Mort de Nahel : la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et l’huile sur le feu...

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 30 juin 2023

« Mon soutien et ma confiance renouvelée aux policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers qui assurent leur mission avec courage. » (Élisabeth Borne, le 30 juin 2023).

Les événements se suivent et ne se ressemblent pas. Qui aurait pu imaginer que la France serait au bord de l'implosion à la veille de la grande trêve estivale ? Certes, beaucoup promettaient une explosion sociale en raison de la contestation de la réforme des retraites. Eh bien, pas du tout, celle-ci a finalement été absorbée, digérée, même si c'est amèrement, par les Français qui sont passés à autre chose. Et malheureusement, le autre chose, c'est ce pays en proie avec ce qu'on pourrait (très mal) appeler une "révolte des banlieues". Il sera assez difficile d'appeler ce que nous vivons depuis trois jours. Émeutes ? Révolte ? Saccages de sauvageons ? Délinquance des "cités" ?

Aujourd'hui, deux familles sont disloquées. Celle de Nahel parce qu'un fils a été enlevé à la vie. Et celle du policier qui va vivre un autre enfer, celui d'un père ou d'un époux en prison, celui de la honte qui rejaillit sur l'entourage avec un risque de vengeance (il semblerait que l'adresse du policier a été révélée dans les réseaux sociaux). Un véritable gâchis. Comprendre ce qui a amené à cette tragédie. Et agir pour que cela ne se reproduise plus.

La mort de Nahel a été une sorte de catalyseur de cette révolte contenue et souterraine dans les "banlieues". Certains pourront toujours dire "je vous l'avais dit", ceux-là n'ont pourtant jamais imaginé ce qui allait se passer, et encore moins pourquoi (il faudra plusieurs mois voire plusieurs années d'investigations) et surtout, ils le disent depuis cinquante ans à vide, à froid, comme un mantra ("attention, les banlieues vont se révolter", etc.) avec la manière de mettre de l'huile sur le feu.

On ne compte plus le nombre de manifestants (selon la police, selon les syndicats), mais le nombre de policiers et gendarmes mobilisés (40 000 dans la nuit du 29 au 30), le nombre de policiers et gendarmes blessés (249 dans la nuit du 29 au 30) et le nombre d'interpellations (667 personnes ont été interpellées dans la nuit du 29 au 30, 150 dans la nuit du 28 au 29 et 31 dans la nuit du 27 au 28).

La situation ne fait qu'empirer, et cela dans de nombreuses communes de France. De nombreux bâtiments publics (écoles, etc.) et privés (agences bancaires, etc.) ont été visés, vandalisés, incendiés. De nombreuses voitures ont été incendiées. Treize bus ont été incendiés. Il est même devenu une certaine "mode" débile de faire rouler un bus dans le feu. Toute cette violence urbaine est d'autant plus stupide qu'elle n'apporte rien, elle s'en prend aux services publics même de ces émeutiers. Ils s'autopunissent. Des communes ont décrété le couvre-feu (la première est Clamart), la région Île-de-France a décidé d'arrêter la circulation de ses bus à 21 heures, etc.

La mort de Nahel est sans doute la goutte qui a fait déborder le vase. Mais quel vase ? Ce n'est qu'un prétexte car la question est : que veulent véritablement les émeutiers ? Juste une reconnaissance ? Ou pouvoir faire leur trafic tranquillement sans être inquiétés par les forces de l'ordre ? Dans certains cas, ce sont d'autres habitants qui ont voulu protéger leurs biens communs, leurs écoles, etc.

Certains mettent de l'huile sur le feu. D'un côté, l'extrême droite qui réclame une répression sévère, l'instauration de l'état d'urgence. Ce qui serait probablement une erreur de communication, car cela dramatiserait une situation qui doit être au contraire apaisée, et c'était l'erreur du Président Jacques Chirac le 8 novembre 2005 (sur demande de son Premier Ministre Dominique de Villepin) en réponse aux émeutes urbaines du 27 octobre 2005 au 17 novembre 2005 (3 morts, 2 921 personnes interpellées) à la suite de la mort de deux adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré qui se sont fait électrocuter en se réfugiant dans un poste électrique pour se soustraire à un contrôle de police. En outre, la plupart des prérogatives de l'état d'urgence sont désormais possibles en situation normale. D'un autre côté, celui des émeutiers, on crie contre la police, on préjuge que le policier qui a tué Nahel aurait tiré en raison de son origine ethnique (ce préjugé de racisme n'a rien d'établi), on amalgame le policier qui a (visiblement) fauté et les policiers dans leur généralité alors que la plupart sont courageux, calmes et professionnels.

Et pourtant, tout devait amener vers l'apaisement.



La mère de Nahel a fait la différence entre ce policier qui a tué son fils et toute la police. La marche blanche en hommage à son fils, qui a rassemblé à Nanterre 6 200 personnes le jeudi 29 mai 2023 s'est déroulée dans le calme même si on pouvait lire quelques banderoles provocatrices.

Le policier lui-même, pendant sa garde-à-vue, s'est déclaré "désolé" selon son avocat, et a demandé pardon à la famille, prétendant qu'il ne voulait pas tuer. Il faudra encore déterminer ce qui l'a conduit à appuyer sur la détente (il a assuré qu'il voulait tirer plus bas mais la voiture aurait bougé). Le policier avait une dizaine d'années d'expérience et était bien noté par sa hiérarchie. On se demandera toujours pourquoi il n'a pas tiré dans les pneus, par exemple. La mère de Nahel était tout à fait d'accord pour que son fils fût interpellé, car il avait commis le délit de refus d'obtempérer, mais, dans tous les cas, cela ne vaut pas la mort.

La justice elle-même a fait son possible pour éviter toute contestation de la procédure judiciaire, la garde-à-vue a duré deux jours, le policier a été mis en examen pour homicide volontaire (c'est très fort comme motif), et surtout, il a été placé en détention provisoire, ce qui est presque incompréhensible car c'est très rare dans ces situations (on imagine mal le policier mettre encore en danger autrui ou même fuir, car il perdrait aussi son travail). Si le policier est en prison aujourd'hui, c'est surtout pour éviter de faire croire qu'il serait impuni et montrer la gravité de son acte. Son avocat a fait appel de la décision.

Enfin, le gouvernement, le pouvoir, dans sa communication et ses actes, a fait tout son possible pour éviter l'embrasement. Dès le premier jour, les plus hautes autorités de l'État (Président de la République, Première Ministre, ministres) ont évoqué la vidéo accablante du tir apparemment inexcusable, et n'ont pas eu ce premier réflexe fréquent chez les gouvernements de défendre les agents de police avant de connaître la réalité des faits. Les hautes autorités de l'État ont pris toute la mesure des enjeux.

Le 29 juin 2023, la Première Ministre Élisabeth Borne était à Garges-lès-Gonesse, le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin était à Marcq-en-Barœul, le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti était à Asnières-sur-Seine. Bref, tout le monde était sur le pont, sur le terrain, pour tenter d'apaiser, d'expliquer que la justice passera dans tous les cas mais aussi réaffirmer l'autorité de l'État et que les violences urbaines de ces dernières nuits étaient inacceptables (et il est heureux qu'il n'y ait pas eu de mort, mais jusqu'à quand ?).

Cependant, le risque est grand que les prochaines nuits soient encore plus violentes, car c'est la fin de l'année scolaire, les esprits sont échauffés et certains veulent en découdre. Oui, la situation est très grave car tout peut arriver. Au-delà de ces violences, l'enjeu du gouvernement, c'est de convaincre que la mort de Nahel sera la dernière de cette manière, il ne faut plus qu'une personne soit tuée pour ce simple délit routier. Recrutement, formation, cadre réglementaire ou législatif, à l'évidence, il faut faire évoluer ces procédures d'interpellation qui sont effectivement aussi très dangereuses pour les forces de l'ordre elles-mêmes. Une mission... peut-être impossible mais nécessaire.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 juin 2023)
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