Le cercle des lecteurs bienveillants …

par C’est Nabum
vendredi 21 octobre 2022

 

À la rencontre d'un écrit vain.

 

Ils étaient seize ce soir-là à s'être donné rendez-vous dans le salon de l'une de leurs membres afin de rencontrer un personnage qui leur avait permis de passer un agréable moment de lecture. Ils avaient à la main cet ouvrage pourtant introuvable, que nulle librairie de la Métropole n'entend vendre tandis que las de ne rencontrer qu'indifférence et mépris, son auteur a renoncé à se charger de sa diffusion.

C'est tout naturellement en premier lieu, l'homme aux écrits vains qui les interrogea sur cette incongruité à ses yeux : « Mais comment avez-vous pu vous le procurer ? » Situation ubuesque, un livre qui pourtant les a tous réjouis, impose un jeu de piste sur la toile afin de parvenir à se le procurer. L'anathème porté sur l'autoédition de ce milieu hors sol qui pourtant fait la part belle à des ouvrages qui ne sont pas écrits par la célébrité affichée sur la jaquette est véritablement insupportable.

Puis ce fut l'écriveur compulsif qui passa sous le feu de questions argumentées par des multiples prises de note. Certains lecteurs avaient devant eux quelques feuillets couverts de notes, de remarques, de questions. Chaque détail du récit, chaque référence locale, chaque personnage passaient au crible d'une curiosité gourmande, d'un désir de comprendre ce roman à clef.

Il y avait de la jubilation lorsque le voile se levait sur une anecdote qu'ils avaient bien subodorée sans oser se la formuler vraiment. Il y avait tout autant de la surprise à comprendre jusqu'où celui qui est face à eux à pousser l'ironie, la moquerie, la perfidie pour évoquer la vie de cette grande cité : Yann Moix n'a qu'à aller se rhabiller !

Puis, comme souvent avec ce personnage, la remarque sur le vocabulaire arriva. Avec lui, paraît-il, l'usage du dictionnaire s'impose. Est-ce un défaut que de vouloir nommer les choses, préciser la situation avec le terme adéquat ? Écrire en sachant que le grand public n'aura jamais accès à son ouvrage donne une liberté certaine à la fois sur la forme et sur le fond.

Ensuite, pour le plaisir de se les remémorer, les lecteurs évoquèrent tous les jeux de mots qui émaillent ce récit qu'ils ne parvinrent pas à ranger dans une case. Ils se régalaient tout autant à l'évocation de ses facéties linguistiques que semble-t-il à leur lecture. Se le remettre en bouche leur redonnant des mots à la bouche.

Les comparaisons avec de grands auteurs furent alors si élogieuses qu'il est préférable de n'en rien dire. Comment ne pas rougir en compagnie de ces plumes célèbres ? Curieusement, le style, s'il fut évoqué par maints commentaires, ne fut jamais au cœur des questions, comme s'il était difficile de décrire une petite musique espiègle, légère, entêtante par sa réitération obsessionnelle.

Le cabotin qui se trouvait face à eux ne put se priver de dire deux ou trois fariboles avant que de ponctuer la séance par un conte. Il entendait ainsi reprendre par l'exemple la structure même de son ouvrage qui mêle les genres avec la volonté de brouiller les pistes bien plus que par le truchement d'une enquête policière qui n'est que prétexte à perfidie.

La soirée s'acheva en substituant aux nourritures spirituelles des pâtisseries plus tangibles et nécessairement fongibles. Leur gourmandise s'exprime de bien de manières différentes et tandis qu'ils dégustaient les délices concoctés par l'hôtesse du soir, le pauvre invité devait dédicacer ce roman qui le laissait non pas le bec hors de l'eau, mais bien hors de l'assiette.

Le point final s'imposa à tous. L'auteur s'en retournait chez lui avec un souvenir délicat qu'il entend coucher sur l'écran au plus vite, pour tenter, bien maladroitement sans doute, de restituer cette merveilleuse offrande que lui firent ces lecteurs bienveillants.

À contre-point.


Lire l'article complet, et les commentaires