L’eau céans

par C’est Nabum
mardi 30 mai 2023

 

Ça coule de source, malgré tout.

 

Par quel étrange mystère tous mes repères terrestres se trouvent présentement chamboulés. Non seulement l'eau en cet endroit n'est point douce mais qui plus est, elle se refuse à couler comme il se doit. Alors que nos rus, ruisseaux, rivières et fleuves se dirigent tous inexorablement vers un but ultime qui se nomme mer ou océan, au terme du périple, l'eau abandonnée à son vaste destin semble déplorer amèrement sa fuite.

Par dépit ou par déploration, tout au contraire, elle ne cesse de se jeter frénétiquement sur cette côte que jusque-là, elle ne cessait de vouloir abandonner. Elle y écume sa rage, se morigène, se frappe et se fracasse contre tout ce qui se dresse devant elle pour lui interdire son retour aux sources en une plainte lugubre, un murmure incessant qui parfois devient grondement.

De colère, elle pleure de rage toutes les larmes de son iode, nous gratifie d'une lamentation permanente amplifiée par le souffle d'un vent qu'elle prend toujours à témoin. Devenant ainsi salée, elle change de nature et de structure, faisant même étalage souvent d'une fort mauvaise composition pour les intrépides qui osent s'aventurer sur son flot. C'est à croire qu'elle a la rage au cœur et un mauvais fond.

Elle qui jusqu'alors coulait des jours paisibles dans nos terres, flânant entre deux rives qu'elle ne perdait jamais de vue, allant son train d'un cours serein et paisible, elle se perd soudainement dans une immensité en fusion. Elle perd ses repères et ce courant qui la poussait vers son destin se meut en une frénésie incessante de flux et de reflux comme si elle avait du vague à l'âme et des regrets plein le cœur.

Elle s'en vient et s'abandonne à la rive avant que de se rétracter et de la fuir immédiatement. Elle tergiverse, fait le gros dos, se gonfle de regrets, hausse le ton pour lamentablement se sauver sur la pointe des pieds, laissant une trace d'écume à son départ en guise de message à l'amer. Cette eau d'ici ne sait pas ce qu'elle veut à moins qu'elle ne découvre, bien trop tard hélas, qu'elle n'est pas près de rejoindre l'eau de là à moins de se faire évanescente.

Elle est devenue plus versatile encore, repoussant ses habitudes passées de croître et de décroître, de se faire crue ou décrue au gré de ses fantaisies et des précipitations, surprenant toujours les riverains et agissant par surprise. Celle-ci a cessé de vouloir surprendre, elle s'est faite prévisible, s'accordant même un calendrier et des horaires précis pour monter et descendre, s'offrant pour seule fantaisie des coefficients qui eux aussi sont prévisibles. Quel manque d'imagination !

Elle est pourtant devenue plus forte, plus puissante, emmagasinant en elle des trésors d'une énergie délaissée des humains. Contrairement à sa cousine des terres, elle n'est pas emprisonnée, stockée, forcée pour produire de l'électricité. Elle gaspille honteusement sa puissance sans que rien ne soit fait pour la détourner à notre service. Est-ce que les décideurs préfèrent défigurer nos rives avec des tours monstrueuses et préfèrent confier ce labeur aux promoteurs sur ses flancs ?

Voulant poursuivre son exploration, il me fallut plonger en elle pour découvrir une faune si différente que j'y perdais mes repères. Décidément, c'était bien un tout autre monde, un univers si différent que je perdis pied totalement, que je fus emporté au large par un courant que je ne soupçonnais pas avant que de me noyer inexorablement dans cet océan de défiance. S'en était terminé de mon histoire, la vie n'est certes pas un long fleuve tranquille mais de là à devenir une mer de regrets…

À contre-courant.


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