La grande danseuse

par C’est Nabum
mardi 21 février 2023

Arduinna et Esculape.

À l'hôtel Cabu d'Orléans, il advint un fort étrange mystère qui passa totalement inaperçu tant le trésor de Neuvy en Sullias n'est pas de nature à enthousiasmer les foules de la cité. Pourtant, je me dois de vous narrer ce qui se passa là durant le confinement, période durant laquelle, dans tous les musées, nos trésors étaient livrés à eux-mêmes. Prenez donc la peine de suivre mes pas en cette période étonnante durant laquelle la culture fut mise sous séquestre.

Parmi les pièces majeures de ce trésor de la glorieuse culture Celte, il est une statuette que les érudits d'aujourd'hui ont nommé « La grande danseuse ». Elle doit ce patronyme à la grâce qui émane d'elle, à la délicatesse de sa posture tout autant qu'à l’irrépressible attirance qu'elle provoque pour ceux qui la regardent vraiment.

Elle est si fine, si femme, si offerte qu'elle ne manqua pas de provoquer émoi et trouble chez un visiteur assidu de l'endroit. Il ne pouvait passer une semaine sans qu'il vînt lui rendre visite, provoquant suspicion chez des gardiens peut habitués hélas à voir beaucoup de visiteurs. Dans pareil cas, son manège ne pouvait manquer de les intriguer tout en faisant naître chez eux des interrogations.

Puis tomba la chape de plomb sur ce trésor en bronze. Les portes furent fermées, le trésor et les autres œuvres de l'endroit menaçant la santé publique d'après les hautes autorités sanitaires. Le visiteur fidèle cessa de rendre hommage à sa danseuse par la force d'une mesure aussi stupide qu'injuste. Il se morfondit quelques jours avant que de trouver parade par l'examen approfondi - si cet adjectif peut convenir en la circonstance – du vaste réseau sous-terrain de la cité.

Sa quête ne fut pas vaine, il découvrit un passage secret, une de ces innombrables galeries qui forme un réseau secret, une autre ville sous celle qui se laisse voir au grand jour. Il put ainsi subrepticement rejoindre sa bien-aimée, la grande danseuse, qui lui avait réservé quelques danses. Il put ainsi tout à loisir jouir pleinement, sans témoin suspicieux, du commerce de sa belle.

La passion ne s'explique pas. Ses expressions sont aussi multiples que variées. Il n'est pas de mon ressort de juger pareille relation entre un humain et une statuette aussi gracile et avenante soit-elle. Il se peut même que des choses échappent à notre compréhension, ce qui nous laisse à distance de ce mystère insondable.

Puis le temps revint de l'ouverture, de la fin de ce premier épisode de peur généralisée. Quand le musée ouvrit à nouveau, son personnel finit par s'étonner de la disparition de ce visiteur si fréquent qu'il était reconnu par tous sans que jamais aucun n'ait osé lui demander les raisons d'une telle fidélité. Il ne revint pas, on considéra parmi le personnel qu'il avait dû être touché par la terrifiante pandémie puis l'oubli s'imposa peu à peu sur ce qui n'était après tout qu'une bizarrerie qui avait sans doute cessé de se manifester.

L'énigme serait à jamais restée mystérieuse si un autre admirateur de ce fabuleux trésor n'avait remarqué quelques menus détails qui le poussèrent à mener une investigation plus poussée. Il comptait lui aussi parmi les admirateurs de la belle danseuse sans néanmoins lui vouer une passion exclusive. Le sanglier surtout l'avait poussé à inventer une légende à sa manière sans que cette fiction ne vienne jusqu'aux oreilles des gardiens du temple.

Il est vrai que seule la Lorraine peut éventuellement éveiller la curiosité des sommités de l'endroit. Ils ont même créé un comité d'éthique pour écarter tout ce qui fait toc à son propos tandis que l'antique ne fait guère recette. C'est ainsi, quand on tient une figure de proue, il n'est pas étonnant que les autres comparses patrimoniaux ne fassent hélas que de la figuration. Mais revenons à notre danseuse et à son amoureux.

En revenant sur place, l'investigateur officieux perçut un petit détail qui avait sans doute échappé au conservateur du lieu. La Belle Danseuse se tournait désormais vers le sculptural Esculape qui lui montrait son torse nu et son puissant buste. Il y avait comme une connivence entre ces deux-là, une volonté de se retrouver en intimité. Les autres pièces avaient eu la délicatesse de s'écarter un peu de ce duo duquel émanait une brûlante passion.

L'homme voulut en avoir le cœur net. Il décida de se laisser enfermer dans l'Hôtel Cabu ce qui ne fut guère difficile. Il allait lui aussi avoir droit à sa Nuit au Musée quoiqu'il ne fût pas du lot des plumes célèbres qui ont bénéficié de ce privilège dans quelques grands lieux de la culture mondiale. Qu'importe, il prit ce risque pour témoigner à son tour et rédiger lui aussi un modeste témoignage.

Quand la nuit survint, de sa cachette d'où il ne devait absolument pas sortir au risque d'alarmer les services de sécurité, il assista à un ballet à nul autre pareil, la fusion de deux corps qui se retrouvaient ainsi chaque soir, dans la solitude d'un hôtel en émoi. Jamais, il ne vit plus beau couple en harmonie. La Danseuse, retrouvant sa dimension humaine, avec une grâce infinie, tournait tournait tournait autour de son Esculape qui à son tour, dans le tourbillon de sa belle, prenait corps pour l'enlacer.

L'observateur, particulièrement troublé par une relation dont il venait honteusement troubler la réalisation, remarqua que l'homme qui prenait forme humaine n'était pas tout à fait ce solide tribun celte figé pour l'éternité. Il ressemblait bien plus à l'un de ses contemporains avec ce petit bedon qui n'était pas de bon aloi à l'époque. Il l'entendit également souffler des mots d'amour à la Danseuse qui manifestement ne maîtrisait pas encore son langage.

Oui, son intuition était la bonne, il y avait eu substitution, échange ou bien curieuse infiltration du visiteur fidèle avec cet Esculape qui lui avait fait place. D'ailleurs, tandis que se déroulaient des ébats qui les mettaient tous deux en transe, l'homme parvint à écarter son regard d'un spectacle absolument admirable pour finir par remarquer que si la petite statuette de la danseuse n'était plus présente dans sa vitrine, l'homme à la toge était encore là.

C'était donc là le secret. Le visiteur énamouré, par un stratagème dont nous ignorerons toujours tout, avait su se glisser dans une statue de bronze pour vivre le reste de son âge auprès de son amoureuse. Une magie miraculeuse qui ne le laissait pas de marbre, d'après ce que pouvait constater le visiteur d'une nuit.

Au matin, l'intrus profita de l'absence de visiteur dans la salle du trésor pour sortir de sa cachette et quitter discrètement ce musée archéologique trop peu fréquenté. Il ne pouvait garder le secret pour lui, il lui fallait le confier à un quidam qui pourrait ainsi le divulguer avec la certitude que personne ne le croirait. C'est du reste pour ça qu'il se tourna vers un bonimenteur dont la mauvaise réputation dans la place assure que nul ne donnera crédit à son récit. Ainsi, nos deux amoureux ne seront plus jamais dérangés et disposent désormais de l'éternité pour s'aimer.

À contre-visite.


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