Tenue correcte exigée

par C’est Nabum
jeudi 14 mars 2024

 

Tonton, va te rhabiller…

 

Quoique jeune homme encore, Jean-Claude, au retour d'une guerre d'Algérie qui peuple ses cauchemars, n'est pas au fait de la nouvelle vague qui déferle sur la scène musicale française. Comment pourrait-il l'être quand on connaît le peu de goût pour la musique débraillée de notre armée, qui n'aime rien tant que les chants en canon. C'est donc sans rien savoir d'un spectacle auquel il doit se rendre à l'insistance de son neveu qui compte sur sa présence pour l'accompagner, tandis que les parents du gamin, plus avertis sans doute, se refusent à l'accompagner.

Nous sommes le 24 avril 1962, le jeune troufion tout juste démobilisé ignore tout de l'actualité brûlante qui agite le monde du spectacle. En matière d'émotions fortes, le garçon a eu sa dose. S'il a les oreilles qui bourdonnent, ce n'est certes pas de s'être approché trop près des haut-parleurs. C'est donc sans le moindre a priori qu'il accepte de servir de chaperon à son neveu.

Le cheveu ras, la tenue civile de Jean-Claude suffit à son bonheur. Il en a soupé des garde-à-vous, de la coupe au bol et des saluts militaires. C'est en toute décontraction qu'il embarque le gamin à bord de sa splendide quatre chevaux pour se rendre au cinéma le Royal à Orléans qui a troqué la piste du cirque et le grand écran pour une scène de music-hall.

C'est un public de jeunes initiés qui se pressent en nombre à ce rendez-vous de la première tournée nationale de celui qui bientôt sera l'idole des jeunes. Jean-Claude ne sait rien de cet artiste au curieux nom américain. Son neveu lui a parlé d'une idole Yéyé, un terme qui n'avait pas passé la Méditerranée. Jean-Claude, l'esprit ouvert, vient surtout pour faire plaisir au petit.

Ils se présentent tous deux devant les portes d'entrée de cette vaste salle munis de leur précieux Sésame. La voie est libre, ils vont pouvoir entrer quand un gardien à l'allure martiale signifie un refus catégorique à l'encontre de l'ancien soldat. Jean-Claude ne comprend pas. Durant quelques instants, il revit des scènes de barrage en Algérie. Il a le réflexe déplacé de fouiller dans ses poches pour y trouver sa permission. Il hausse les épaules, il est civil désormais et en France qui plus est.

Le cerbère n'en démord pourtant pas : « Monsieur, votre tenue n'est pas conforme ! » De l'uniforme d'hier le voilà confronté au conforme d'aujourd'hui. Que lui vaut ce refus de franchir les portes. Sa mine est avenante, ses vêtements propres, sa chevelure bien moins négligée que tous ces gamins qui se pressent autour de lui et s'impatientent.

Le malheureux refoulé retrouve l'usage de la parole afin d'interroger le vigile sur les raisons de son obstruction. L'autre alors courroucé, d'un geste qui réveille de forts mauvais souvenirs, passe la main devant son cou. Jean-Claude en a un haut le cœur. Des terribles images reviennent dans une mémoire encore fraîche et douloureuse. Il en bafouille avant que de se ressaisir et de pouvoir prononcer une formule lapidaire : « Qu'est-ce à dire ? »

L'autre de se trouver désarçonné par une formulation qui échappe à sa compréhension abandonne son air belliqueux pour lui expliquer calmement cette fois : « Monsieur, votre tenue est négligée. Vous ne portez pas de cravate ! » C'est donc cela, l'élément indispensable pour se rendre à un concert à Orléans en ce jour d'avril 1962. Jean Claude habite à deux pas, il avait pris la voiture pour aller chercher son neveu à Olivet mais lui demeure Place du Martroi.

Il s'empresse de regagner ses pénates pour se munir d'une magnifique cravate rouge. Voilà qui sied parfaitement au concert qui va suivre. De nos jours, nombre de spectateurs s'étrangleraient d'indignation devant pareil exigence. Que la cravate fût de rigueur pour le premier concert de Johnny à Orléans a de quoi vous rester en travers de la gorge. L'année suivante, devenue vedette reconnue, c'est à l'Artistic que Johnny se produisit sans qu'il soit nécessaire de porter cet élément vestimentaire.


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