Jusqu’à la lie

par C’est Nabum
mardi 9 avril 2024

 

Un écrit assez vain.

 

François premier quoique né à Cognac a eu la main lourde quand le 30 août 1536, il se lance dans une lutte surprenante quoique sans nul doute justifiée, contre la culture de l'enivrement enracinée dans le royaume. Il est vrai que boire de l'eau n'est pas une sinécure à moins d'aller la quérir à une source miraculeuse. Les conditions d'hygiène de l'époque transforment bien des puits en nids à bactéries et autres miasmes tandis que femmes enfants et vieillards marient le vin au puits pour limiter les risques.

Alors le cognaçais n'y va pas par le dos de la cuillère dans un édit qui restera en travers de la gorge de bien des ivrognes invétérés tout autant que de tous les acteurs de la filière viticole. Le sang du Christ n'a donc plus bonne presse et le roi entend mettre au pain sec les buveurs pris la main dans le tonneau. Hélas, comment contrôler la chose sans la création de l'alcootest qui arrivera bien des siècles plus tard.

Ce sera donc au jugé que le fautif sera saisi et mis à la cave ou au placard. Son ivresse devra être manifeste, sa démarche chaloupée, ses propos vindicatifs, son comportement exubérant et son haleine chargée. Des stages de formation sont même organisés pour que les commissaires examinateurs et les sergents de ville puissent identifier sans problème un individu enfreignant l'édit en question. Le délit de faciès étant ici mis en exergue.

Le plus délicat sans doute pour eux est de ne pas tomber eux-mêmes sous le coup de ladite loi en faisant preuve de modération durant leur temps de service. La tâche leur est d'ailleurs facilitée grandement par l'interdiction faite aux cabaretiers de donner du vin et autres boissons de nature à troubler l'esprit aux résidents de la cité. Seuls les voyageurs peuvent consommer sur place tandis que pour les gens du coin, s'ils veulent être ronds, ils doivent acheter des boissons à emporter, uniquement dans les tavernes.

Si ce vin qui circule n'est pas assujetti au congé que nous connaissons à notre époque, il est néanmoins une belle source de revenus pour le trésor public avec les Aydes, taxes qui n'y vont pas avec le dos de chopine. Mais revenons à nos poivrots, contributeurs zélés des dépenses publiques qui n'ont trouvé leur équivalent aujourd'hui que chez les fumeurs qui se fournissent encore dans les bureaux de tabac.

L'enivrement est principalement le fait de l'oisiveté dominicale en dehors des heures consacrées à la messe où dois-je vous le rappeler, seul l'officiant se rince avec modération certes mais un manque notable du sens du partage. C'est donc après le repas du midi et jusqu'à fort tard dans la nuit, que l'on se distraie en buvant plus que de raison et ceci surtout chez les hommes de vingt à trente-cinq ans.

Quels sont donc les risques qu'ils encourent s'ils sont jugés à leur comportement éthylique ? Le fameux édit imbuvable dont je ne cesse de vous chauffer les oreilles sans vous le mettre en bouche, va très bientôt vous éclairer. Je vais donc vous le servir dans son jus orthographique et tel que j'ai pu le trouver, non sans l'avoir chambré préalablement pour mieux vous mettre en appétence. Prenez bien garde cependant, avant d'en prendre connaissance, de vous assurer que nul législateur contemporain ne traîne dans les parages. Il pourrait bien lui prendre l'envie de se faire remarquer en singeant ce bon Prince.

 

 

 

Édit du 30 août 1536 de François Ier

 

« Pour obvier aux oisivetez, blasphèmes, homicides et autres inconvéniens et dommages qui arrivent d’ébriété : est ordonné, que quiconque sera trouvé yvre, soit incontinent constitué et détenu prisonnier au pain et à l'eau pour la première fois : et si secondement il est reprins, sera outre ce que devant, battu de verges ou de fouët par la prison : et la tierce fois sera fustigé publiquement ; et s’il est incorrigible, sera puni d’amputation d’aureille, et d’infamie et banissement de sa personne : et si est par exprez commandé aux juges, chacun en son territoire et distroict d’y regarder diligemment. Et s’il advient que par ébriété ou chaleur de vin lesdits yvrognes commettent aucuns mauvais cas, ne leur sera pour ceste occasion pardonné, mais seront punis de la peine deue audit delict : et davantage pour ladite ébriété à l’arbitrage du juge. »

Vous mesurez mieux la puissance d'un texte inspiré par la gourde et ses excès. L'alcool est ainsi pointé du doigt – juste un doigt ! - pour être mère des principaux vices que sont l'oisiveté, le blasphème et l’homicide en laissant la voie également aux autres inconvénients et dommages qui échapperaient à la sagacité du législateur. On ne peut être plus clair pour noircir les buveurs.

L'ivrogne sera donc et dans l'instant mis au frais dans une cave de basse fosse pour y subir, outrage suprême une cure au pain sec et à l'eau. Quand on sait le péril à boire de l'eau en cette époque, on mesure la sévérité de cette première condamnation. La récidive sera là encore d'un tout autre tonneau puisque les verges et le bâton tenteront de ramener à la modération le fautif. Le coup de bambou ne portant pas cette fois sur le prix de la tournée. Un salutaire coup de fouet en somme.

Le troisième verre provoquera quant à lui l'humiliation suprême de la fustigation, une manière de blâmer en public celui qui se refuse à s'amender, à mettre de l'eau dans son vin. Le pilori peut être de sortie pour payer la tournée. Le refus de se modérer par la suite sera sévèrement puni et qui se fait tirer l'oreille pour accéder à la modération se la verra trancher.

Le bannissement pourra donc être prononcé pour aller boire ailleurs et voir si ailleurs le vin est de meilleure qualité. Pour corser la mesure, celui qui commet acte délictueux en état d'ébriété trinquera d'autant plus de fait de son ivrognerie, ne trouvant pas dans les vapeurs alcooliques la moindre circonstance atténuante. Nous pouvons apprécier le revirement qu'il y a eu par la suite en ce domaine.

Quand le vin est tiré, il faut le boire et si par la suite, les hollandais ont imposé la distillation à nos vins qu'ils entendaient faire voyager, nous pouvons constater que François premier était droit dans ses charentaises avant le grand essor du Cognac, de l'Armagnac, du Calvados et du Tafia qui poussèrent alors le bouchon plus loin.

Fort heureusement pour les groupes de pression des vins et spiritueux, le dit édit fut vite oublié tandis que le degré d'alcool n'eut de cesse de croître dans ce beau pays. La tête me tourne d'avoir écrit un tel billet qui vous laissera, je n'en doute pas sur votre soif. François Rabelais, quoique contemporain de ce texte, ne tomba jamais pour apologie de la dive bouteille et c'est tant mieux.

 


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