François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !

par Sylvain Rakotoarison
lundi 4 mars 2024

« J’ai siégé dans cette assemblée pendant vingt-deux ans et au Sénat pendant trois ; j’ai été membre du gouvernement de la République pendant douze ans. Jamais, durant quelque trente-six années de vie publique, on n’a trouvé une seule action de ma part qui ait été influencée par une puissance étrangère. J’ai toujours défendu l’intérêt national, tel que je le conçois, et cette attitude n’a pas changé. » (François Fillon, le 2 mai 2023, auditionné à l'Assemblée Nationale).

L'ancien Premier Ministre et ancien candidat à l'élection présidentielle François Fillon atteint son 70e anniversaire ce lundi 4 mars 2024. Que devient-il ? À part dans les chroniques judiciaires ? Des trois rivaux de la primaire LR de novembre 2016, il est probablement celui qui a tourné le plus facilement la page de la politique.

En effet, dès le 19 novembre 2017, il a transmis la présidence de son mouvement Force républicaine à Bruno Retailleau, son dauphin, en disant à ses sympathisants de n'avoir ni regrets ni soupirs à cause de sa défaite : « Dans la défaite, le chef se retire sans chercher d'excuses, et sans donner de leçons ! ». Dès lors, il a définitivement quitté la vie politique et se consacre depuis 2017 à d'autres activités professionnelles : « En 2017, dans les circonstances que chacun ici connaît, j’ai quitté la vie publique de manière définitive et entamé une carrière professionnelle. Cette carrière ne regarde que moi : je n’ai de comptes à rendre à personne sur la manière dont je la conduis, dans le respect naturellement des lois de la République et des règlements européens. Depuis cette date, je suis une personne privée. ». Alors que Nicolas Sarkozy, qui a aussi quitté l'avant-scène politique après son échec cinglant à cette primaire, reste toujours sur son observatoire, prêt à surgir pour tenter d'influencer sur certains sujets, et Alain Juppé, le plus accro des trois, est membre du Conseil Constitutionnel depuis mars 2019, c'est-à-dire jusqu'en mars 2028, où il aura 82 ans !

C'est justement parce que François Fillon a quitté la vie politique et a d'autres activités (particulièrement lucratives) que la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées, visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, constituée le 6 décembre 2022 et close le 1er juin 2023, s'est intéressée à l'ancien Premier Ministre.

Cette commission, présidée par le député RN Jean-Philippe Tanguy et dont la rapporteure est la députée Renaissance Constance Le Grip, a été créée sous l'impulsion du RN (chaque groupe a le droit à une commission d'enquête par session) pour tenter de réduire les rumeurs sur les relations entre le RN et la Russie. Ce n'est pas le sujet de cet article, je ne l'évoquerai donc pas. En revanche, ce qui était intéressant, c'est que François Fillon, qui a quitté la vie publique notamment pour protéger sa famille après la sinistre affaire qui porte son nom, a trouvé d'autres sources très rémunératrices dans le domaine économique et financier, notamment en créant un fonds d'investissement international consacré à la transition énergétique (qui gère aujourd'hui 2 milliards d'euros d'actifs), ce qui est son droit.

Ce qui inquiétait plutôt, c'était sa nomination, en 2021, dans le conseil d'administration de deux entreprises russes, le groupe pétrolier Zaroubejneft (juillet 2021) et le groupe de pétrochimie Sibur (décembre 2021) contrôlé par des oligarques russes proches de Vladimir Poutine et du FSB, ce qui n'est pas rare parmi les anciens chefs de gouvernement européens puisqu'on connaît aussi (entre autres) les accointances de deux autres anciens Premier Ministres sociaux-démocrates, l'Allemand Gerhardt Schröder et l'Italien Matteo Renzi. C'est pourquoi la commission d'enquête a souhaité interroger François Fillon pour comprendre plus précisément ses liens avec la Russie.

À la déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine, le 24 février 2022, ce fut donc un choc de découvrir ou redécouvrir cet état de fait. Il a fallu une journée de pression médiatique pour que François Fillon acceptât finalement de démissionner de ces deux postes d'administrateur le 25 février 2022, mais c'était à contre-cœur. Le 24 février 2022, il avait choqué jusqu'à ses amis de LR pour avoir trouvé des circonstances atténuantes à Vladimir Poutine : « En 2014, j’ai regretté les conditions de l’annexion de la Crimée et aujourd’hui je condamne l’usage de la force en Ukraine. Mais depuis dix ans, je mets en garde contre le refus des Occidentaux de prendre en compte les revendications russes sur l’expansion de l’OTAN. Cette attitude conduit aujourd’hui à une confrontation dangereuse qui aurait pu être évitée. ». Quant à ses opposants, le député européen PS Raphaël Glucksmann a même été très loin dans ses accusations : « François Fillon est un employé de Vladimir Poutine. Il va falloir mettre un terme à toutes ces trahisons. ».

À son audition parlementaire, François Fillon a évidemment rejeté toute idée d'avoir été influencé par la Russie en rappelant qu'il a toujours eu cette conviction que la relation avec la Russie était un élément stratégique majeur tant pour la France que pour l'Europe : « Une immense partie de la Russie appartient au continent européen. On peut aimer ou non la Russie, être en accord ou en désaccord, et il y a bien des raisons de l’être, avec ses régimes successifs, il est incontestable que sa proximité nous oblige à trouver un mode de relations susceptible d’assurer la paix et la sécurité. ». Cela a expliqué pourquoi, tout jeune président de la commission de la défense de l'Assemblée Nationale, il a fait son premier déplacement en Russie en 1986, et il y est retourné quand il était redevenu député de l'opposition, en 1988, accompagnant alors Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la Défense, qui avait insisté pour qu'il l'accompagnât afin de montrer à la Russie (encore soviétique) le consensus national de la France sur les questions de défense.

En tant que membre de l'exécutif, François Fillon n'aurait pas été confronté lui-même à des ingérences russes, au contraire des ingérences américaines, mais il en a réduit la portée éventuelle : « Je n’ai pas été concerné directement par des ingérences russes, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas : la Russie, comme toutes les grandes puissances, tente de faire prévaloir son point de vue ; elle le fait souvent d’une façon assez grossière et, de mon point de vue, peu efficace. (…) Ces tentatives d’ingérence sont tellement visibles ! Comment penser que les populations de nos pays soient à ce point influençables, que des comptes fantômes sur les réseaux sociaux, effectivement massivement utilisés par les Russes comme par d’autres, aient une influence réelle sur les scrutins ? L’idée que la Russie aurait été à l’origine du Brexit, comme on l’entend assez souvent, me paraît totalement farfelue. Non que les Russes n’aient pas cherché à influencer les votes, mais il y avait en Grande-Bretagne un mouvement de fond favorable au Brexit indépendamment de toute ingérence russe. De même, soutenir, comme le font des Américains y compris de très haut niveau, que les Russes ont fait élire le Président Trump me semble relever du fantasme. Non, là encore, qu’ils n’aient pas essayé d’agir en ce sens. Mais de façon générale, l’effet des opérations de désinformation sur les réseaux sociaux me semble, sinon négligeable, du moins marginal. D’une manière générale, la Russie est un pays qui fonctionne de manière assez brutale. ». Un peu plus tard, il a répété cette conviction en confiant un élément de vie personnelle : « Quand on connaît la Grande-Bretagne comme je la connais, on sait que le sentiment anti-européen y est historiquement très important. Certes, il peut y avoir une ingérence étrangère, mais on ne peut pas dire qu’elle est précisément la cause du Brexit. Comme chacun sait, j’ai épousé une Anglaise et dès mes premières visites chez elle, j’ai eu droit à chaque repas à la leçon anti-européenne de son père, qui est mort sans jamais changer d’avis sur le sujet. ».

Et l'ancien Premier Ministre s'est dit convaincu très tôt que la Russie ne constituait plus un danger militaire pour l'Europe : « Lors du voyage de la délégation de la commission de la défense en 1986, nous étions déjà un certain nombre à être convaincus que l’URSS ne présentait plus de menace militaire vraiment existentielle pour les Européens, exception faite du nucléaire. Le système soviétique fonctionnait mal. Les Russes avaient beau accumuler les armes et les soldats, disposer d’une puissance immense, il y avait toujours quelque chose qui clochait, on avait oublié de mettre de l’essence dans le réservoir du char, il y avait des problèmes d’organisation, il manquait quelqu’un à son poste, untel n’avait pas fait son boulot. Au cours de mes visites en URSS puis en Russie, rien ne se passe jamais comme prévu. L’exemple le plus triste mais le plus significatif du mauvais fonctionnement du pays est l’accident qui a coûté la vie à M. de Margerie, le PDG de Total : on confie à un employé qui a sans doute un peu abusé de la vodka un matériel qu’il n’a jamais conduit et on l’envoie dans une partie de l’aéroport où il n’est jamais allé. La Russie est un immense pays, mais d’une assez grande fragilité en raison de ses dysfonctionnements. ».

Lorsqu'il était à Matignon, François Fillon constatait qu'il y avait une possibilité de dialoguer, certes difficilement, avec la Russie. Deux exemples, la Géorgie et l'aéronautique : « Au mois d’août 2008, la Russie était (…) entrée en conflit avec la Géorgie. Le Président Sarkozy, qui était Président de l’Union européenne en exercice, s’était rendu à Moscou. Après une discussion assez orageuse, il avait obtenu l’arrêt des combats et le retrait des forces russes. (…) Les contrats ont été signés dans le respect des règles françaises et russes. Nous avons eu parfois des discussions un peu difficiles avec le gouvernement russe et avec Vladimir Poutine, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir perdu une seule négociation, j’ai vérifié avant de me rendre à cette audition. Il y eut par exemple une négociation extrêmement difficile à propos d’un avion de transport, le Soukhoï SuperJet 100, une sorte de petit Airbus, construit en coopération avec Thales, qui s’occupait de l’avionique, et Safran, qui fournissait les moteurs. Vladimir Poutine voulait que nous en achetions. Il menaçait, dans le cas contraire, de retirer aux Airbus A380 le droit de survoler la Sibérie. La discussion a duré trois heures. L’ensemble des gouvernements français et russe attendaient pour déjeuner : nous avons terminé à seize heures mais nous n’avons pas acheté le SuperJet 100 et l’A380 a continué à survoler la Sibérie ! Cela montre qu’à cette époque, la négociation avec la Russie était parfois difficile, mais elle était possible. ».
 

Aux membres de la commission d'enquête, François Fillon a expliqué en détail comment il en est venu à devenir administrateur de deux entreprises russes : « Dans le cadre de mes missions en Russie pour le compte d’un nombre important d’entreprises françaises, j’ai été amené à plusieurs reprises à rencontrer le président de Zaroubejneft, une entreprise pétrolière qui n’intervient qu’en dehors de la Russie. Elle exploite pour l’essentiel des gisements de pétrole et de gaz en Asie, beaucoup au Vietnam, et quelques-uns en Amérique latine et en Asie centrale. Je lui ai proposé des coopérations avec des entreprises françaises, notamment avec CIFAL. Cela n’a jamais abouti mais, à la suite de ces discussions, il m’a proposé d’entrer au conseil d’administration de Zaroubejneft. J’ai considéré que c’était utile au développement de mes activités professionnelles en Russie, puisque mon projet était de continuer à y développer des activités de conseil pour les entreprises françaises et européennes. J’ai accepté. Je l’ai fait d’autant plus facilement qu’il n’y a strictement aucune friction entre Zaroubejneft et la France : cette entreprise n’intervient pas en France et n’a pas de rapports avec notre pays ou avec les entreprises pétrolières françaises. Dans la foulée de cette nomination au conseil d’administration de Zaroubejneft, j’ai été sollicité par le président de Novatek, la société pétrolière associée à Total notamment pour l’exploitation des gisements gaziers de Yamal, pour siéger au conseil d’administration de Sibur, une société privée de pétrochimie. J’ai accepté. J’étais chargé, cela fera sourire certains, mais c’est ainsi, d’une certaine occidentalisation de l’entreprise, c’est-à-dire d’introduire dans sa gestion des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Je ne vais pas pouvoir vous en dire beaucoup plus, pour une raison très simple : tout cela a eu lieu à la fin de l’année 2021. J’ai assisté à un conseil d’administration de Zaroubejneft, à un de Sibur, en visioconférence en raison du covid, et dès l’invasion de l’Ukraine par la Russie, j’ai démissionné de ces conseils d’administration. ».

Titillé par la rapporteure Constance Le Grip, ancienne membre de LR (et désormais élue de la majorité présidentielle), François Fillon a reconnu les motivations des propositions que lui avaient faites des entreprises russes : « C’est évidemment mon expérience d’ancien Premier Ministre et d’ancien ministre qui est souhaitée lorsque je siège dans un conseil d’administration, que ce soit en Russie ou dans une société d’investissement en France. Il serait quand même utile qu’on reconnaisse qu’avoir été pendant cinq ans chef du gouvernement vous donne une certaine expérience, et pas seulement un carnet d’adresses, comme je le lis si souvent. Quand on a exercé des responsabilités politiques, dans la gestion de grandes collectivités locales puis au gouvernement, on a un savoir-faire, une capacité à gérer des situations difficiles qui sont naturellement recherchés par des entreprises. ».


Jusqu'à presque s'énerver : « Je rappelle que j’ai quitté la vie publique. Je suis une personne privée et je mène ma carrière professionnelle comme je l’entends. Si j’ai envie de vendre des rillettes sur la place Rouge, je vendrai des rillettes sur la place Rouge ! L’idée que je n’aurais plus le droit d’avoir quelque activité professionnelle que ce soit parce que j’ai été Premier Ministre n’est, selon moi, pas acceptable. Ce n’est pas du tout ce que vous avez dit, mais c’est ce qu’un certain nombre d’observateurs pensent. ».

Il a toutefois tenu à répondre à la rapporteure sur les risques d'ingérence : « Vous êtes fondée à me demander s’il s’agit d’un cas d’ingérence étrangère. Je réponds non, pour trois raisons. La première est que c’est moi qui suis allé en Russie pour développer mes activités professionnelles, avant que n’éclate la guerre. Ce ne sont pas les Russes qui sont venus me chercher. Deuxième raison, les entreprises dans lesquelles j’ai accepté de siéger n’ont pas de relations stratégiques avec la France. Sibur lui vend un peu de matériaux qui servent à fabriquer des pneus, et Zaroubejneft rien du tout. La troisième raison, mais là il faudra me croire sur parole, est que tout mon parcours montre que je ne suis pas sensible aux ingérences étrangères. Mes convictions sur la nécessité d’une relation réaliste entre la France et la Russie ne datent pas de l’époque où j’ai siégé dans des conseils d’administration : elles remontent à 1986, à l’époque où la Russie s’appelait l’URSS. Personne ne peut donc espérer me faire changer d’avis, d’une manière ou d’une autre. Je considère qu’il n’y a là aucune ingérence étrangère. ».

Il en a donné d'ailleurs une définition précise : « La frontière entre influence et ingérence est par exemple franchie lorsqu’un État appelle à voter pour un candidat à une élection présidentielle, ou finance la vie politique, ce qui n’est plus possible en France mais le reste dans d’autres pays. Pour le reste, si des télévisions défendent le point de vue de la Russie, du Qatar ou de je ne sais qui, il faut simplement le savoir et faire confiance à la capacité de jugement de nos concitoyens et à la pluralité de l’information dans un pays comme le nôtre. La ligne qui ne doit pas être franchie est celle qui consiste à s’ingérer directement par des consignes de vote, par le choix de candidats ou par le financement de la vie politique. ».

Interrogé par le député FI Aurélien Saintoul, l'ancien Premier Ministre a précisé les conditions de son entrée dans les deux conseils d'administrations dont il était question : « Il faut préciser que siéger au conseil d’administration n’est pas une fonction exécutive. Toutes les entreprises du monde ont un conseil d’administration, avec des administrateurs qui y siègent en général de trois à cinq fois dans l’année. Ils apportent leur regard, leur jugement. Ils sont membres du comité d’audit ou censeurs. Ils exercent des fonctions non pas exécutives, mais de contrôle, auxquelles chacun, dès lors qu’il a une certaine compétence et une certaine connaissance du fonctionnement des affaires, peut apporter une plus-value. (…) La société Zaroubejneft est incontestablement une société d’État. Le processus de mon recrutement a été le suivant : une sollicitation du directeur de l’entreprise ; une discussion sur la mission, par exemple sur ses contraintes et le rythme des réunions ; puis une nomination par décret, car c’est ainsi que cela fonctionne en Russie. Que pouvais-je apporter à Zaroubejneft ? Un regard sur la situation internationale. En Asie, j’ai développé des activités pour le fonds d’investissement français dont j’étais partenaire, notamment au Japon et à Singapour. Depuis que j’ai changé de vie, je vais souvent en Asie. Quant à la société Sibur, elle est totalement privée. Elle m’a demandé d’être une sorte de référent sur les sujets d’environnement et de gouvernance, ainsi que sur les sujets sociaux. Je ne peux vous en dire beaucoup plus, n’ayant jamais réellement siégé dans ces conseils d’administration. Je précise d’ailleurs que je n’ai jamais touché un centime d’argent venu de Russie, dans toute ma vie politique et privée. Certes, si j’étais resté membre de ces deux conseils d’administration, j’aurais été rémunéré, comme tout membre d’un conseil d’administration. Mais ayant démissionné dans les conditions que vous savez, je n’ai jamais touché un centime d’argent en provenance de Russie. ».

Cette dernière phrase est finalement essentielle, même s'il a l'honnêteté d'ajouter qu'il n'a reçu aucune rémunération en provenance de la Russie parce qu'il n'en a pas eu le temps à cause de la guerre en Ukraine, mais cela signifie qu'il a toujours gardé sa liberté de discernement sur la politique avec la Russie et que cette affirmation est plus facilement crédible lorsqu'on n'en reçoit rien.

Au cours de son audition, François Fillon est revenu aussi sur la guerre en Ukraine : « Il y aurait d’ailleurs beaucoup de choses à dire sur ce conflit, et vous savez que j’ai une opinion qui n’est pas forcément tout à fait la même que ce qu’on entend à longueur d’émissions sur les chaînes d’information en continu. Mais je ne m’exprime pas sur ce sujet parce que, la France étant en conflit avec la Russie, à tort ou à raison, ce qui compte pour moi est l’intérêt de mon pays et je ne ferai donc rien qui puisse gêner son gouvernement dans la gestion de ce conflit. (…) Je pourrais vous [dire] que les signes avant-coureurs auraient pu nous conduire à prendre des mesures pour éviter cette catastrophe absolue. Toutefois, soucieux de ne pas gêner l’action du gouvernement par des jugements sur la façon dont toute cette affaire a été gérée, je m’abstiendrai. Je me suis trompé sur un point et le reconnais bien volontiers : j’étais convaincu que le Président Poutine ne passerait pas à l’acte. La veille de l’invasion, j’ai eu une discussion avec le Vice-Premier Ministre russe en charge de l’énergie dans le cadre de l’organisation, notamment pour CIFAL, d’une sorte de forum ou de colloque réunissant des entreprises russes et toutes les grandes entreprises françaises intéressées par les questions de l’hydrogène et de la production d’hydrogène propre. Si vous vous souvenez du déroulé des événements, une partie des forces russes massées à la frontière avec l’Ukraine pour des exercices avait été retirée. Tout le monde y avait vu le signe d’une forme de détente. Tel était exactement le climat de l’entretien que j’ai eu la veille de l’invasion. Si l’on y réfléchit, la décision d’envahir l’Ukraine est terrible. Elle est terrible pour tout le monde, mais d’abord pour la Russie, qui a commis une erreur et une faute qui aura des conséquences à très long terme pour elle, pour l’Ukraine et pour l’Europe. ».
 

Et de confier sa propre expérience : « Cela ne ressemble pas au Président Poutine que j’ai rencontré de manière intense de 2007 à 2012. Je l’ai revu à deux reprises, dans des manifestations publiques, de 2012 à 2017. Par la suite, je l’ai vu une fois, en 2018. Je participais au Conseil mondial du sport automobile de la Fédération internationale de l’automobile, dont j’étais l’un des vice-présidents et qui se tenait à Saint-Pétersbourg. Le Président Poutine, apprenant que j’y étais, a demandé à me voir. En chemin vers Moscou, n’exerçant plus aucune responsabilité publique, je me suis demandé de quoi nous allions parler. Après avoir passé en revue les thèmes de l’entretien, j’ai choisi de lui dire d’emblée que la situation d’isolement diplomatique dans laquelle la Russie s’installait en raison du conflit au Donbass et de la question de la Crimée était une impasse, et qu’il devait ouvrir le dialogue diplomatique pour essayer d’en sortir. Je me souviendrai toujours de sa réponse : il m’a regardé d’un air dubitatif et m’a dit : "Ah oui ? Et avec qui parler ?". N’ayant pas suffisamment réfléchi à cette question, j’ai pensé à la totalité des chefs d’État et de gouvernement européens et ai fini par lui dire de parler avec le Président Macron. En rentrant de ce voyage, j’ai appelé le Président Macron pour le tenir informé de cet échange et lui indiquer qu’il y avait, de mon point de vue, une voie de dialogue avec la Russie qu’il fallait ouvrir. C'est tout ce que je puis vous dire à ce niveau. Je pense qu’il y avait des solutions pour éviter cette crise. Nous avons réussi à arrêter la Russie en Géorgie ; je pense qu’il était possible de le faire en Ukraine, peut-être pas au moment où nous nous y sommes pris, mais en 2014, lorsque la dégradation des relations a commencé. C’est en 2014 qu’il aurait sans doute fallu être plus actif sur le plan diplomatique. À présent, ce constat ne sert pas à grand-chose. La situation est dramatique, durera longtemps et ouvrira, de mon point de vue, une fracture très importante entre le monde occidental et une grande partie du reste du monde. (…) Je pense sincèrement qu’il y a un Poutine d’avant et un Poutine d’après : le Président Poutine a d’abord été obnubilé par le développement économique de son pays, cela correspond à la période que j’ai évoquée tout à l’heure. Puis, ses résultats économiques n’étant sans doute pas excellents et surtout le temps passant, son caractère et son comportement ont évolué. ».

Enfin, sur les sanctions contre la Russie, François Fillon ne les a pas trouvées pertinentes : « Personne ne m’a interrogé sur les sanctions mais vous savez que j’y suis totalement hostile, pour trois raisons. La première raison, c’est que cela n’a jamais marché : il n’y a pas un seul exemple dans le monde d’un pays important qui a baissé la tête parce qu’on lui a imposé des sanctions économiques. (…) La deuxième raison, c’est qu’elles ont des répercussions assez désastreuses sur notre économie mais pas forcément aussi graves qu’on le dit sur l’économie d’en face. En Russie, entre 2014 et 2020, tout un pan de l’économie s’est créé pour répondre aux sanctions : la Russie produit aujourd’hui du fromage et de la viande bovine, ce qui n’était pratiquement pas le cas autrefois, et c’est vrai aussi dans bien d’autres secteurs. La troisième raison est encore plus grave. Il faut se rendre compte que les sanctions viennent toujours du même endroit : les États-Unis et l’Europe. Ce sont les Occidentaux qui imposent des sanctions au reste du monde. Si vous ne ressentez pas à quel point cette politique fait monter dans le monde un ressentiment contre les Occidentaux, alors vous ne voyez pas arriver l’orage qui va malheureusement s’abattre sur nous. Nous ne pouvons plus parler au reste du monde comme si nous étions les maîtres de la classe. Nous avons le devoir de faire preuve d’un tout petit peu plus de compréhension et de tact dans notre manière de traiter le reste du monde. Si une immense majorité de la population mondiale réside dans des pays qui ne s’associent pas aux sanctions contre la Russie, ce n’est pas parce qu’ils soutiennent la Russie mais parce qu’ils ne supportent plus ce qu’ils considèrent comme une forme d’arrogance de la part de pays riches face à des pays plus pauvres. ».

Le journaliste Jacques Follorou n'a pas semblé convaincu par l'ancien candidat à l'élection présidentielle si l'on en croit son compte rendu dans "Le Monde" du 3 mai 2023 qui a lâché de manière un peu simpliste et lapidaire : « Tout au long des deux heures et demie d’audition, le débat aura eu des airs de dialogue de sourds. Refusant que l’on mette en doute sa probité, François Fillon revendique une liberté de choix et ne comprend pas que les membres de la commission trouvent malice à ce qu’un ancien Premier Ministre vende à une puissance autoritaire un savoir et un réseau acquis dans le cadre de ses fonctions publiques. ». Reste à imaginer la réaction de la France le 24 février 2022 , si elle avait été dirigée par François Fillon. Pas sûr que l'intérêt national aurait été le seul guide. Mais justement, il n'est plus "aux affaires", il fait juste des "affaires".


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !
Et voici que François Fillon revient...
A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
François Fillon, victime de la morale ?
Une affaire Fillon avant l’heure.
François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
Matignon en mai et juin 2017.
François Fillon et son courage.
Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
Macron ou Fillon pour redresser la France ?
François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
L’autorité et la liberté.
Un Président exemplaire, c’est…
Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).




 


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