Trois figures majeures de l’art du vingtième siècle et leur joie de vivre sur la Cote d’Azur

par Eliane Jacquot
vendredi 10 novembre 2023

L'écrin méditerranéen se révèle un lieu de refuge salutaire à l'issue de la deuxième guerre mondiale et devient un vaste atelier à ciel ouvert. La présence de Matisse travaillant entre Nice et Vence, de Picasso installé à Antibes confère à la Côte d'Azur l'aura d'une terre accueillante. Cette image n'est pas étrangère à la décision de Chagall d'y passer la dernière partie de sa vie. Ces lieux sont ainsi devenus un véritable laboratoire de la modernité.

Perché sur une colline de Nice, le quartier de Cimiez recèle deux musées consacrés respectivement aux oeuvres de Matisse et Chagall

Au coeur d'une oliveraie, une belle villa génoise aux façades rouges abrite le musée Matisse depuis 1963 à quelques pas de l'atelier du Régina. Sa riche collection brosse un précieux inventaire de son immense talent. L'artiste découvre Nice en 1917, il a à 48 ans et a déjà réalisé de grandes oeuvres, mais la lumière riche et tranchante des lieux devient indispensable à sa création. Son oeuvre tardive s'y déploie dans un enchantement de formes nouvelles et de couleurs, jusqu'à l'aboutissement de la Chapelle du Rosaire à Vence. Le musée abrite des chefs d'oeuvre avec lesquels il a vécu toute sa vie et qui ont à ses yeux une importance particulière... Voici un bref aperçu de quelques toiles majeures :

dans « La Nature morte aux grenades, 1947 », on retrouve sur un même plan un plat de grenades devant une fenêtre s'ouvrant sur un palmier du jardin de la villa le Rêve. On y observe comme dans tous ses travaux tardifs un seul espace entre intérieur et extérieur. Lui qui a élaboré la technique des gouaches découpées parvient alors à une synthèse entre le dessin et la couleur de par la simplicité de ses aplats. Toute la créativité de ses dernières oeuvres s'y exprime avec une grande liberté d'invention. Les plus remarquables sont le « Nu Bleu, 1952 » longue figure dépouillée à la couleur magnétique et la « Danseuse créole, 1950 » pour laquelle il traduit en papiers gouachés découpés la joie de vivre qui émane d'un corps dansant.

Mais c'est dans la chapelle Notre Dame du Rosaire à Vence qu'il réalise, de l'architecture aux vitraux en passant par de nombreux dessins préparatoires une oeuvre totale. Dans un édifice enchâssé entre deux maisons, il réussit par un jeu de contrastes à concevoir un espace unifié, lui insufflant un sentiment d'immensité. L'arbre, la fleur, thèmes récurrents du travail de Matisse culminent dans la double fenêtre du sanctuaire, légère et gracieuse. Le vitrail réitère la vocation de l'arbre cathédrale en tant qu'élévation. A propos de ces magnifiques vitraux il dira « c'est ce que j'ai fait de pus beau dans ma vie. » Inaugurée en 1951 la chapelle du Rosaire, lieu modeste de culte, est selon les mots du maitre octogénaire « l'aboutissement de toute une vie de travail et le résultat d'une vie consacrée à la recherche de la vérité. »

Les admirateurs de Marc Chagall peuvent se rendre aussi dans son musée, le plus important du monde consacré à l’univers poétique et enfantin de ce peintre né en Biélorussie en 1887. La collection couvre toute sa carrière de ses débuts à Saint-Petersbourg à ses dernières années sur la Côte d'Azur. Réfugié aux Etats-Unis et marqué par les massacres des juifs, à l'issue de la seconde guerre mondiale son travail va consister à transmettre un message biblique que l'on retrouve au coeur de la collection. Celle ci se compose de 12 toiles issues de l'Ancien Testament, réalisées par un homme très âgé, où les thèmes bibliques sont traités avec puissance, sublimés par des couleurs chatoyantes et la vision onirique du peintre. « La Création de l'homme, 1956 » première représentation, on retrouve le peuple juif entrainé dans une roue solaire, et d'autres épisodes de l'l'histoire biblique. Ce cycle est ainsi placé sous le signe de la relation entre l'homme et Dieu. Dans « Adam et Eve chassés du paradis, 1961 » l'ange chargé de la colère divine montre aux deux personnages le chemin de l'exil. Portés par un coq rouge ils semblent s'envoler vers l'avenir de l'humanité. Le Cantique des Cantiques regroupe une série de cinq toiles sur fond rouge vif dédiées à sa seconde épouse « Vava », sa joie et son allégresse selon ses propos. Les compositions sont structurées autour de formes arrondies qui attirent le regard ; Il y a enfin une vaste salle de concert, dans laquelle il décrit les sept jours de la création du monde au travers de trois immenses vitraux réalisés en 1972 en y inscrivant les reflets changeants de la lumière. Dans son discours d'inauguration du musée en 1973, Chagall prononce ces mots « Si toute la vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir ». Il parvient ici encore à nous interpeller et à nous étonner.

Picasso le collectionneur et sa joie de vivre à Antibes

L'été 1946, qu'il passe au cap d'Antibes se prolonge indéfiniment jusqu'à se transformer en une installation définitive dans le Midi. Il occupe le Château Grimaldi d'Antibes, il y peint des aubergines, des citrons , des natures mortes aux poulpes et aux oursins, faisant remonter toutes les richesses de la terre fertile et de la mer voisine qu'il affectionne. En 1947 il réinvente le mythe d'Ulysse et des sirènes dans un camaïeu de bleus et de verts. Au cours de ces moments où il éprouve le besoin d'oublier ses années de guerre, il peint le portrait de Francoise Gilot rencontrée il y a peu qui va devenir sa compagne et la mère de deux de ses enfants. Dans une immense toile « La joie de vivre , 1947 » rayonnant autour d'une femme fleur baignée de lumière un centaure, autre héros de la fête danse au son du pipeau. Cette scène colorée du bord de mer s'avère être l'une des oeuvres majeures et emblématiques du Picasso d'Antibes. En 1948 il s'installe avec Francoise et sa famille à la villa la Galloise à Vallauris. Il rend aussi visite de loin en loin à Matisse jusqu'à la mort de ce dernier en 1954. Et c'est dans le Château d'Antibes que l'on peut voir le premier musée qu'un artiste vivant ait vu consacrer à sa gloire. L'art de Picasso, légende du vingtième siècle s'enracine au bord de cette mer Méditerranée dont l’ensoleillement exalte les tons. Elle irradie son oeuvre de moments de grâce.

En ces lieux l'éblouissement n'est pas seulement produit par la lumière et les rayons du soleil, mais aussi par les oeuvres de génies qui en ont tiré leur force et leur créativité. Cette région marquée aussi par l'élaboration de somptueuses collections comme celle de la Fondation Maeght devient, et ce depuis plus de 70 ans un des pôles magnétiques de la création contemporaine.

Eliane Jacquot

 


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