Vernissage

par C’est Nabum
samedi 4 novembre 2023

 

La coupe est pleine.

 

Ils exposent, ils s'exposent et attendent de nombreux visiteurs le cœur rempli du désir de séduire, de toucher, de trouver des regards bienveillants. Ils ont choisi leurs œuvres avec soin, pensé une cohérence dans celles qu'ils vont ainsi offrir à l'admiration d'inconnus. Ils ont mis beaucoup d'eux-mêmes dans ces réalisations qui les dévoilent et les racontent, les mettent à nu et en danger.

Ils connaissent l'angoisse de l'ouverture, ce moment terrifiant où enfin, ce qui leur a demandé tant de patience et d'effort, tant de temps et de réflexion sera présenté au grand jour devant des amis et des inconnus. Ils redoutent leurs réactions, craignent des remarques acerbes, espèrent approbation ou mieux encore admiration en rêvant d'une vente qui matérialiserait un coup de cœur.

La vente, ils la redoutent tout comme ils la désirent. Ce sera dire adieu à ce tableau avec lequel ils ont été en communion pendant si longtemps, c'est ne plus jamais le voir, le toucher, éventuellement le retoucher. C'est le voir partir pour un ailleurs loin d'eux, ne plus savoir rien de lui. C'est une forme d'abandon qui matérialise une réussite, une certaine forme de reconnaissance.

Inquiets et exaltés par ces idées troubles et confuses, ils sont dans l'attente et l'angoisse de l'ouverture de l'exposition. L'heure est venue de ce moment tout particulier du vernissage, cette ouverture solennelle des portes aux regards aussi inquisiteurs que gourmands. C'est du moins ce qu'ils espèrent.

Ils arrivent, endimanchés. Beaucoup ont fait des efforts de toilette. Le moment est d'importance ; il convient de s'y montrer pour certains, le passage est obligé ; il faut se plier à cette corvée pour d'autres, l’événement attire quelques curieux ; ils promèneront un regard bienveillant. Il y a les officiels, certains sont là pour honorer un statut, d'autres par goût personnel. Tous constituent un public si disparate que les artistes ne sentent déplacés parmi eux.

Le ballet débute par le tour des invités. Combien ont pris le temps de parcourir toutes les œuvres ? Il y a bien eu le tour des notabilités, accompagnées par l’organisateur ou le commissaire de l’exposition, une troupe suit à distance ce cortège convenu. Les artistes un à un ont droit à un petit commentaire, une apologie succincte de leur travail, un mot flatteur, un regard rapide avant de passer au suivant au pas de course.

Le moment des discours arrive. C'est le passage obligé avant l'ouverture des bouteilles de champagne et la curée vers les petits fours. Il convient de ne pas lorgner vers les préparatifs du traiteur et feindre l'intérêt et la politesse. Certains se mettent en position pour parvenir les premiers au buffet, d'autres s'écartent pour converser à l'écart des palabreurs, quelques-uns s'isolent pour ne se préoccuper que de leur téléphone. Les autres tentent de faire bonne figure devant un parterre d'orateurs à la petite semaine.

L'usage du micro demeure une variable aléatoire dans ce genre de cérémonie comme si se faire réellement entendre n'avait pas la moindre importance. Le brouhaha dans pareil cas est l'expression même que les paroles s'envolent devant une assemblée préoccupée seulement de se trouver bien placée sur la ligne de départ pour les nourritures terrestres. On mesure bien que les propos tenus n’aient pas grand-chose à voir avec ce qui est exposé. Il est d'ailleurs si difficile d'évoquer ce sujet si complexe de la création artistique…

Le micro finit par se taire. La ruée peut commencer. C'est le moment choisi par les spécialistes de la chose pour arriver sans avoir eu à piétiner d'impatience. Ils vont directement à la grande table sans même prendre le temps d'un rapide coup d'œil. L'estomac a ses raisons que le regard ignore. Il s'agit alors de discourir, de converser, de ratiociner une coupe à la main et la bouche pleine tandis que les artistes exposés se désolent de tant d'indifférence. Il leur appartient encore de surveiller leurs tableaux délaissés. Quelques mains adroites pourraient décrocher le pompon sans bourse déliée. Dans un vernissage, tous ne sont pas sages.

 


Lire l'article complet, et les commentaires