Le bal des mouettes

par C’est Nabum
vendredi 27 octobre 2023

Pour les beaux yeux chocolat de Rebecca.

Il advint qu'une mouette rieuse choisit de s'installer en bord de Loire. Celle qui pour des raisons étranges avait perdu sa colonie, trouva un bon accueil auprès de ses congénères ligériennes. Elle fut immédiatement adoptée par cette bande qui avait cessé de migrer, ayant trouvé un pays de cocagne où la nourriture était abondante.

Le bel oiseau au plumage blanc-gris, au cou tout blanc, au torse immaculé, aux yeux brun foncé portait encore son capuchon chocolat qui englobe sa tête à la belle saison. Ce charmant mâle se prénommait Isaac qui en Hébreux signifie « Celui qui rit ». On ne pouvait choisir prénom mieux adapté tant son cri rauque et sonore évoque le rire.

Isaac qui avait beaucoup bourlingué avant de venir se poser en bord de Loire s'imposa rapidement dans sa nouvelle colonie. Non seulement, il avait un vécu tel que son expérience impressionna ses compagnons et compagnes mais qui plus est, il leur enseigna des pratiques qui révolutionnèrent leurs existences dans cette cité chocolatière. Fort de sa popularité, il séduit la belle Rebecca, la plus charmante femme de la troupe qui devint sa compagne.

Rebecca et Isaac coulaient le parfait amour, ce qui n'est pas étonnant chez les mouettes, oiseaux fidèles. C'est pour séduire sa belle que le bel oiseau révolutionna les pratiques de cette espèce grégaire. Curieusement du reste, les innovations qu'il apporta aux mœurs de la compagnie n'avaient été destinées à l'origine que pour celle qui faisait battre son cœur. Mais chez les oiseaux, tout comportement pertinent est repris par l'ensemble du groupe.

Isaac n'avait d'yeux que pour la belle Rebecca qui était convoitée par une flopée d'autres prétendants. La chose n'est pas étrange tant la jeune oiselle dégageait un charme fou, un magnétisme qui troublait naturellement tout mâle en quête d'une épouse. Il lui fallait décourager ces empêcheurs d'aimer en rond. Il usa d'un stratagème qui devint rapidement un moyen de défense collectif de la troupe.

Isaac, je ne sais si j'ose, se conduit de manière fort inélégante vis à vis de ses rivaux. Chaque fois qu'il en voyait un tourner de trop près de celle qu'il convoitait, il s'envolait pour le survoler afin de déposer quelques fientes bien senties sur son crâne. Le procédé, quoique discutable, rendait immédiatement pitoyable le ballet nuptial du malheureux. L'idée fut reprise par tous pour écarter les gêneurs tandis que les ornithologues qualifièrent cette technique de défense collective de « Houspillage », curieuse manière d'houspiller les importuns.

Isaac pour parvenir à ses fins avait dû faire preuve d'un peu d'imagination. Larguer ainsi de nombreuses fientes suppose de modifier son régime alimentaire. Se nourrir d'insectes, de crustacés et de gastéropodes ne suffisait pas à ses grands besoins. Pour écarter tous ses rivaux, il lui fallait une intense activité intestinale. C'est donc lui qui se mit à dévorer les déchets que les humains abandonnaient généreusement sur les rives de la rivière.

Il y avait notamment des produits infâmes venant d'une enseigne qui se distingue avec un clown rieur. Est-ce ce qui attira l'oiseau qui rit ? Nul ne le saura jamais mais toujours est-il qu'avec de tels déchets, ses déjections firent tant d'effet sur ses malheureuses cibles que le résultat fut immédiat et spectaculaire. Notons au passage que les clients de cette enseigne étaient fort opportunément parmi ceux qui jonchaient le plus les berges, ce qui facilita grandement notre curieux séducteur.

Fort de ce succès, Isaac disposait maintenant d’un statut qui le plaçait au sommet de la hiérarchie. Tous ses faits et gestes étaient scrutés, analysés et souvent copiés par toute la troupe dans un nouvel atavisme qui fit faire des progrès considérables à toute l'espèce. Isaac en ce sens était un pionnier, une sorte de prophète au royaume des mouettes.

Désormais en couple, notre galant, les mauvais jours arrivés, invita sa belle à un curieux ballet qui au départ intrigua grandement toute la colonie. Nos deux tourtereaux se retrouvaient sur une barrière, un muret, un support quelconque en bord de Loire. Ils se serraient l'un contre l'autre comme le font tous ceux qui s'aiment. Le bec rouge de confusion, Rebecca se laissait embrasser depuis qu'elle avait accordé ses pattes à son compagnon.

Puis, après ce préambule, le jeune couple s'envolait pour aller se poser sur la rivière et se laisser ainsi porter par le courant en une courte mais intense lune de miel. Profitant de cette descente pour dormir un peu, ils se réveillaient à l'approche du pont pour s'envoler afin de revenir à leur point de départ sur l'eau. Ce mouvement incessant constitua leur ronde nuptiale. Elle impressionna fort toutes les autres mouettes qui y virent un procédé pour dormir un peu à la mauvaise saison.

Les observateurs qualifièrent ce mouvement incessant de va sur l'eau et vient en l'air de bal des mouettes à partir du moment où toute la troupe en vint à adopter cette pratique. C'est du reste un spectacle qui enchante les amoureux de la nature à l'exception notable de ces malotrus qui continuent de semer leurs reliefs alimentaires sur les quais.

Isaac songe du reste à pratiquer le houspillage contre ses gougnafiers tout autant que contre les buveurs de bière qui jonchent les rives de bouteilles et canettes abandonnées ainsi que sur les jeteurs de mégots. Espérons que nos mouettes rieuses sauront rapidement mettre à la raison tous ces malotrus indignes avant que de braves ligériens ulcérés ne songent à leur voler dans les plumes.

À contre-vol.


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