OL : le succès et le malaise

par Brady
jeudi 20 avril 2006

Pourquoi le 5e titre de l’OL fait-il moins de bruit que l’élimination en Ligue des champions ? Quelques arguments et réflexions.

1/ Un président intelligent, mais mal aimé

Un grand club, c’est souvent lié à un grand président. De même que le Milan AC reste le club de Berlusconi, que la Juventus est le club de la famille Agnelli, que le Real a été redressé par Fiorentino Perez (avant l’épisode tragi-comique des galactiques), Lyon doit beaucoup à un homme, Jean-Michel Aulas, qui a récupéré le club en 1987, alors en deuxième division. Il a réussi à rebâtir une équipe compétitive qui reste sur une série de 5 titres consécutifs, et de 8 qualifications consécutives en Ligue des champions. Ses recettes : un marketing large à la Manchester united, avec les marques dérivées OL taxi, OL pizza, OL Beaujolais, et même un OL string... Un recrutement peu ronflant sur le papier mais de joueurs brésiliens repérés sur place par "l’espion" Marcelinho (ancien joueur du club) et de joueurs locaux : le Sanpriot Govou, le Bressan Clerc, l’Isérois Clément... Une influence certaine sur le G14 auquel l’OL siège aux côtés des 18 clubs les plus riches d’Europe.

Malgré tout, la réussite d’Aulas dérange autant que ses provocations verbales. La blessure d’un de ses joueurs (Abidal) en sélection nationale le pousse à aller chercher l’épreuve de force auprès de l’UEFA, provoquant la colère de Platini et de Domenech. Il tient absolument à ce que l’OL puisse être coté en Bourse, ce à quoi Lamour répond : "Oui, à condition d’avoir votre propre stade !" (Une provocation, dans la mesure où l’agglomération lyonnaise est propriétaire de Gerland et sera propriétaire du futur grand stade de Vénissieux, mais pas stupide dans la mesure où les grands rivaux britanniques ou allemands de l’OL sont tous propriétaires de leurs stades).

Après le match de Bordeaux, où Lyon décroche un miraculeux score nul 1-1 avec un certain coup de pouce de l’arbitrage, Aulas s’en sort par une pirouette. "Les arbitrages s’équilibrent..." sans oublier de temps en temps un classique "On en veut à mon club !". Que du classique, car Roger Rocher, Claude Bez, Bernard Tapie qui, comme Aulas, ont réussi à emmener des clubs modestes aux sommets européens, ont souvent usé de ces polémiques de roublards, s’attirant souvent des inimités hors de leurs groupes de supporters. Roger Rocher disait en son temps : "En football, Lyon sera toujours la banlieue de Saint-Etienne !", ce à quoi les dirigeants lyonnais répondront plus tard : "Saint-Etienne remonte en Ligue 1 ? C’est une bonne nouvelle, ça nous fera 6 points de plus au classement !".

2/ Une région peut-elle avoir deux (voire trois) grands clubs ?

"Lyonnais de naissance et supporter stéphanois", ainsi Bernard Pivot résume-t-il sa passion du foot. Il n’est pas le seul dans ce cas : dans les années 1970, la France est verte, inclus l’agglomération lyonnaise qui pour le coup rejoint les propos de Roger Rocher. Puis dans les années 1990, la région Rhône-Alpes a vu fleurir les maillots blancs et bleu ciel d’une génération fan de l’OM et des Papin, Waddle, Boli... Lyon vit-il le même phénomène ? Il est intéressant de voir comme le phénomène OL a pu progresser dans une ville intermédiaire comme Grenoble. Il y a 10 ans, les maillots marseillais avaient la cote. Depuis, les maillots lyonnais ont progressivement fleuri, au fur et à mesure. Le match de Coupe de France Grenoble-OL fut joué à guichets fermés devant 14 000 supporters, la meilleure affluence à Lesdiguières... depuis un Echirolles-OM, en 1995. Ce qu’il est intéressant de constater, c’est aussi la moyenne d’âge des différents supporters. La vieille génération est plutôt stéphanoise. Les 20-30 ans sont plutôt marseillais. Les plus jeunes sont plutôt lyonnais. Trois tranches d’âge, trois clubs. Une analyse rapide qui doit bien sûr être mesurée : de nombreux supporters stéphanois (dont l’auteur de ces lignes...) sont nés après la finale de Glasgow de 1976.

L’analyse doit être complétée par les résultats de l’équipe nationale : Saint-Etienne et Marseille ont brillé à des époques où l’équipe nationale était d’un faible niveau, et défendait de fait "l’honneur de la France". Les Lyonnais ont bénéficié de l’effet coupe du monde 1998 : un stade rénové, un public qui s’intéresse plus largement au football que dans le passé... Si les résultats de la sélection ont, dans un premier temps, fait diminuer l’intérêt porté aux clubs, Lyon bénéficie d’un retour de bâton lié aux (relatives) contre-performances de cette dernière : il y a ainsi eu plus de téléspectateurs pour le quart de finale Milan AC-Lyon que pour les derniers matchs de l’équipe de France. Il y a un public, même s’il manque l’exploit marquant en Coupe d’Europe pour séduire davantage.

3/ Lyon a-t-il touché ses limites en Coupe d’Europe ?

Curieux paradoxe lyonnais : l’OL vient de décrocher sa huitième qualification en Ligue des champions, c’est un client régulier de la compétition au même titre que le Bayern, Manchester united, la Juventus de Turin ou le Real Madrid. Et à l’inverse de ces quatre grands (et richissimes) clubs, Lyon vient d’enchaîner trois quarts de finale consécutifs, seul le Milan AC présente une meilleure série. Mais à la différence de Milan, Lyon n’est jamais allé plus loin. Les critiques pleuvent, mais tout est relatif : le seul quart de finale où Lyon fut dominé eut lieu il y a 2 ans, face au futur vainqueur, Porto. Contre Eindhoven en 2003, il s’en est fallu d’un pénalty oublié pour que Lyon n’aille plus loin. Contre Milan, Lyon fut éliminé à 2 minutes près, la faute à un incroyable coup de billard. Il ne faut pas oublier de plus que l’arrêt Bosman, permettant aux clubs les plus nantis de créer des équipes communautaires (à tel point qu’il n’y aura bientôt plus d’Anglais dans le championnat d’Angleterre !), et l’augmentation du nombre d’équipes qualifiées par pays ont considérablement renforcé le plateau de la Ligue des champions, plus difficile à gagner en 2006 qu’en 1993 ou 1976 !

De plus, les exploits européens tiennent souvent à une part de chance, les supporters stéphanois n’ont pas oublié que la finale de 1976 a tenu à un incroyable raté de la star du Dynamo Kiev, Oleg Blokhine, en quart de finale... Qu’on le veuille ou non, la chance peut influer grandement sur le résultat final (et les analyses sportives). On se souvient que la seule victoire en Ligue des champions fut décrochée par l’OM en 1993, à l’époque où on s’y attendait le moins : Milan semblait invincible, Tapie avait vendu les stars Papin et Waddle... Peut-être que Lyon réussira en Ligue des champions l’année où on s’y attendra le moins, comme l’OM en 1993 ou les Anglais d’Arsenal cette saison.

4/ Lyon a-t-il un rival en France ?

Cinq titres consécutifs, soit. Mais est-ce dû à la force des Lyonnais ou à la faiblesse des adversaires ? Saint-Etienne défiait Bastia et Marseille dans les années 1970. Marseille affrontait Monaco et le Paris Saint-Germain dans les années 1990. Actuellement, Lyon semble parti pour un record de points tendant à prouver qu’il n’y a aucun rival... ce qui ne fut pas toujours le cas. Le premier titre, en 2002, fut décroché après une incroyable course poursuite derrière Lens. Mais c’est surtout la saison 2003-2004 qui montre que la domination lyonnaise n’est pas aussi importante que les statistiques brutes tendraient à le montrer. Cette année-là, Lyon doit remonter un handicap de 10 points, fin janvier, sur l’AS Monaco. Il vont y arriver, devançant une équipe monégasque pourtant finaliste de la Ligue des champions cette année (l’accumulation de matchs de haut niveau ayant une incidence certaine sur les résultats monégasques en championnat). Cette année-là, Monaco brille en Ligue des champions, Marseille brille en UEFA (même si les deux clubs seront battus en finale). Mais Lyon finira devant deux clubs performants au niveau européen. Malheureusement, l’OM et Monaco vendront leurs stars (Drogba pour le premier, Giuly pour le second) sans les remplacer. Pour trouver trace d’un rival, ces deux dernières années, il faudrait regarder vers le Nord : deuxième l’an passé, troisième actuellement, et à chaque fois premier vainqueur de Lyon, Lille semble être le seul club à avoir contrarié l’OL. Un club à qui il manque juste un stade pour pouvoir être davantage à la hauteur de l’OL, mais qui montre à des clubs davantage aisés financièrement qu’il est possible d’agacer Lyon... Encore faudrait-il qu’ils s’en donnent réellement les moyens.

Barcelone dispute la demi-finale de la Ligue des champions avec 4 joueurs ayant évolué dans le championnat de France (Giuly et Marquez à Monaco, Edmilson à Lyon, Ronaldhino au PSG), preuve de la valeur des joueurs évoluant dans celui-ci. Malheureusement, d’une part les clubs français rechignent de plus en plus à se renforcer entre eux, d’autre part certains joueurs sont bradés par des clubs moins bon gestionnaires que ne l’est Lyon actuellement. Marseille a lâché Drogba pour "seulement" 45 millions d’euros, et n’a jamais retrouvé un buteur de son calibre. A l’inverse, Lyon a exigé la somme de 38 millions d’euros pour un milieu défensif (Essien) et a fait une bonne affaire en obtenant en plus un joueur en remplacement de profil similaire (Tiago). Pour cela, Lyon n’a pas hésité à engager l’épreuve de force avec le géant Chelsea (que Marseille a un peu facilement refusé sur l’épisode Drogba).

C’est ce qui semble actuellement manquer aux rivaux potentiels de Lyon : de l’orgueil, et de l’ambition. Deux défauts tant reprochés aux Lyonnais... mais qui pourtant semblent à la source de leur réussite, dans un championnat où les équipes sont souvent trop empreintes d’une modestie à la Guy Roux, selon laquelle seul le maintien semble compter...


Lire l'article complet, et les commentaires