Le rôle positif... pour qui ?

par Hakim I.
vendredi 30 décembre 2005

La loi du 23 février 2005 sur le "rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord’’ a suscité un débat au cours duquel beaucoup de personnalités françaises ont soit défendu, soit dénoncé ce caractère positif. En prenant du recul, je me suis demandé pourquoi on n’avait pas posé la question aux premiers concernés : les populations colonisées. Il se trouve que j’ai un spécimen à la maison : ma maman, qui était paysanne à cette époque, au Maroc, et à qui j’ai posé quelques questions... (Réponses traduites)

Moi : Maman, tu es au courant que l’Assemblée a voté une loi qui demande aux historiens de souligner le rôle positif qu’a eu la France dans ses colonies ? Qu’est-ce que tu en penses ? Tu as connu la colonisation, toi ...

Maman : Un rôle positif ... Pour qui ? Pour la France ? Alors, certainement, oui. Pour nous, c’est un peu compliqué. Ma grand-mère me parlait de l’époque avant l’arrivée des Francais. C’était une époque très difficile, où la loi qui existait était celle du plus fort. Elle me racontait les meurtres, les pillages et les guerres de tribus qui faisaient rage, surtout en période de sécheresse ou de famine. Lorsque la France est arrivée, on peut dire qu’elle a instauré un ordre qui limitait ce genre d’horreurs...

Moi : Donc, elle a apporté quelque chose de positif ?

Maman : Ce n’est pas si simple, si la France a apporté de l’ordre, c’est avant tout pour elle-même. Il fallait bien que les Français protègent leurs intérets. La sécurité était surtout assurée autour des maisons ou des bâtiments coloniaux. Lorsqu’on sortait des villes, ou qu’on s’éloignait des résidences, la loi du plus fort reprenait le dessus. Moins qu’à l’époque des guerres tribales, bien sûr, mais la différence était bien présente. Mais j’aimerais bien savoir ce qu’on entend par positif ...

Moi : Je te pose justement la question, qu’en penses tu ?

Maman : Qu’est-ce qu’elle a bien pu apporter de bien au pays ?


Les routes ? Elles ont été construites par les villageois, et ils étaient forcés à travailler, pour un salaire presque nul. Des gens mouraient dans ces travaux. De plus, ces routes ont été construites avant tout pour leur permettre de communiquer entre les "villages" coloniaux. Nous roulions toujours en cariole, sur les pistes, pour rentrer chez nous ou travailler. Encore une fois, un progrès était apporté, mais pas initialement pour aider les Marocains.

Moi : Que reproches-tu le plus à la France ?

Maman : Ils ne nous ont pas scolarisé. A part quelques privilégiés, la plupart des gens ne savaient pas lire ni écrire. Ils n’en avaient de toute façon pas le temps, puisqu’il fallait travailler. La France a fait le minimum pour pouvoir être comprise de la population, c’est tout. Elle se présentait comme civilisatrice, mais elle est avant tout arrivée pour exploiter les ressources qui proviennent de l’agriculture et de l’élevage, avec une main d’oeuvre très bon marché, presque gratuite, et une population analphabète. Elle a pu prendre ce qu’elle voulait sans protestation efficace de la part des paysans. Et si on n’était pas accord, on nous clouait le bec assez vite, pour donner l’exemple. Le rôle a été surtout positif pour elle. Les belles années de la France (comprenez les 30 Glorieuses) doivent beaucoup aux pays colonisés. Elle a puisé une grande partie de ses richesses chez nous, je ne parle même pas des autres pays d’Afrique noire...

Moi : Certains disent que la France a apporté la culture aux pays colonisés...

Maman : La culture ? Pourquoi ? On n’en avait pas ? Il ne faut pas aller trop loin. Les conditions étaient difficiles, c’est vrai, c’était un peuple avant tout paysan, mais de là à dire que nous n’avions pas de culture, c’est injuste. Il ne faut pas oublier la culture arabe et berbère, qui font partie des éléments qui font de l’occident ce qu’il est aujourd’hui. Nous n’étions pas des bêtes sauvages. Ils sont arrivés, se sont servis de nos ressources pour se développer. Lorsqu’ils sont partis, nous avions des années de retard de développement par rapport à la France. Nous n’étions pas traités de la même manière.

J’ai voulu faire partager ce dialogue, car il m’a semblé tellement objectif et impartial... Contrairement aux intervenants qu’on a pu voir dans les débats télévisés, cette personne, qui a vécu l’époque coloniale, essaie de peser le pour et le contre avant d’émettre un jugement. Elle n’a pas rejeté immédiatement l’idée de "rôle positif", et a avant tout demandé pour qui.

Rappelons que la plupart des personnes interrogées ou invitées aux débats n’ont pas connu cette époque, ou du moins pas de l’autre côté du miroir.

Les députés et politiciens qui ont défendu l’amendement en question ne se sont même pas souciés de ce que pouvaient penser les premiers concernés. De plus, ils n’ont pas saisi la chance d’ouvrir un dialogue avec les pays africains à ce sujet. Cela aurait pû être, à mon avis, la première pierre à l’édifice de la réelle réconciliation Occident/Afrique.

Quoi de plus scandaleux que ce paternalisme, qui ne s’efface toujours pas, après tant d’années ? Lorsque je lis cet amendement, j’ai l’impression de voir un adulte forçant son enfant à faire quelque chose, et le rassurant en lui disant : "Mon fils, tu n’es pas d’accord avec mes méthodes aujourd’hui, mais tu ne comprends pas que c’est pour ton bien, tu le comprendras plus tard".

Nous n’avons toujours pas dépassé l’époque où la France impose ses points de vues aux autres pays. En l’occurence, en niant leur capacité à pouvoir juger de leur propre histoire.

Si la France décide unilatéralement que son rôle a été positif pour les pays qu’elle a envahis, alors qu’elle le décide pour elle-même. C’est malheureux, car l’histoire doit prendre en compte tous les points de vues.

Quand bien même, et de grâce, rendons à ces pays leur dignité, d’autant plus que cette époque n’est pas si éloignée de la nôtre.
Beaucoup des anciens "indigènes" sont encore vivants, beaucoup de nostalgiques du "bon vieux temps des colonies" aussi, et c’est peut-être le problème...


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