La rose rouge de mai

par C’est Nabum
mercredi 22 mai 2024

 

Légende de Turaïda

 

Même le joli mois de mai n'échappe pas aux horreurs des guerres. Le renouveau de la nature ne semble pas inciter les humains à plus de modération dans leur éternel appétit d'horreur et d'effroi. Sous toutes les latitudes et toutes les époques, la guerre est accompagnée de son cortège de drames durant lesquels fleurissent de temps à autres des perles d'espoir.

Nous sommes en Pologne en mai 1601, un conflit de plus dans un territoire victime plus souvent qu'à son tour des turpitudes des guerriers. Une bataille venait d'avoir lieu non loin du château de Turaida. Le médecin du domaine parcourait ce qu'on nomme un champ de bataille comme s'il y avait le quelconque espoir d'y voir pousser des fleurs.

C'est pourtant ce qu'il advint à ce brave humaniste qui découvrit un nouveau-né, une petite fille dans les bras de celle qui était sans nul doute de sa défunte mère. Ému et touché au cœur, le médecin décida dans l'instant d'élever cet enfant qu'il baptisa : Maïja, un mot d'origine lettone qui signifie Mai.

Maïja grandit dans l'environnement du château, aimée par celui qui avait endossé la lourde responsabilité d'élever la petite. Rapidement sa beauté éclata au grand jour comme un miracle de plus dans son histoire. Elle était si belle qu'elle hérita d'un sobriquet qui se répétait de bouches à oreilles sans que l'enfant n'en sache rien. Pour tous elle était devenue : « La rose de Turaïda ! »

Si jamais elle avait entendu qu'on l'appelait ainsi, elle en aurait eu le rose aux joues, ce qui l'aurait faite plus splendide encore, si cela était possible. Sa condition pourtant ne lui permettait pas d'envisager un mariage princier, elle n'en était nullement contrariée, ayant grandi avec les valeurs de simplicité et de sagesse que lui avaient transmises son cher père adoptif.

Alors qu'elle entrait dans sa dix-huitième année, un âge durant lequel sa magnificence était à son comble, elle toucha le cœur de Viktor, le gentil jardinier du château voisin, situé sur l'autre rive de la rivière Gauja. Bientôt les deux jeunes gens se plurent au point de se retrouver en cachette dès qu'ils le pouvaient, dans la grotte de Gutmanis, située près du château de Turaïda.

Viktor aimait profondément sa belle Maïja. Leurs rencontres, pour tendres qu'elles furent ne mirent jamais en péril la pudeur de la demoiselle. Tous deux s'étaient jurés d'unir leurs existences et avaient souhaité d'attendre cette merveilleuse union avant que de céder à ce désir fou qui les étreignait.

Un jour, que Maïja se rendait d'humeur guillerette rejoindre son jardinier, elle croisa la route de deux mercenaires polonais dont la mine et la mise ne présageaient rien de bon. Les deux soudards ne se gênèrent en rien pour l'interpeller sans nuance sur sa beauté avec des propos grivois à troubler la pauvrette.

Pire encore, l'un des deux, un certain Adam Jakubowki, plein de concupiscence, voulut à tout prix s'offrir cette jeune femme sans pour autant la contraindre par la force comme le font souvent de tels individus, persuadés que les femmes sont elles aussi des trophées de guerre. Fort heureusement, la présence de son compère modéra des ardeurs qu'il entendit différer.

Le prédateur concupiscent venait d'apprendre que la belle proie qu'il entendait circonvenir était éprise d'un modeste jardinier qu'elle retrouvait dans la grotte voisine. Les potins ont toujours circulé bien vite et le soldat avait eu vent de cette information qu'il entendait mettre à son profit pour s'emparer de la place forte.

Le vilain rédigea une missive, un petit mot galant pour solliciter une rencontre en singeant l'écriture et en imitant la signature du petit jardinier. Comment avait-il réussi pareil prodige l'histoire ne nous donne pas éclairage sur ce point. Nous devons nous contenter de l'idée que le piège fonctionna puisque la pauvre Maïja tomba dans le panneau…

C'est le cœur battant la chamade qu'elle se rendit au rendez-vous de son amoureux. Jamais elle n'aurait imaginé trouver dans la grotte un soudard au noir dessein. Quand elle se rendit compte de sa méprise, il n'était plus temps pour elle de fuir, elle était prise dans un piège dont elle ne pourrait aisément se libérer.

Bien vite, elle comprit les intentions réelles de ce goujat qui n'en voulait qu'à sa virginité qu'elle n'entendait sacrifier que le soir de ses noces avec son tendre Viktor. Il lui fallait trouver stratagème pour l'amadouer ou mieux, le détourner de son désir égoïste. Crier ne servirait à rien, la grotte étoufferait des plaintes que personne n'entendrait…

Sachant l'homme exposé au feu de la bataille, la belle lui promit mieux qu'un plaisir fugace vite consommé et plus vite oublié pour celui qui en jouissait sans partage. Intrigué, le soldat voulut savoir de quoi il retournait derrière cette proposition surprenante. Maïja de lui promettre son écharpe magique, celle qui entourait alors le bébé qui avait échappé à la mort.

Le soldat comme nombre de gens de ce pays connaissait l'histoire de la survie miraculeuse de la belle. Il s'enquit alors des pouvoirs de cette fameuse écharpe. Maïja lui affirma qu'elle serait pour lui, lors des prochaines batailles qu'il ne manquerait pas de mener, un talisman pour lui épargner la moindre blessure. « Je te donnerai cette écharpe en échange de ma liberté sans que tu n'abuses de moi ! » lui dit-elle.

Le soudard douta alors du pouvoir miraculeux de cette écharpe à moins qu'il comptait prendre de force la pauvrette. Il s’empara de son arme. Voyant cela la belle persuadée de ne pouvoir en réchapper sans payer un trop lourd tribu à ses yeux, provoqua le méchant homme :

« Je vais mettre l’écharpe autour de mon cou et tu tenteras de me transpercer avec ton arme. Tu constateras alors par toi-même la puissance protectrice de cette écharpe. »

L’imbécile guerrier tira son épée et plongea le fer de son arme dans le cou de la jeune fille. Celle-ci fut tuée dans l'instant. Elle avait préféré la mort au déshonneur et à l'humiliation. Celui qui entendait la prendre de force, en lui ôtant la vie, se privait du trophée dont il espérait s'emparer.

Maïja pour sauvegarder son honneur et son amour avait préféré la mort à l’humiliation. Son assassin dit-on en fut si terriblement troublé que la nuit même de son crime, il retourna l'épée funeste contre lui. Incapable alors de se porter le coup fatal, il se résolut à périr comme un misérable et non comme un fier guerrier qu'il n'était pas. Il se pendit à un arbre.

On peut aujourd’hui encore se rendre sur la stèle de Maïja, dans les jardins du château de Turaida, sous un magnifique tilleul tricentenaire.


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