Quand Hollywood s’invite aux Césars !

par Vincent Delaury
mardi 28 février 2023

Petit retour sur les Césars et gros détour par David Fincher (César d’honneur). L'Olympia, Paris, la ville du cinéma avec Los Angeles : 48e édition des Césars vendredi 24 février dernier (©photos V. De., sauf la n°1). Tout d'abord, la regrettable… censure. Dommage de la part de Canal Plus de censurer une jeune femme, militante écolo et activiste climat façon lanceuse d’alerte, en t-shirt arborant un décompte des jours – « We have 761 days left » (« il nous reste 761 jours ») - concernant le réchauffement climatique et l'urgence à sauver la planète bleue : ça va, ça passe, il n'y a pas mort d'homme. D'accord ou pas, on la laisse s'exprimer sans avoir à diffuser, pour la couper, un film de substitution façon censure d’une autre époque – via une vraiment suspecte coupure de la retransmission en direct, comme par hasard - avec en bas du téléviseur un bandeau d'excuses à la noix genre « Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée » ; c’était vraiment poussif, personne n’étant dupe de la manœuvre. Puis voilà, liberté de parole et de penser façon Florent Pagny ou, en plus littéraire, Voltaire, oblige ! « Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me ferai tuer pour que vous puissiez exprimer votre avis ! » Il est interdit d'interdire, que ce soit en Mai 68 ou encore plus à notre époque, surmédiatisée et hyper informée jusqu’à l’atrophie et la surenchère, car, on le sait bien, de toutes façons, tout sera repris au centuple et décortiqué, commenté illico, quasi en instantané, sur Internet via moult réseaux sociaux.

Et les blagues de l'humoriste Ahmed Sylla franchement n'étaient pas finaudes : « Il fallait que ça tombe sur moi », oui bon, c’est bon de quitter de temps en temps, surtout dans les moments importants, son ego, de ne pas tout ramener à soi et de s’ouvrir à autrui, au monde, en ne se figurant pas qu’un humour à deux balles fera à coup sûr l’unanimité, puis son « t-shirt était même pas repassé, ça m'énerve ! Tu repasses le t-shirt, là tu peux arrêter une cérémonie !  », mouais bof, pas convaincu non plus, l'actrice Léa Drucker, sa partenaire du moment à l’écran, bien plus en retenue, avait alors nettement plus d'allure.

Quant aux récompenses, bon, La Nuit du 12 a triomphé, en récoltant six statuettes, dont parmi les plus prestigieuses, Meilleur réalisateur et Meilleur film, bravo au réalisateur Dominique Moll et à son équipe. Alors, j'avoue, je ne l'ai pas vu. Des fois, aller voir un film, enfin l'envie d'avoir envie comme dirait feu Johnny, tient à peu : autant j'avais aimé Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), qui reste encore de nos jours bien en tête, autant je n'avais pas accroché à son Moine de 2011 avec Vincent Cassel que j'avais trouvé particulièrement mou voire faiblard (ratage dans le film de genre à l’américaine ; pas assez de moyens financiers ?), aussi j'étais sceptique, traînant la patte, pour aller voir en salle cette désormais remarquée, et distinguée, Nuit du 12. Mais, manifestement, il a rencontré son public (500 000 spectateurs) et l'effet César va certainement encore booster le nombre des entrées cumulées au total donc, franchement et sincèrement, longue vie à l'aventure de ce film français, surtout par les temps post-Covid qui courent.

Noémie Merlant recevant son César pour « L’Innocent » de Louis Garrel, produit par Anne-Dominique Toussaint

Chouette, Noémie Merlant a eu le César de la Meilleure actrice dans un second rôle avec L'Innocent (la jeune comédienne y est réjouissante, espiègle), solide film d'auteur populaire, (une bonne histoire !), signé Louis Garrel (le seul d'ailleurs, soit dit en passant, à avoir évoqué ce soir-là la guerre russo-ukrainienne, sans passer par le ton compassé d’un BHL tirant systématiquement la couverture à lui), présent également à la cérémonie pour Les Amandiers où il joue, avec une certaine malice, le regretté Patrice Chéreau. J'ai trouvé, par ailleurs, que les femmes étaient pas mal à la fête ce soir-là avec, chose très rare (première fois, pour une musicienne, « Ce César, précisait-elle, je le dédie à toutes les femmes compositrices de musiques à l'image »), le César de la Meilleure musique de film attribué à... une compositrice donc, en l'occurrence Irène Drésel avec sa partition originale pour le film À plein temps d'Eric Gravel. Les temps changent. Tant mieux...

Virginie Efira, la jolie Belge aux formes épanouies se la jouant de plus en plus Blonde américaine !, a sorti spontanément un « C'est chouette ! », son naturel est à n’en pas douter l’un de ses atouts charme, en obtenant la statuette dorée culte. Eh oui, au bout de sa sixième participation en tant que nominée, elle recevait enfin (comme quoi la ténacité paie - bravo à elle !), son compressé César de la consécration via le beau et sensible Revoir Paris, à savoir celui de la Meilleure actrice - du coup, à n’en pas douter, on va encore la voir partout : youpi ! Et là, j’avoue, je deviens quelque peu ironique. Car, tout de même, c'est peu dire qu'elle nous avait particulièrement manquée ces derniers temps en se faisant infiniment rare. Je blague ! Elle est en tête d’affiche de plein de films hexagonaux. C’est juste une remarque pour dire, qu’en France, il existe tout de même bien d’autres actrices, françaises, belges ou autres, auxquelles on peut penser, hormis elle donc (qui semble désormais incontournable, elle est devenue comme on dit, vilain mot, bankable), pour décrocher des rôles-titres d’importance afin de porter un film. De l’air, quoi !

Et, pour Benoît Magimel en tout cas, ravi, notre Brando à la française (cf. son jeu intense, ses déboires en série, ses problèmes de poids, ses éternels retours...), qu'il décroche un deuxième César du Meilleur acteur pour la deuxième année de suite, même s’il est vrai que ce n’était pas, franchement, le meilleur moment pour le lui décerner (il a été impliqué par le passé, en 2017, dans un fait divers agrégeant drogue et blessures involontaires suite à un regrettable accident de voiture) au vu de l’affaire Palmade toute récente, stupéfiante dans tous les sens du terme, qu'on avait tous en tête, avec l’issue tragique que l’on connaît pour la famille broyée, victime de l’effroyable accident de la route. Mais bon, c’est un débat toujours animé que de savoir s’il faut ou non distinguer l’homme de l’œuvre pour évaluer. Ici, n’étant ni juge et encore moins procureur, je me contente, en tant que simple spectateur appréciant les talents, d’observer sa prestation redoutable d’acteur dans Pacifiction : Tourment sur les îles, film d'Albert Serra au sein duquel le comédien joue hors des sentiers battus et en roue libre. Petite anecdote, il lui arrivait, sur le tournage exotique (Tahiti, Polynésie française), d’être filmé par plusieurs petites caméras, parfois de loin, sans savoir qu’il l’était, ce qui lui a donné une grand liberté de je(u). Ce film-fleuve poétique est vraiment un long métrage à part, ironisant subtilement sur les politicards au discours planifié soporifique (Magimel, Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de L’État français, est justement bord-cadre là-dedans, prenant constamment le pouls de la population locale, ayant encore en mémoire les fâcheux essais nucléaires français dans la région), et dont certaines images, abordant majestueusement le sublime de la nature (entre autres, des vagues déferlantes), sont grandioses, très picturales.

Alex Lutz, très drôle aux Césars

Voilà en gros, côté français, ce que je retiens, puis certaines interventions d'humoristes : autant Jamel Debbouze – on l’a connu plus inspiré – était un peu à la peine en ironisant sur les films d’auteur français qui devraient selon lui intégrer effets spéciaux et tortues ninja pour booster les entrées : il a d’ailleurs été interpellé gentiment, in situ, par la grande actrice Juliette Binoche, qui il fut un temps avait justement refusé de jouer dans un Spielberg, un certain Jurassic Park !, pour se consacrer à un Kieslowski, un certain Bleu (1993), afin de lui signaler courageusement, et à raison, son désaccord, « Je ne suis pas d'accord, je ne suis pas d'accord. On fait aussi des entrées », en rappelant une nécessaire et souhaitable palette de films différents au cinéma, toute diversité devant s’exprimer. Autant des interventions d’autres humoristes étaient bien enlevées et parfaitement dans l’air du temps, saisissant quelque chose de notre époque (le nombrilisme à tous crins des réseaux, le rêve américain s’accompagnant du possible complexe français), tels Alex Lutz se filmant sur scène au téléphone portable pour ironiser sur les influenceurs et autres instagrammeurs qui, sur les réseaux sociaux, tirent H24 la couverture à eux, était très drôle, c'était fin, malicieux, bien écrit et bien joué, tellement dans l'ère du temps, et Jérôme Commandeur, très bon pour plaisanter sur les titres de films français qui sont souvent à rallonge pendant que ceux de David Fincher, à l'américaine dirait l’emballant facteur de Jour de fête, sont a contrario courts, efficaces et percutants, style Zodiac, Se7en et Fight Club.

Show devant, Brad Pitt est sur scène !

Puis donc est arrivé selon moi le grand moment du show, en tout cas celui qui nous fait nous lever de notre siège (standing ovation pour la star hollywoodienne charismatique !), et assurément le plus cinématographique et le plus mythologique de la soirée (c'est aussi pour ça qu'on aime le cinéma, quand il se fait bigger than life, en nous mettant plein d’étoiles dans les yeux) : vendredi soir dernier aux Césars, disons-le tout net, il y aura eu au moins un génie sur scène : un certain David Fincher, né le 28 août 1962 à Denver (« Un de nos plus grands conteurs d’histoires », disait à juste titre l'un de ses acteurs fétiches, un certain Brad Pitt qui, avec son apparition surprise sur la scène de l’Olympia, a fait monter, en dépoussiérant fissa la soirée à lui tout seul, la température d'un coup ! Voilà, messieurs dames, ce qu'on appelle une star, venue exprès, beau geste, pour son ami réalisateur en vue de lui remettre un César d'honneur. À préciser que ce fameux David Fincher, aux States, bizarrement, n'a jamais eu le moindre Oscar, que ce soit celui du Meilleur réalisateur ou autres - il n'est pas le seul dans cette catégorie des anomalies, d'où la distance qu'on doit prendre avec ce jeu des récompenses qui est avant tout une émission télé ! Mais c'est bien connu, nul n'est prophète en son pays. J'ai par ailleurs bien aimé ses quelques mots lors de sa réception du prix : « Je salue le cinéma français, le métier, la critique.  » Merci Mister Fincher.

Le cinéaste américain David Fincher aux Césars 2023

Et Pitt, particulièrement bien inspiré, et en rien dépité, n’était pas en reste ce soir-là. À la fois drôle et émouvant, séduisant de par son charisme et son humour tant les hommes que les femmes, cet acteur, vu par trois fois jusqu’à présent chez Fincher (Fight Club, Se7en, L’Étrange Histoire de Benjamin Button), a nourri son discours élogieux en l’honneur du réalisateur d’anecdotes particulièrement savoureuses, en évoquant tout particulièrement l’exigence bien connue du réalisateur pour fabriquer ses bijoux filmiques : « C’est un privilège d’avoir joué dans trois films de David Fincher. Bonsoir, je m’appelle Brad Pitt et je suis un rescapé. » Puis, concernant son « partner in crime », il a évoqué la création par le cinéaste, via sa série TV House of Cards (2013), du binge-watching (ou marathon-viewing, pratique consistant à regarder la télévision ou tout autre écran pendant de longues heures sans se rendre compte que l’heure tourne, en se laissant complètement absorber par les épisodes d’une même série télé, ô combien chronophage, qui s’enchaînent sans interruption), ainsi que, accrochez-vous !, les 92 prises nécessaires, façon Kubrick, pour une seule scène de Benjamin Button, rappelant au passage que ce génie perfectionniste qu’est son ami Fincher est « le salopard le plus drôle que j’ai jamais rencontré  » avant de finir son excellent discours en rappelant qu’ils s’étaient rencontrés en 1994, cette rencontre ayant changé sa vie « pour toujours ». Séquence émotion, donc.

Immense talent, donc. Même s'il ne réussit pas tout. Son Millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2011), adapté de la fameuse trilogie littéraire au succès international, et malgré la présence de la troublante Rooney Mara aux côtés de Daniel Craig qui était encore dans son personnage de James Bond, manquait de nerf et de crédibilité selon moi. Et surtout reste le cas Alien 3 (1992), avec une Ripley iconique (Sigourney Weaver) au crâne entièrement rasé : raté ou pas ? Se demandent encore les Fincheriens. Moi je dis oui, malgré quelques bonnes idées (plonger notre héroïne sexy dans une colonie pénitentiaire sinistre avec une vingtaine de détenus pas commodes, aux sales gueules et gonflés à bloc), mais c'est trop le foutoir là-dedans, via pour sa confection neuf scénaristes en lutte ! Avec un côté clip et pubard exténuant (auparavant, pubs et clips musicaux chiadés, pour entre autres Madonna, Michael Jackson et George Michael, Fincher en avait signés beaucoup). Mais bon, il venait, en ce qui concerne la saga culte Alien, après deux cadors de la réalisation au top de leur forme (Ridley Scott, James Cameron). Donc pas facile de rivaliser avec des pointures pareilles. Toutefois, encore aujourd'hui, cet opus 3 a ses (rares) fans ! En tout cas pas le cinéaste qui, lui, rejette catégoriquement ce long métrage, globalement mal-aimé, de sa filmographie (film de commande non contrôlé : « À ce jour, personne ne le déteste plus que moi », disait l'intéressé, qui n’est pas connu pour mâcher ses mots, au Guardian en 2009.

Fincher, selon moi, est remarquable dans le style noir de chez noir, au bord du sinistre, le popcorn movie stylé et le film de genre d'auteur retors, avec une narration gigogne qui va faire vriller sa trame, parfois au beau milieu, pour conduire l'objet-film ailleurs, dans un millefeuille de genres entremêlés et d'histoires en eaux troubles où le regardeur est conduit à être partie prenante du récit proposé, construit tel un château de cartes. Et puisque les Césars, en l’honorant, nous invitaient à replonger naturellement dans sa filmo, j’en profite ici, et de manière purement subjective, voire sentimentale, pour en faire un Top 8 David Fincher, qui sera peut-être différent dès demain !

Rosamund Pike est Amy dans « Gone Girl » (2014) de David Fincher

Numéro 1 : Gone Girl, 2014. Nick, un brave mari, est la pauvre victime de la disparition de sa femme Amy, or leur couple au fil des jours, et malgré un mariage resté encore idyllique dans toutes les mémoires, battait sérieusement de l’aile. C’un film de virtuose qui, sous couvert de traiter d'une disparition inquiétante (cold case en puissance...), est en fait sur l'usure et le délitement du couple. C'est du Bergman dans un De Palma. Alors, question couple, pour faire bonne figure, se rassurer dans le confort pépère, on fera semblant hein, mais, avec le temps, allant de pair souvent avec le ronronnement et l'ennui, on fait comme si, en jouant un rôle de composition à répétition, personne n'est dupe de la comédie ! Ben Affleck, comme d'habitude, est tout fadasse là-dedans mais c'est raccord avec son personnage, assez falot, banal et buveur de bières devant la téloche, Nick Dunne, des plus passe-partout. Quant à Rosamund Pike (Amy Dunne, pas si petite amie cool girl et bien sous tous rapports ici, il faudra se méfier des apparences), dans la droite lignée de la Sharon Stone manipulatrice et impériale de Basic Instinct (1992), elle y livre une prestation exceptionnelle. Virginie Efira, à la soirée des Césars (en présentatrice télé, elle assure toujours...), a d'ailleurs fait un joli clin d'œil à ce film très désillusionné sur les supposées joies du couple qui dure au pays de l'ami Ricoré dans son discours de présentation du maître post-hitchcockien Fincher - au fait, chère Madame Fincher (Céan Chaffin, productrice présente hier à la cérémonie), comment ça va, votre couple ?

Rosamund Pike, « Cool Girl » dans « Gone Girl »...

Numéro 2 : The Social Network, 2010. THE film sur Facebook, remontant à sa genèse, on revient donc à ses débuts via un certain Mark Zuckerberg, sur fond d’amitié trahie et de guerres intestines en ce qui concerne la paternité de ce réseau social, créé au départ par un solitaire pour classer physiquement des filles croisées sur le campus (université Harvard), du fait de son succès rapidement mondial. S’appuyant sur un très bon acteur (le « lisse » Jesse Eisenberg campant avec froideur, comme en retrait de lui-même, le génie geek et punk ayant changé la face de l’interaction humaine) et sur un scénario alambiqué, complexe et incisif, multipliant les fausses pistes (brillamment construit par le chevronné Aaron Sorkin), le cinéaste-imagier Fincher s'intéresse au réseau social roi. Euh..., si social que ça ? On est tous encore, pour la plupart, derrière nos écrans, plutôt à cran, et faisant écran à l'émotion et aux sentiments, sans même plus se regarder, se séduire, se draguer, en live, dans les transports en commun par exemple. Tous rivés sur nos écrans absorbants de téléphones portables et autres en quête d’un eldorado des plus illusoires. La sociabilité émancipatrice bienfaitrice et bien intentionnée (entraide du village planétaire pour un monde meilleur en mode ravi de la crèche) à son comble ? Ça reste à voir ! Aujourd'hui... Dans 50 ans, etc. Film très intelligent, et incontestablement visionnaire. Ce qu'on appelle un film important, reflet d'une époque, « Un révélateur, écrivait à raison le magazine Première lors de sa sortie, de la société américaine et occidentale ». Ou de la puissance du cinéma à coller au réel pour en faire, sans concession, l'état des lieux.

Numéro 3 : Zodiac, 2007. Une série de meurtres terrorisent la Californie, un seul homme les revendique. Qui est-il ? Les soupçons se portent sur… Zodiac, un insaisissable tueur qui, à la fin des années 1960, répand la terreur dans la région de San Francisco. S’attribuant une trentaine d’assassinats, cet énigmatique Zodiac, prodigue en messages cryptés et semeur d’indices comme autant de cailloux blancs, s’amuse à narguer non seulement la police mais également la presse, assoiffée comme à son habitude de scoops pour affoler l’audimat. Sa traque s’étirera sur deux décennies. Directement inspiré d’une histoire vraie, qui l’avait profondément marqué étant gosse (le tueur était alors le Jack l’Eventreur de l’Amérique), David Fincher, qui s’appuie notamment ici sur les livres de Robert Graysmith, ayant vécu les événements de l’intérieur, raconte cette histoire, passionnante de la première à la dernière minute, avec un maximum d’authenticité. Porté par un casting de rêve (Mark Ruffalo, Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr.) et soutenu par le score mémorable de David Shire, j’aime beaucoup ce film-fleuve, de plus de deux heures 30, mêlant brillamment enquête policière et journalisme d'investigation, sur le troublant tueur du Zodiaque qui incarne pour Fincher, via son projet ignoble de tuer des gamins en partance pour l’école, le Mal absolu. Avec quelques proches, amateurs de vrai cinéma et lecteurs des Cahiers, lors de sa sortie, je nous vois encore en parler des heures et des heures, autant qu’un Coppola, un Pollack ou un Cimino ou qu'un épisode réussi de Columbo - notamment de sa patine seventies fascinante : Fincher, cinéaste vintage et « copiste » caméléonesque, est très fort pour reconstituer une époque, tel le Orson Welles des années 30 annonçant Citizen Kane avec son rétro(actif) Mank, 2020. Donc, si des discussions endiablées naissent entre cinéphiles patentés, mais pas snobs, après avoir vu ce film pour en tirer la substantifique moelle (c’est une colossale machine filmique US à penser), alors, assurément, c’est un gros morceau et, à mon humble avis, une pièce maîtresse dans la filmographie estampillée Fincher. David, en fin limier tisseur de toiles d'araignée qui scotche le spectateur (joueur), retrouvant ici un leitmotiv qui lui est cher : derrière le calme plat, déceler une part d’ombre maléfique : « Je pense, dixit Fincher, que les gens sont pervers. J'ai maintenu cela. C'est le fondement de ma carrière. » On aura connu franchement plus optimiste quant au genre humain. Sacré Fincher, Hitchcockien en diable !

Numéro 4 : Panic Room, 2002. Meg (Jodie Foster) s’installe avec sa fille Sarah (Kristen Stewart, graine de star depuis devenue grande) dans une immense maison, très chic et formidablement équipée, d’un quartier huppé à l’ouest de New York. Particularité de cette bâtisse : une pièce de sûreté au dernier étage, la « panic room », qui donne son titre au film (s’appelant La Chambre forte au Québec), huis-clos piégeux (on y étouffe !). Il s’agit en fait d’un véritable bunker où se réfugier en cas de menace extérieure. Or, bientôt, l’intrusion de trois cambrioleurs, professionnels ou pieds nickelés ?, oblige mère et fille, asthmatique, à s’y précipiter dès le premier soir. Peut alors commencer un terrible jeu, frôlant l’insoutenable, du chat et de la souris. Ce n'est qu'un popcorn movie mais, diantre, qu'il est bon ! « Petit film » donc, complètement clos sur lui-même, film « autiste » diront certains lors de sa sortie, mais brillant exercice de style complètement maîtrisé, un pur film de mise en scène, célébrant les puissances du cinéma et des trucages numériques dernier cri via la pulsion scopique à l'œuvre, avec une caméra omnipotente s'invitant, s'infiltrant partout : chambre à coucher, sous le lit, dans la nuit noire, robinetterie et autres bouches d'aération. Et que New York est magnifiquement filmé, notamment ses intérieurs-bulles avec pièce sécurisée (on pense au Léon (1994) graphique, très BD, de Luc Besson), alternant le froid et le chaud, le métallique et le cosy, certains motifs sont marquants, tels les verres de vin à pied sensuels et classieux géants (bizarrerie baroque de styliste poussant l'esthétisme maniériste au maximum) ! Et que le duo d'actrices (Foster & Stewart, encore toute jeune ado dedans) est époustouflant ! Même si David Fincher ne le considère pas tant que ça : « C’est censé être un film pop-corn - il n'y a pas de grandes implications primordiales. Il s'agit juste de survivre. » Cela reste à mes yeux l’un de ses meilleurs films parce que leçon de mise en scène virtuose pliée en 112 minutes, presque une épure ! J'admire ce petit grand film, l'une de mes plus grandes joies en salle obscure.

Numéro 5 (et non pas 7 !) : Se7en, 1995. L’inspecteur William Somerset, un vieux flic blasé (Morgan Freeman), est bientôt à la retraite. Le voilà obligé de se taper, comme coéquipier, le jeune et impétueux David Mills (Brad Pitt). Leur collaboration démarre sur les chapeaux de roue : un meurtre ignoble dans un sous-sol sordide, avec un homme obèse ligoté à sa chaise, le nez dans son assiette, l’estomac visiblement éclaté. En fait, ce meurtre monstrueux est le premier d’une série, mais ici, apparemment : aucun mobile apparent, aucun témoin et aucun rapport avec les victimes. Seule s’impose au regard une mise en scène horrible s’inspirant des sept péchés capitaux (gourmandise, avarice, paresse, envie, colère, orgueil, luxure). À chaque meurtre, un indice… À chaque indice, un nouveau meurtre : le game morbide (ou sept péchés capitaux comme autant de façons de mourir) peut alors commencer. Après le pourtant remarquable Le Silence des Agneaux (1991) de Jonathan Demme, que l’on croyait insurpassable dans le genre glaçant, Fincher, via Seven, frappait, lui aussi, un grand coup. Avec, il inventait le film... grunge (ce fut un choc optique à sa sortie, une véritable claque visuelle, on n’avait jamais vu ça, comme si Kurt Cobain, épave destroy de Nirvana revenue des limbes, venait de prendre une caméra) : véritable signature graphique d'une époque désabusée, comme en déshérence. Images désaturées, générique culte vintage, comme patiné, brut et trash, visuels crades signés du chef-op artiste Darius Khondji, en harmonie, des plus glauques, avec le psychopathe poisseux du film interprété par le plus que jamais troublant Kevin Spacey (devenu depuis persona non grata à Hollywood), personnage double voire plus. Quant au manipulateur, euh… pardon, metteur en scène David Fincher, sa série télé récente Mindhunter, 2017-2019 (faute d'audience, et coûtant trop chère, elle a été abandonnée), rejouait récemment ce tropisme pour les figures du profileur et du tueur en série.

Numéro 6 : L'Étrange Histoire de Benjamin Button, 2008. Quel beau film, certes un tantinet long (2h46). « Curieux destin que le mien », ainsi commence cette fable, située à la Nouvelle-Orléans et adaptée d’une nouvelle de F. Scott Fitzgerald, narrant l’histoire de cet homme attachant, nommé Benjamin Button, dont l’on suit les tribulations étonnantes de 1918 – on y croise aussi la grande Histoire avec notamment le bombardement de Pearl Harbor - à nos jours : il naquit à 80 ans et vécut son existence à l’envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. C’est à ce jour, avec Se7en (327 millions) et Gone Girl (369), l'un des plus gros succès au box-office de David Fincher avec plus de 335 millions de dollars de recettes à travers le monde. On n’est pas prêt d’oublier les deux âmes sœurs du film, Benjamin (Pitt) et Daisy (gracieuse Cate Blanchett), se rencontrant à la croisée des âges. C’est un film proustien et mélancolique sur les aléas de la vie, des joies du « métier » de vivre à la tristesse de la mort en passant, au fil des époques, par l’amour qui résiste à l’épreuve du temps ainsi que sur monsieur Temps, le sujet central du film, perdu puis retrouvé. Via un Brad Pitt tour à tour vieilli, ridé comme une vieille pomme de terre, et tout fringant période beau gosse Marlboro à la Thelma & Louise. C’est ni plus ni moins le Il était une fois en Amérique du fabuleux fabuliste Fincher - sortez vos mouchoirs, la trivialité majestueuse rejoignant ici le poignant.

Numéro 7 : The Game, 1997. Film-concept invitant les spectateurs, complices, à un jeu. Nicholas Van Orton (Michael Douglas, qui semble encore ici dans Wall Street, 1987, via son rôle iconique du financier carnassier eighties et bling-bling Gordon Gekko, qui lui allait comme un gant), est un homme d’affaires tout-puissant, richissime, et pour qui toute surprise, dans sa vie réglée comme du papier à musique en vue de la course au profit, n’est que perte de temps. Pourtant, son frangin, Conrad (Sean Penn), lui offre, pour le divertir, la possibilité de participer à un jeu grisant grandeur nature. Cadeau empoisonné ? Intrigué, tout en ayant le goût du défi, Nicholas se laisse tenter mais très vite, en même temps qu’il participe à une partie farceuse qui va se jouer de lui en le poussant dans ses propres retranchements, et contradictions, ainsi qu’en l’attirant dans ses mécanismes diaboliques, Fincher en profite pour faire de son long métrage un thriller efficace doublé d’une magistrale leçon de manipulation. J’aime beaucoup ce film-puzzle jouant sur un monde parallèle (la vie comme jeu), pas si mineur que ça, n'en déplaise à ses détracteurs qui ironisent volontiers sur son finale. Ok, la chute (ou twist, revirement) n’est pas top, à savoir guère renversante, mais il contient tout de même des images récurrentes (le jouet du clown ricanant) insistantes, et assez flippantes, restant bien en tête. Fincher est un obsessionnel. Puis la paire Sean Penn/Michael Douglas, en termes de charisme, c'est tout de même quelque chose sur un écran de cinéma.

Numéro 8, et last but not least, Fight Club, 1999. Chaos, confusion, savon… Attention, règles n°1 et n°2, histoire de cultiver l’esprit du film, « il est interdit de parler du Fight Club » (un club de combats clandestins offrant à ses membres, triés sur le volet, la possibilité d’évacuer leur mal-être par la violence). Pour autant, je vous en parle un tant soit peu. Jack/Le narrateur (Edward Norton) ne souhaite qu’une chose : s’évader de son quotidien monotone qui n’est que morne plaine. Il rencontre alors un vendeur de savon charismatique, Tyler Durden (Brad Pitt), adepte d’une philosophie pour le moins tordue et anarchiste. Ensemble, ils décident de créer un sibyllin club de combats à mains nues, des plus secrets et sauvages, aux règles qui doivent s’établir partout dans le monde ! Alors, je sais que d'aucuns, on va dire les Fincheriens purs et durs, de la première heure, le classeraient certainement premier, son ultra violence, donnant la main au grotesque, rappelant Orange mécanique, 1971. Film coup de poing adapté du roman du même nom de Chuck Palahniuk publié en 1996, et objet filmique américano-allemand ô combien culte, alors qu’il fut un échec commercial à sa sortie aux États-Unis, Fight Club a ses fans, que dis-je ses mordus : je vois encore un ami artiste, le peintre figuratif contemporain Gregory Forstner (qui jouait le jeune Enzo Molinari dans Le Grand bleu, 1988), m'en parler avec précision il y a quelque temps, et avec appétence, dans les rues ensoleillées animées de Montpellier (bref, attention, film marquant au fer rouge pour toute une génération... de mecs notamment !). Et je sais bien également qu'il est indéniablement percutant, tel un uppercut visuel, ou un shoot halluciné. Ce film est visionnaire, son dédale psychique, et physique (que de corps meurtris et de chairs sanglantes empreints de dolorisme à l’écran - Mel Gibson, avec ses réalisations sanguinolentes notoires à suivre (Apocalypto, La Passion du Christ), s’en souviendra !), annonçant bien des perditions, dont possiblement l'effondrement des deux tours jumelles du World Trade Center. Pour autant, j'ai toujours un peu de mal avec, devant faire un réel effort de sympathie pour en profiter pleinement, il a un côté étouffant à la Brazil. Mais je m'arrête là car règle primordiale oblige, dixit l'anticonformiste mégalo et séditieux Tyler Durden - on ne parle pas du Fight Club !

Bon, avec tous ces souvenirs, ces images rémanentes et ces séquences pour certaines cultes, le cinéaste David Fincher, conteur hors pair littéralement obsédé par le mal, valait bien à l’Olympia de Lutèce, a minima, un (Ave) César ! Et ce en attendant, car le bougre est productif, sa prochaine cuvée, autrement dit The Killer, film adapté d’un comics français d’Alexis Nolent, aka Matz, sur un tueur à gages solitaire et méthodique (ami du Léon de Besson ?), disponible bientôt, exclusivement, le 10 novembre 2023, sur Netflix - ouille ! Mais, on le sait bien, à l'heure actuelle, c'est là qu'il y a un max de thunes pour produire du gros calibre, tels Scorsese ou… Fincher !


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