« Albert & Charlie » Einstein & Chaplin selon Affinités électives au Montparnasse

par Theothea.com
lundi 27 février 2023

Quand le rideau se lève, toute la scène est occupée par le décor stupéfiant d'un appartement ceint d'un immense tableau noir rempli à la craie de formules mathématiques dont l'équation E= mc² ainsi que de figures géométriques, telle une ellipse révélant l'antre d'un savant.

Une fenêtre haute laisse entrevoir un ciel fait d'étoiles et une très grosse planète plane au-dessus du plateau comme la projection mentale du maître du lieu. Ce décor symbolique est l'œuvre de Catherine Bluwal.

 

ALBERT & CHARLIE
© Fabienne Rappeneau

  

C'est dans l'intimité de cette pièce meublée côté jardin d'un opulent bureau, côté cours d'un piano sur lequel sont posées une partition de Schubert et une mappemonde, que vont se confronter deux hommes de renommée internationale que tout pourrait opposer en apparence :

D'un côté, Albert Einstein, hirsute, vêtu d'une veste informe, assis derrière son bureau, maugréant sur l'état du monde, lisant les journaux, les balançant rageusement au sol, de l'autre Charlie Chaplin de 10 ans son cadet, cinéaste fringant, alerte, venu lui rendre une première visite à l'Université de Princeton. Nous sommes en 1938, les nouvelles du monde ne sont guère réjouissantes…

Tous deux sont exilés aux USA. Einstein est resté en Allemagne jusqu'en 1933, date à laquelle Adolf Hitler a pris le pouvoir. Le physicien a alors renoncé à sa citoyenneté allemande et s'est installé aux États-Unis pour devenir professeur de physique théorique. Il deviendra citoyen américain en 1940. Point commun avec Chaplin qui vit à Beverly Hills, ce sont deux pacifistes.

 

ALBERT & CHARLIE
© Fabienne Rappeneau

  

Ce dernier avait invité précédemment le physicien et sa femme à découvrir en avant-première ''Les Lumières de la ville'' à Los Angeles. Une photographie en noir et blanc projetée montre les deux grands hommes côte à côte en nœud papillon.

Le prestigieux réalisateur vient retrouver Albert pour lui faire part de son projet cinématographique, réaliser son 1er film parlant en interprétant par le burlesque un personnage inspiré du Führer, se mesurer à Hitler avec les armes du cinéma en le tournant en dérision, traiter la tyrannie par le biais de la satire et de la parodie.

Pour Albert, c'est absolument inconcevable de faire rire sur un tel sujet et brocarder ainsi par le comique la barbarie menaçante.

Albert ne croyait pas à la force du cinéma comme arme de guerre pour dénoncer la brutalité d'un régime totalitaire. Pourtant, Charlie allait s'engager personnellement et combattre à sa manière en faveur de l'idéal démocratique et de la paix avec son film prémonitoire et génialement satirique ''le Dictateur'' qui sortira sur les écrans en 1940.

 

ALBERT & CHARLIE
© Fabienne Rappeneau

 

Daniel Russo, tignasse blanche en bataille, est la parfaite illustration du scientifique un peu fou, bougon, lunatique ; Jean-Pierre Lorit, lui, s’est glissé dans la peau du cinéaste avec une grande finesse et beaucoup d'élégance.

Lors de cette première rencontre, celui-ci caresse symboliquement la mappemonde qui nous renvoie immédiatement, en miroir, la scène d’anthologie d’un ballon d'hélium figurant le globe terrestre tournoyant entre les mains du dictateur hystérique sur une musique de Wagner jusqu'à son explosion !

Outre leurs désaccords traités avec une bienveillance mutuelle, on assiste à un face-à-face émaillé de saillies percutantes :

« Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu’ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement »

« Hitler et Charlot ont la même moustache. Je pense qu'Hitler me l'a volée pour s'approprier la popularité de Charlot...Voilà au moins un putsch qui a échoué ! »

« Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de l'humanité ».

 

ALBERT & CHARLIE
© Fabienne Rappeneau

  

Entre les deux hommes, l'un nerveux et impulsif, l'autre flegmatique et charmeur, s'interpose régulièrement Hélène, la gouvernante, pour donner son avis ou pour calmer le jeu.

Celle-ci a un rapport presque filial avec Albert qu'elle surprotège, elle lui est entièrement dévouée. Tel un chef d'orchestre, elle dirige les choses, prête à interrompre la discussion si celle-ci échauffe trop le Maître.

Avec un accent allemand plutôt cocasse, Elisa Benizio offre une prestance bluffante en modelant un personnage haut en couleurs, impressionné et émoustillé par Charlie qui lui jouera une petite scène de pantomime la faisant rire aux éclats.

Actrice instinctive, Elisa n’est pas sur scène sans fort ressembler, par intermittences, à sa mère l'artiste et humoriste Shirley alias Corinne Benizio (duo Shirley et Dino).

 

ALBERT & CHARLIE
© Theothea.com

  

Après cette première entrevue immergée dans la montée angoissante du nazisme, deux autres visites auront lieu, en 1947 lors de l’après-Seconde Guerre mondiale et en 1952 sur fond de maccarthysme.

En 1947, ce sera au tour de Chaplin de marquer sa surprise, ne comprenant pas qu'Albert Einstein ait pu écrire une lettre au président Franklin D. Roosevelt afin de l'avertir que l'uranium pourrait être utilisé pour une bombe atomique et contrer ainsi les avancées de l'Allemagne nazie. Mais conscient du danger, il demandera, en vain par la suite, au président américain de renoncer à l'arme atomique, alors que ce projet en élaboration aboutira, hélas, à l'utilisation de la bombe sur Hiroshima et Nagasaki. Le savant ne cessera de regretter son initiative malheureuse.

Quant à Chaplin ses films sont boycottés, il est la cible d'attaques répétées, une campagne de presse s'acharne contre lui et il doit affronter une virulente « chasse aux sorcières » anticommuniste.

 

ALBERT & CHARLIE
© Theothea.com

 

En 1952, il décide de fuir les Etats-Unis avec sa dernière épouse et ses enfants. Il rend visite pour la dernière fois à Albert. Pourraient-ils encore se revoir ? Albert a 73 ans. Il décèdera en 1955. Charlie, lui, part dans un premier temps à Londres puis établira sa résidence permanente en Suisse pour y couler une retraite paisible.

Ces entretiens aux envolées lyriques proposés par Olivier Dutaillis permettent également d’opposer deux approches différentes du rapport à la vie.

L’un représente la science et le second la création artistique. Ainsi Einstein dit à Chaplin : « Ce que j’admire le plus dans votre art, c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant, le monde entier vous comprend ». A quoi le second rétorque « C’est vrai, mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend ? ».

 

ALBERT & CHARLIE
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Christophe Lidon assure une mise en scène rythmée, dynamique, les échanges fusent sans aucune monotonie, entrecoupés par les interventions intempestives et pittoresques de la pétulante gouvernante à l'affût du moindre mot qui pourrait ''énerver le professeur''.

Devant la gravité des évènements évoqués, l'humour instillé par la direction d’acteurs constitue, de fait, l’instrument pertinent, par excellence, pour cette création théâtrale.

 
photos 1 à 4 © Fabienne Rappeneau
photos 5 à 8 © Theothea.com
 
    
ALBERT & CHARLIE - ***. Cat'S /Theothea.com - de Olivier Dutaillis - mise en scène Christophe Lidon - avec Daniel Russo, Jean-Pierre Lorit & Elisa Benizio - Théâtre Montparnasse
 

 

ALBERT & CHARLIE
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