qui s'éparpilleraient. Je suis pourtant surpris de la corrélation constatée entre le début de leur engagement et une progression sensiblement plus rapide des Russes sur le front. Quant aux ATACMS qui doivent tout changer, je ne voudrais pas doucher vos espoirs, mais les Ukrainiens disposent depuis des mois de missiles SCALP qui devaient avoir exactement cet effet, force est de constater qu'ils n'ont pas suffi. Bien sûr peut-être les Américains livreront-ils davantage, mais votre enthousiasme me semble prématuré en l'état des informations du débat public.

Passons et évaluons vos analyses politiques. Je veux bien confirmer votre analyse sur les budgets militaires, mais pourrais-je vous faire remarquer un détail ? L'armée russe avant-guerre recevait un budget de 60mds par an. Le budget français était de 40milliards. Pourtant, l'armée russe mettait en ligne une force d'une taille bien supérieure à la nôtre. Alors, aller chercher dans l'Union une protection est-il la bonne solution ? Oserais-je vous rappeler la phrase de Foch : Depuis que je sais ce qu’est une coalition, j’admire beaucoup moins Napoléon ! Une large partie des difficultés de l'aide occidentale à l'Ukraine vient très exactement du patchwork de matériels causé par la coalition. Votre conclusion politique me semble très osée et si j'osais, j'inviterais les hommes en uniforme à surtout s'interroger sur nos allocations d'armement et nos responsables gouvernementaux à s'interroger sur notre désindustrialisation globale. Avant d'aliéner notre souveraineté pour poursuivre avec plus de fonds un modèle qui a failli face à l'armée russe, peut-être conviendrait-il de changer de logique2. (La faillite de l'armement occidental - AgoraVox le média citoyen)

Là encore, on notera la corrélation de vos positions avec les intérêts de l'UE et des néo conservateurs aux USA. Toujours en termes de politique, la question est intéressante : la Russie a commencé à remettre en question l’ordre mondial existant. L'analyse pose comme prémisse que c'est la Russie qui déstabilise. Votre réponse cautionne cette prémisse puisque vous parlez d'entreprise de déstabilisation. Permettez-moi de contredire celle-ci : L'ordre mondial est bancal car les occidentaux, sur de leur droit divin à le commander ont refusé de prendre en compte l'évolution des facteurs fondamentaux. Population et industrie sont désormais bien plus répartis qu'au milieu du siècle précédent et donc ce qui était accepté au nom du réalisme est désormais devenu une insupportable tyrannie pour nombre de pays. La Russie ne déstabilise pas, elle constate que le roi est nu !

Cela change drastiquement les conclusions. Gagner ou perdre la guerre en Ukraine ne changera pas cette perte d'influence séculaire, mais en retardera le constat d'une décennie tout au plus. Vous me permettrez donc de ne pas partager votre obsession sur Poutine, mais au contraire de me tourner de préférence vers nos facteurs internes : Financiarisation vieillissement, perte de santé des populations et bien sûr désindustrialisation. Je ne parle pas de notre incapacité à investir massivement en R&D, nos problèmes d'éducation et de services publics. Que Poutine reste au pouvoir ou pas, ces problèmes continueront à peser sur nous. Je vous passe les zombies dans les rues grâces aux opioïdes qui, peu importe le sort de Poutine, continueront à miner nos sociétés. Peut-être cette lacune dans votre analyse explique-t-elle pourquoi vous êtes convaincu que les Russes accepteraient des pertes considérables. Oserais-je vous avouer mes doutes ? Le gouvernement russe semble répugner à mobiliser et à imposer des mesures coercitives. L'armée russe repose donc sur les engagements volontaires. Comment assurerait-elle ce flux si elle subissait les pertes dont vous semblez convaincu ?

Cette logique aurait dû invalider l'argument des lourdes pertes russes que l'on nous sert depuis le début du conflit. Force est de constater qu'au contraire, leurs forces multiplient les appuis, et les axes offensifs, donc semblent disposer d'effectifs croissants.

Comme vous le comprenez, nos analyses divergent, pour vous, il faut plus d'armes pour faire gagner l’Ukraine face à une Russie exsangue. Or, force est de constater que les signaux économiques indiquent que si la Russie va devoir gérer ses problèmes démographiques nés des années 90, elle semble détruire les armes occidentales sans trop de pertes. Surtout, elle ébranle cet ordre, vous avez raison de mentionner la valeur d'exemple pour les autres pays, mais n'a-t-elle pas déjà gagné ? Les armes occidentales ont failli, nos faiblesses sociales ont été mises à nu et le reste du monde nous regarde désormais avec mépris et haine. D'où l'importance de réfuter votre narratif, car si elle était possible une victoire en Ukraine aggraverait la pente négative de nos sociétés et accumulerait encore davantage de ressentiment. Et si vous envisagiez qu'au contraire, nous devrions faire la paix ? Négocier un accord avec les Russes, une neutralité bienveillante qui permette de stabiliser le monde et de traiter les litiges par la diplomatie et non par les armes ? Peut-être alors pourrions-nous limiter les dégâts et les conséquences de notre déclassement pour nous !

 

1Impossible de s’éviter de comparer l’action du Hamas le 7 Octobre et le manque de contrôle des stosstruppen lors de l’offensive d’Avril des Allemands en 1918. Les unités d’infanterie légéres envoyées avec un contrôle faible derriére une ligne fortifiée sont livrées à elles même. Cela conduit à des débordements. Sans disculper, cela peut expliquer la situation.

2Les hommes déplorent les effets dot ils chérissent les causes, mais notre incapacité à nous remettre en cause doit un jour être mise en lien avec la désastreuse situation de l’occident en Ukraine. Tous ces mauvais choix auraient pu être évités. Si ! (Si nous avions réfléchi au lieu de mépriser les autres bien sûr !


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