« Le Côté de Guermantes » De Proust à Honoré... Zoom de Marigny jusqu’à La Comédie-Française

par Theothea.com
lundi 20 mars 2023

C'était une autre époque sous perspective de "confinement" à l'automne 2020 où La Maison de Molière avait prévu ses travaux de réfection impliquant que la création de Christophe Honoré sous format "spectacle vivant" se ferait au Théâtre Marigny avec, en prime, l'avantage de pouvoir ouvrir son immense porte de fond de scène sur les jardins où le jeune Marcel Proust avait connu ses premiers émois de jeux d'enfants.

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
© Jean-Louis Fernandez

 

L'ensemble de ces représentations d'alors suspendues à l'épée du Covid ont encore, jusqu'à ce jour, le goût des madeleines distribuées dans le hall d'entrée au dire des privilégiés qui connurent ces moments magiques où le charme d'antan rejoignait ainsi la réalité de ces jours incertains.

Mais voici donc qu'en ce prélude du printemps 2023 débute un nouveau cycle d' "A la recherche..." dans le Saint des saints « La salle Richelieu », alors que son public pourrait spontanément avoir envie de considérer cette reprise comme la véritable création de Christophe Honoré puisque, si les madeleines ont bel et bien disparues de l'accueil mémoriel, il s'avère que la scène du Français y est exclusivement dévolue à la réminiscence active plutôt qu'à l'éventuelle survivance de lieux fondateurs, fussent-ils arborés.

C'est ainsi, en effet, que l'Art du Théâtre peut atteindre les sommets, notamment lorsqu'il côtoie ce qui donne vie à ce qui n'est pas (ou plus) tout en sachant distiller au mieux l'ensemble des vraisemblances.  

En effet, il s'agissait bien dans l'intention initiale du metteur en scène de faire participer, aussi bien les comédiens que les spectateurs, à une immersion en nécromancie pour y rencontrer non des clones ou des hologrammes contemporains de Marcel mais plutôt leurs fantômes qui, eux, auraient la force et l'intensité de nous communiquer l'âme de l'aristocratie Proustienne dépeinte de l'intérieur non par un simple observateur attentif mais davantage par ce voyeur en état d'hypnose inspirée, en l'occurrence le narrateur du happening ainsi mis en orbite.

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
© Jean-Louis Fernandez

  

D'entrée de jeu, le ton est donné, de la guitare acoustique de Stéphane Varupenne s'égrène la mélopée de Lady d'Arbanville et, fort du grain de sa voix, la chanson de Cat Stevens d’où, dans le lointain du hall, devrait apparaître et s'esquisser le profil de la duchesse Oriane de Guermantes (Elsa Lepoivre) pour laquelle Marcel vouait une admiration sans borne.

Ponctuant ainsi le forum mondain du XIXème siècle par des aubades en provenance des seventies, Christophe Honoré signe, ici et maintenant, grâce à des leitmotivs vintage dûment choisis, l'attrait d'une intuition imaginaire donnant prise à la mémoire affective fort prégnante chez Marcel (Stéphane Varupenne). 

Entendre soudain, en ce noble équipage, la princesse de Parme (Florence Viala) entonner, mélancolique, "La Maritza" de Sylvie Vartan pourrait assurément relever d’une délicieuse transgression de plaisir inavouable au yeux de "l'intelligentsia".

D’ailleurs le réalisateur osera même "Ton style c'est ton c..." de Léo Ferré que l'artiste aurait pu contresigner par un "C'est extra..." annonciateur du "Moody Blues" final clôturant en apothéose scénographique cet aréopage classieux de la Haute société du Faubourg Saint-Germain d'où "nights in white satin" pourrait se transmuter en émerveillement pour âmes nostalgiques, par exemple, du mythique & ultime Festival de Wight 1970.

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
© Jean-Louis Fernandez

  

Ces entremêlements magiques d'un siècle sur l'autre auraient comme effet artistique d'actualiser l'impressionnisme des personnages sortis directement de cette écriture romanesque en abîme de façon à nous rendre ceux-ci palpables jusque dans leurs ressentis subjectifs de l'époque. 

Mais voici déjà qu'officie mister Perchman (Romain Gonzalez), cet habile acteur-technicien dédié à la prise de son en direct ou plus exactement des voix de ses acolytes comédiens en ne les lâchant pas d'une semelle durant toute la représentation à l'exception momentanée de partis pris différenciés concernant la mise en espace sonore.

Comme dans une poursuite acoustique du style "La nuit américaine" à l'instar de François Truffaut s'engagerait ainsi un mano a mano entre les diseurs de Proust venus d'une galaxie évanescente et cette captation live hyperréaliste favorisant en bonus l'écoute ciblée des spectateurs in situ.

D'ailleurs, ils sont tous là réunis même Charlus (Serge Bagdassarian) le baron décalé.... car "Elle va mourir la Mamma" la grand-mère (Claude Mathieu) de Marcel… dans le hors-champ des coulisses, côté cour, en direct live vidéo sur grand écran mobile retransmettant sa lente agonie respiratoire... ce qui, au sein de l’œuvre littéraire, pourrait constituer les 100 meilleures pages de l'écrivain, commentent certains aficionados.

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
© Theothea.com

 

C'est ainsi, Christophe Honoré témoigne ici avec les outils d'aujourd'hui et les spectateurs, eux, se font leur « cinéma personnel » avec les précieux mots d'hier recueillis par le microphone à l'extrémité de la fameuse perche.

Le ballet peut donc commencer, place à la chorégraphie des compositions d'acteurs attendues de manière bien légitime :

Charles Swann (Loïc Corbery), le marquis Robert de Saint-Loup (Sébastien Pouderoux), la marquise de Villeparisis (Dominique Blanc), le duc Basin (Laurent Lafitte), la Comtesse de Marsantes (Anne Kessler) & tous les autres déjà annoncés ici ou pas...

Chacun aura son moment de gloire éphémère ; comme dans un rêve récurrent se remémorant en boucle infinie cette quête évolutive passant, en alternance, du temps perdu à celui retrouvé.

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
© Theothea.com

 

Le côté de Guermantes étant réputé plus aventureux, voire inaccessible que celui du côté de chez Swann davantage aisé, voici donc l’enjeu programmé au-delà de l'ex-vaste ouverture donnant sur les jardins de Marigny alors que désormais, en salle Richelieu, le spectateur "clairvoyant" s'applique à son tour pour apercevoir, avec succès, la nouvelle venue là-bas au fond du hall... mais oui, c'est bien elle, la sublime Oriane, la duchesse de Guermantes !

   
photos 1 à 3 © Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française 
photos 4 à 6 © Theothea.com
   
LE CÔTÉ DE GUERMANTES - **** Theothea.com - d'après Marcel Proust - mise en scène Christophe Honoré - avec Claude Mathieu, Anne Kessler, Éric Génovèse, Florence Viala, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Dominique Blanc, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Yoann Gasiorowski, Les comédiennes et comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vincent Breton, Olivier Debbasch, Yasmine Haller, Alexandre Manbon & Romain Gonzalez - Comédie-Française / Salle Richelieu

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES
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