« DIEU OBSCUR. Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament » par Thomas Römer - Labor et Fides - 1998

par JPCiron
jeudi 28 juillet 2022

« Dans un contexte où les discours intégristes, qu'ils s'appuient sur la Bible ou sur le Coran, font de nouveau surface d'une manière inquiétante, il est impossible d'ignorer des textes qui présentent Dieu comme violant les droits de l'homme ou comme purificateur ethnique. » (1)

Dans cet article, à l'occasion, j'insère [ un commentaire personnel ].

 

Un petit ouvrage de 130 pages, bien construit, facile à lire, enrichissant (Labor et Fides - 1998)

 

 

Si l'on prend la peine de lire l'Ancien Testament, on découvre vite, avec surprise, un Dieu qui apparaît être colérique, cruel, violent, jaloux, vengeur, meurtrier, arbitraire,... lequel contraste avec celui qui nous a été raconté par nos prêtres. [ Quand, en Occident, on présente ces versets 'inquiétants' de la Bible au quidam moyen, il aura plutôt tendance à les attribuer au Coran... ]

Saluons donc l'ouvrage de Thomas Römer qui aborde frontalement plusieurs 'points sensibles', les uns après les autres.

 

Un des premiers problèmes est cette surprise que l'auteur pointe du doigt  : le chrétien moyen a eu accès à la connaissance de Dieu par la doctrine exposée par les prêtres et non par la lecture des livres de l'Ancien Testament. Entre les deux, est parfois un ravin. Et la rive 'lecture', souvent, fait naître un sentiment initial de rejet, de dégoût et d'incompréhension.

 

[ Techniquement, comment ce problème a-t-il pu se perpétuer durant tant de siècles, au moins pour le Vatican ? Pour deux raisons : tout d'abord par la mission que s'assigne l’Église (enseigner, sanctifier, gouverner) : un job exclusif (2). Ensuite, pendant fort longtemps, par une restriction d'accès aux livres pour le bon peuple. En clair, « La Bible, qui est le code de lois donné par Dieu aux hommes, a été largement remplacée par les ordonnances de l'Église. » (3) ]

 

De nos jours, l'accès aux livres est libre. Mais lors des échanges avec les prêtres, c'est toujours la doctrine qui est mise en avant, et « Tout ce qui peut paraître obscur et incompréhensible dans les textes vétérotestamentaire est soit gommé ou trop vite intégré dans des lectures apologétiques et harmonisantes. » (1)

 

De fait, l'accès au sens et à la compréhension des textes n'est la plupart du temps disponible qu'à travers l'intermédiaire-médiation du clergé. Le fait de laisser un accès libre aux livres, dans notre propre langue, sans les outils pour les interpréter correctement, est un problème. Qui crée du rejet, etc.

Ce qui manque donc sont les moyens d'avoir accès à un savoir permettant de replacer les différents versets dans le contexte culturel et historique (souvent violent et cruel) qui ont présidé à la rédaction de ces textes.

[ mon sentiment est qu'il y a trop de 'chapelles' aux vues plus ou moins divergentes -et aux positions plus ou moins intégristes- pour pouvoir disposer de versets sur une page et, sur la page d'en face, d'avoir une explication-clarification à support.]

 

Pourtant, [ Il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. (Luc 12:2) ]

 

Et ce sont les thèmes que Thomas Römer 'décortique' dans nombre de ''points sensibles'' dans son livre : Dieu est-il mâle ? Dieu est-il cruel ? Dieu est-il despote et guerrier ? Dieu est-il violent et vengeur ? Dieu est-il compréhensible ?

 


JOB, peinture de Léon Bonnat – 1880 – Public Domain

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%C3%A9on_Bonnat_-_Job.jpg

 

 

Parmi les différents intéressants ''points sensibles'' décortiqués dans le livre, j'aimerais partager un peu un aspect relatif à L'HISTOIRE DE JOB, qui m'a toujours touché. Le fonds du problème qui émane de l'histoire de Job est finalement de savoir si Dieu est compréhensible pour l'homme, ou non.

 

 

« Le malheur poursuit ceux qui pèchent, Mais le bonheur récompense les justes. » (Proverbes 13:21). Voilà là résumée la Théologie de la Rétribution qui habite la Bible.

Mais la Bible dit aussi par ailleurs que « C'est l'Éternel qui dirige les pas de l'homme, l'homme peut-il comprendre sa voie ? » (Proverbes 20:21).

 

Ainsi, les humains se trouveraient divisés en deux catégories : «  Du côté de Dieu se trouvent l'ordre et les justes ; de l'autre il n'y a que le chaos et les méchant. Et Dieu, bien évidement, donne le bonheur aux justes tandis que le malheur et les souffrances sont réservés aux mauvais. » (1) Le malheur apparaît comme une sanction divine ; c'est un malheur mérité.

 

Mais l'expérience de Job est en fort contraste avec ce discours  : Job voit lui aussi les méchants prospérer, et le sort qui lui est réservé est injuste et pourrait dire : « Oui, Dieu est bon pour Israël, Pour ceux qui ont le coeur pur. Toutefois, mon pied allait fléchir, Mes pas étaient sur le point de glisser ; Car je portais envie aux insensés, En voyant le bonheur des méchants. Rien ne les tourmente jusqu'à leur mort, Et leur corps est chargé d'embonpoint ; Ils n'ont aucune part aux souffrances humaines, Ils ne sont point frappés comme le reste des hommes. Aussi l'orgueil leur sert de collier, La violence est le vêtement qui les enveloppe ; L'iniquité sort de leurs entrailles, Les pensées de leur coeur se font jour. Ils raillent, et parlent méchamment d'opprimer ; Ils profèrent des discours hautains, Ils élèvent leur bouche jusqu'aux cieux, Et leur langue se promène sur la terre. Voilà pourquoi son peuple se tourne de leur côté, Il avale l'eau abondamment, Et il dit : Comment Dieu saurait-il, Comment le Très haut connaîtrait-il ? Ainsi sont les méchants : Toujours heureux, ils accroissent leurs richesses. C'est donc en vain que j'ai purifié mon coeur, Et que j'ai lavé mes mains dans l'innocence : Chaque jour je suis frappé, Tous les matins mon châtiment est là. » (Psaume 73:1-14)

 

Job parle de son problème à ses amis... Qui se demandent si Job dit la vérité. Le malheur de Job serait-il la juste rétribution pour un péché caché ?... Job proteste « Instruisez-moi, et je me tairai ; Faites-moi comprendre en quoi j'ai péché. » (Job 6:24). Même consolé par ses amis, Job se sent perdu : « Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. » (Job 3:1).

 

Job considère qu'il n'a pas mérité son destin, et il en vient à expliquer ses souffrances par la méchanceté de Dieu : « Dieu m'a jeté dans la boue, Et je ressemble à la poussière et à la cendre. Je crie vers toi, et tu ne me réponds pas ; Je me tiens debout, et tu me lances ton regard. Tu deviens cruel contre moi, Tu me combats avec la force de ta main. » (Job 30 :19-21) Puis Job interpelle Dieu : « Oh ! qui me fera trouver quelqu'un qui m'écoute ? Voilà ma défense toute signée : Que le Tout Puissant me réponde ! Qui me donnera la plainte écrite par mon adversaire ? » (Job 31:35)

 

Un peu plus loin, un certain Elihu prend la défense de Dieu et tente d'expliquer la souffrance du juste comme un moyen pédagogique qu'utilise Dieu : « … je prouverai la justice de mon créateur. (...) Il ne laisse pas vivre le méchant, Et il fait droit aux malheureux. (...) Dieu sauve le malheureux dans sa misère, Et c'est par la souffrance qu'il l'avertit. (…) » (extraits de Job 36 : 1-15)

 

Puis Elihu avertit que la seule voie est de glorifier Dieu sans se plaindre : «  Mais si tu défends ta cause comme un impie, Le châtiment est inséparable de ta cause. (...) Dieu est grand par sa puissance ; Qui saurait enseigner comme lui ? Qui lui prescrit ses voies ? Qui ose dire : Tu fais mal ? Souviens-toi d'exalter ses oeuvres, Que célèbrent tous les hommes. (...) » (extraits de Job 36:16-33)

[ En fait, cette dernière approche de Elihu rappelle irrésistiblement le rapport au divin des Sumériens, quelques millénaires avant Job. Les sumériens pensaient avoir été pétris dans l'argile par les dieux pour être leurs serviteurs, et un destin spécifique était attribué à chaque humain.]

En outre, [ Samuel Noah Kramer, dans sa communication (1954) à la Society of Biblical Literature intitulée « Un homme et son Dieu : prélude sumérien au thème de Job  »], montre qu'en Sumer, un homme en proie à l'adversité « se contente de glorifier son dieu [ils avaient aussi un dieu personnel à qui se confier]. C'est le seul recours efficace. Qu'il le glorifie sans trêvesi injustifiés que lui paraissent sa souffrance et son malheur, qu'il gémisse et se lamente devant lui jusqu'à ce que le dieu prête une oreille favorable à ses prières.  » (4) p. 145 ]

 

Scène sculptée de type ''Maître des Animaux'' représentant le combat de Gilgamesh avec des lions. Temple de Shara à Tell Agrab, région de Diyala, Irak. Début de la période dynastique, 2600–2370 avant JC. Exposé au Musée national de l’Irak à Bagdad. Auteur : Osama Shukir Muhammed Amin FRCP (Glasg)

Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Gilgamesh_and_Aga

 

Sceau de civilisation de la vallée de l'Indus , avec le motif du Maître des Animaux d'un homme combattant deux lions (2500–1500 avant JC), similaire au motif sumérien "Gilgamesh", un indicateur des relations Indus-Mésopotamie 

Source : https://stringfixer.com/fr/Gilgamesh

 

 

La réponse de Dieu semble arriver à Job d'une manière qui évoque le thème du "Maître des Animaux" (Job 39). [ les plus anciennes représentations remontent à Sumer et à l'Indus, au III millénaire, puis se sont diffusées partout au proche-orient ] Thomas Römer explique : « Le thème de la domination sur les animaux dangereux sert à exprimer la souveraineté universelle d'un roi ou d'un Dieu au service duquel celui-ci se trouve. » Cette image a déjà été utilisée par l’Éternel dans (Jérémie 27:5-6)

Cette première réponse de Dieu (Job 39), en elle-même, semble assez obscure. Les questions que pose Dieu semblent vouloir faire comprendre à Job que son ignorance le rend incapable de juger Dieu, qui n'a d'ailleurs de comptes à rendre à personne.

 

Pour Job, retour donc à la case départ... … ou pas vraiment, car Thomas Römer fait judicieusement remarquer que ces animaux peuvent aussi symboliser les forces du Chaos. Or, l'on sait que Dieu n'a pas créé le chaos, qui était là avant sa Création, et les forces du chaos restent là après. Dieu est tout-puissant, mais « la victoire sur le chaos n'est jamais définitive. » [Toutefois, dès lors que le Chaos peut se trouver pointé du doigt en cas de situation ''injuste'' au regard de la théologie de la rétribution, cette situation pourrait néanmoins 'écorner' l'image de ''toute puissance'' associée à l’Éternel.]

 

Puis Dieu fit une seconde longue réponse (Job 40 & 41) à laquelle Job répondit : « Je reconnais que tu peux tout (…) je me condamne et je me repens sur la poussière et sur la cendre. » (Job 42:1-6). [la poussière et la cendre sont des symboles de deuil.] Ce qui signifierait que « Job ait abandonné la quête d'un Dieu compréhensible (...) par là, il prépare le chemin de Qohéleth. » (1)

 

L'Ecclésiaste (= Qohéleth) accepte ce contre quoi Job s'est révolté, c'est-à-dire l'absence de lien entre le comportement de l'homme et son destin : « (…) il y a des justes auxquels il arrive selon l'oeuvre des méchants, et des méchants auxquels il arrive selon l'oeuvre des justes. (…). » (Ec. 8:14)

 

Et l'Ecclésiaste semble aussi critiquer la posture de Job : « (…) l'on sait que celui qui est homme ne peut contester avec un plus fort que lui. (…). » (Ec. 6:10)

[ Note : on pourrait aussi considérer que cette assimilation de la relation homme-Dieu avec la règle ''du plus fort'' dans les relations homme-homme, ne grandit pas le divin, en ce qu'il ne le différencie guère de l'humain sur ce point. ]

 

Avec l'acceptation d'un Dieu incompréhensible, ce dernier devient un Dieu lointain. L'accepter ainsi reviendrait quasiment à accepter le destin qui vient, indépendamment de l'origine de ce destin, divine ou non. « La vie paraît absurde à Qohéleth, dans le sens que la recherche de sens reste sans réponse. » (1)

 

Thomas Römer souligne que « Le Dieu de l'Ecclésiaste semble tellement éloigné du Dieu des Patriarches et du Dieu de l'Exode qui se révèle à son peuple et lui communique, par la Torah, les règles de vie. »

 

JONAS rejeté par la 'baleine'. (Bible de Jean XXII) Public Domain

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jonas_rejet%C3%A9_par_la_baleine_Bible_de_Jean_XXII.jpg

 

Le Livre de Jonas (daté de vers 350 av. JC) donne aussi une image d'un Dieu surprenant qui peut changer d'avis  : il reste libre. « Car toi, Éternel, tu fais ce que tu veux. » (Jon 1:14) En effet, « sa liberté et sa miséricorde brisent définitivement le corset de la causalité dans lequel l'homme est toujours tenté d'enfermer Dieu. » (1)

 

Avec Elihu l'homme devait apprendre et attendre. Puis l'Ecclésiaste explique que le destin de chacun peut être décorrélé de son comportement. Et Jonas vient en outre nous dépeindre un Dieu qui peut être changeant, imprévisible.

Un Dieu lointain donc, et finalement bien obscur pour notre entendement.

 

[ Jusqu'aux premiers siècles de notre ère, les Israélites devaient donc accepter leur situation sans se plaindre, et devaient louer Dieu. 

Avec l'intégration subséquente du concept de l'Au-delà, commencera le Judaïsme tel que nous le connaissons. ]

 

 

[A ce point,

- Rappelons que les chercheurs datent l'Ecclésiaste des alentours de l'an 250 avant JC.

- Rappelons aussi le massacre des Macchabées (vers 170 av. JC ) ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccab%C3%A9es ) pour leur refus de désobéir aux règles de l’Éternel. Ce massacre posait le problème de (Proverbes 13:21) ''Le malheur poursuit ceux qui pèchent, Mais le bonheur récompense les justes.''

- Rappelons enfin que la destruction de Jérusalem et du Temple, vers 70 après J.C. remettait à nouveau en avant le même problème de la rétribution pour les justes.

 

… mais le concept d'Au-delà permettant d'apporter une rétribution post-mortem n'avait toujours pas été adopté-intégré dans les textes Israélites. Pourtant, la vie éternelle après la mort faisait partie intégrante (sous différentes formes) des Religions des Sumériens (III millénaire avant JC), des Égyptiens et des Perses (II millénaires avant JC). Et dans tous ces peuples, la conduite de l'homme et le respect des règles morales durant sa vie garantissait une juste ''rétribution'' (ou punition) post-mortem.

 

Voir à ce propos cet Article de synthèse sur l'Au-delà pour plusieurs grandes civilisations du Proche-Orient, durant les 3 derniers millénaires avant J.C. :

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/l-au-dela-et-la-cosmologie-de-nos-218440

 

La solution était là depuis longtemps, aux quatre coins du Proche Orient, mais les Israélites d'alors ne semblent pas y avoir eu accès. Même Moïse !

[ Il y a là une importante problématique qui reste à approfondir. Sans doute l'ajdonction de ''constructions théologiques'' dans les écritures a-t-elle parfois l'effet pervers de créer elle-même les arguments qui la déconstruisent]  ]

 

 

JPCiron

 :: :: :: :: :: :: :: :: NOTES :: :: :: :: :: :: :: :: :

 

.. (1) - Livre ''DIEU OBSCUR. Le sexe, la cruauté et la violence dans l'Ancien Testament  » par Thomas Römer – Labor et Fides - 1998

 

.. (2) – Décret sur la Charge pastorale des évêques dans l’église Christus Dominus. Oct. 1965

https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decree_19651028_christus-dominus_fr.html

(11) Chaque évêque, à qui a été confié le soin d’une Église particulière paît ses brebis au nom du Seigneur, sous l’autorité du Souverain Pontife, à titre de pasteur propre, ordinaire et immédiat, exerçant à leur égard la charge d’enseigner, de sanctifier et de gouverner.

(28) Tous les prêtres, tant diocésains que religieux, participent avec l’évêque à l’unique sacerdoce du Christ et l’exercent avec lui 

 

.. (3) – Témoignage-Opinion «  Droit Canonique contre droit divin  » par Grégor Daliard - Paragraphe : ''L'interdiction de la Bible – Le combat pour la Parole de Dieu''

www.regard.eu.org/Sectes/TXT.complet.sectes2/Droit.cannonique.html#interdiction

 

. (4) – Ouvrage « L'histoire commence à Sumer » par Samuel Noah KRAMER – Flammarion – 2017

 

JONAS et la 'baleine' (vers 1400) – (Iran) - "Jonah and the Whale", Folio from a Jami al-Tavarikh (Compendium of Chronicles) - Source image : Metropolitan Museum of Art - Purchase, Joseph Pulitzer Bequest, 1933 - https://www.metmuseum.org/art/collection/search/453683

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jonah_and_the_Whale,_Folio_from_a_Jami_al-Tavarikh_(Compendium_of_Chronicles).jpg

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