Vaillant, héros de la Grande guerre

par Fergus
lundi 13 novembre 2023

6 juin 1916. Dans l’enfer des combats de la bataille de Verdun, la garnison du fort de Vaux, encerclée par l’armée allemande, résiste aux incessants pilonnages d’obus. À la tête de 600 hommes retranchés dans le fort et dramatiquement à court de munitions, d’eau et de vivres, le commandant Raynal charge son dernier messager de franchir les lignes ennemies pour réclamer de toute urgence un soutien à l’état-major...

Depuis le début de la guerre, le capitaine Sylvain Raynal, un militaire aussi déterminé que courageux, a déjà été blessé à plusieurs reprises : en 1914 lors de la bataille de la Marne, puis en 1915 lors de la bataille de l’Artois et de la bataille de Champagne. Des blessures qui lui ont valu de longs mois de convalescence. Bien qu’il soit diminué physiquement, au point d’éprouver quelques difficultés à se déplacer, l’officier se porte volontaire pour repartir au combat sur le front. Son état étant jugé par la hiérarchie militaire compatible avec le commandement d’une fortification avancée, Raynal est nommé par le général Nivelle au fort de Vaux, l’un des derniers bastions de défense de la ville de Verdun avec le fort de Souville depuis la chute du fort de Douaumont le 25 février. Il y prend ses fonctions le 24 mai 1916.

Début juin, sous la mitraille et les obus ennemis, de nombreux rescapés, issus de différentes unités dispersées par la puissance de l’offensive allemande, se réfugient au fort de Vaux. Les soldats désemparés y rejoignent les 250 hommes de Raynal. Le 2 juin, ce sont près de 600 « poilus » qui se trouvent encerclés dans la fortification et les casemates alentour. Confrontés à un déluge quotidien de milliers d’obus, les hommes résistent avec leurs dérisoires moyens – la dernière pièce d’artillerie a été détruite par les Allemands – à la pression des troupes du Kronprinz, fils aîné de l’empereur Guillaume II, supervisées par le chef d’état-major général Erich von Falkenhayn. Sont présents sur place au côté de ces soldats quatre pigeons-voyageurs et un jeune chien surnommé Quiqui (de son vrai nom Marquis*).

Soumis aux terribles tirs d’artillerie, et exposés à l’effrayant feu des lance-flammes et aux gaz utilisés par les troupes du Kronprinz, les soldats français opposent, faute d’armes lourdes, une résistance aussi héroïque que vaine. Dès le 2 juin, le commandant Raynal envoie deux pigeons porteurs de messages destinés à l’état-major. Le premier à 3 h 25 pour signaler le début de l’assaut allemand. Le deuxième à 14 h 30 pour rendre compte de la dureté de l’engagement. L’un effectue le parcours en 2 h 15, l’autre en 38 minutes. Le 3 juin, un nouveau pigeon est lâché pour demander un bombardement des lignes allemandes afin de desserrer l’étreinte. Très éprouvé par les conditions, il faut 3 heures à ce pigeon pour parvenir au colombier de la citadelle de Verdun.

Il ne reste qu’un pigeon : le biset matricule 787-15. Raynal le lâche le 4 juin à 11 h 30, porteur d’un colombogramme demandant à la hiérarchie militaire un urgent soutien. Asphyxié par les gaz dès avant son départ du fort et désorienté par les fumées des combats et le fracas des explosions, le pigeon réussit néanmoins à échapper aux tirs ennemis. Porteur du dernier message de Raynal, il parvient à gagner le colombier le 5 juin après plus de 16 heures d’une errance probablement liée à son inexpérience – il est né l’année précédente – mais aussi à son état physique dégradé et à un stress intense causé par la violence des combats. Grâce aux soins qui lui sont prodigués, le matricule 787-15, rebaptisé Vaillant pour saluer sa bravoure par les colombophiles militaires qui l’ont réceptionné, survit à cette mission.

Cité à l’ordre de la Nation

Hélas ! les épreuves endurées par le matricule 787-15 n’auront servi à rien : nommé deux mois plus tôt par Joffre, le général Nivelle est impuissant à porter secours aux soldats encerclés dans le fort de Vaux. Dès lors, la reddition est inévitable : contraint par les pertes en hommes, l’état des blessés qui ne peuvent être soignés, et le dénuement total qui affecte une garnison quasiment dépourvue de vivres et d’eau depuis près de 3 jours, le commandant Raynal s’y résout le 7 juin, la mort dans l’âme. Tous les soldats survivants et leur chef, accompagné du chien Quiqui, sont faits prisonniers. Raynal sera transféré quelques jours plus tard à la citadelle de Mayence.

Après la guerre, Vaillant, « mort pour la France », est Cité à l’ordre de la Nation : « Malgré les difficultés énormes résultant d'une intense fumée et d'une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l'avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication de l'héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de cet officier. Fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier ». Il reçoit en outre la « bague d’honneur » délivrée aux pigeons-soldats ayant rendu d’éminents services.

En 1920, Vaillant est exposé au Grand Palais de Paris par la Société centrale d’Aviculture. Grâce à une publication de sa photo et de sa citation dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Miroir, il accède à une renommée qui ne sera jamais démentie. Et pour cause : les Français cherchaient des héros, le matricule 787-15 devient l’un de ceux-là. Mais une question se pose : qu’est devenu ce pigeon au cours des années suivantes ? Apparemment, nul ne le sait.

Cela n’empêche pas la dépouille naturalisée du biset Vaillant, héros malgré lui de la terrible bataille de Verdun, de réapparaître on ne sait quand et d’être exposée au Musée colombophilie militaire dans l’enceinte du Mont Valérien. Non seulement en mémoire de sa bravoure, mais aussi au titre d’hommage aux 30 000 pigeons qui, sur tous les théâtres d’opérations, ont été utilisés durant la Grande guerre comme « agents de liaison » par les officiers de l’armée française. Des pigeons qui ont payé un très lourd tribut au conflit : les deux tiers ont été tués lors des combats ou en accomplissant leur mission.

Dépouille naturalisée de Vaillant, matricule 787-15

Contrairement à ce qui est affirmé ici et là, Vaillant n'est pas mort après avoir délivré aux colombophiles de Verdun le message destiné à l’état-major. Mais il s’agit là de la thèse dominante, probablement confortée par le texte de la citation où il est écrit « est arrivé mourant au colombier ». Cette thèse n’en est pas moins réfutée par des historiens, notamment dans la région Centre. Et cela jusque dans les colonnes de La Nouvelle république : en 2014 puis 2020, il y est affirmé que Vaillant aurait été recueilli par la Compagnie militaire de colombophilie du 8e Régiment de transmissions, basée dans le quartier Marescot de Montoire-sur-le-Loir. Et c’est là, dans le Loir-et-Cher, que Vaillant serait mort en janvier 1939, âgé de 24 ans, avant d’être naturalisé et envoyé au Mont Valérien.

Certains vont même jusqu’à affirmer que Vaillant serait mort durant la même semaine que le colonel Raynal ! Étonnant, non ? Mais quand la légende est belle...

Le commandant Raynal et Quiqui

Mon grand-père maternel, un paysan lozérien affecté au 142e Régiment d’Infanterie de Mende, a combattu au fort de Vaux sous les ordres du commandant Raynal. Lorsqu’elle était enfant, ma mère conduisait le bétail avec un chien, aussi intelligent qu’affectueux, nommé Marquis. En fin de vie, mon grand-père, m’a confié qu’il l’avait appelé ainsi en souvenir du fort de Vaux dont je lui avais ramené peu avant une photo de la plaque commémorative, prise lors d’un voyage en Lorraine.

Où il est également question de pigeons-voyageurs :

Il y a 150 ans : le prodigieux voyage du « Ville d’Orléans » (novembre 2020)

Septembre 1870 : les « papillons de Metz » et les « ballons montés » de Paris marquent la naissance de la Poste aérienne (septembre 2020)

Le colombogramme transmis par Vaillant
Plaque apposée sur le fort de Vaux

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